La petite Avah, née en mars 2023 à l’hôpital de Bourges fait le bonheur de Victoire et Mattéo, ses parents. Mais pour le couple, cette naissance est aussi le début d’un long combat juridique pour faire reconnaître leur changement de genre sur l’acte de naissance de leur fille.
Comme chaque après-midi, Victoire et Mattéo préparent la petite Avah, 7 mois, pour sa sieste. Un nouveau rituel dans le quotidien de ces jeunes parents qui vivent près de Bourges. De jeunes parents atypiques, car c’est Mattéo qui a porté l’enfant. À la naissance, il s’appelait Flora. Mal dans son corps depuis toujours, c’est vers l’âge 24 ans qu’il commence sa transition. Quant à Victoire, elle s’appelait Valentin. Elle aussi décide d’entamer sa transition à 18 ans. Lorsqu’ils se rencontrent, comme de nombreux couples, naît le désir de mettre au monde un enfant. C’est dans cette optique que Mattéo a conservé ses organes génitaux féminins qui lui ont permis de tomber enceint.
De la même manière, Victoire n’a pas non plus subi d’opération et a ainsi pu concevoir de façon naturelle son bébé. Cette situation inédite en France a pris l’administration au dépourvu.
Mattéo, mère de l’enfant, Victoire, père de l’enfant aux yeux de l’administration
"On a fait appel à une avocate dès le début de la grossesse de Mattéo. On ne savait pas si on pouvait reconnaitre notre enfant conçu biologiquement. On nous parlait de test ADN, d’adoption, etc., car nous étions tous les deux transgenres", se souvient Victoire. "On s’est battu avec le procureur de la République un mois avant la naissance de la petite pour pouvoir reconnaître notre enfant. La mairie ne savait pas comment faire pour la reconnaissance, car ils ne pouvaient pas remplir les bonnes cases dans leurs logiciels. Comme c’est Mattéo qui a accouché, il était reconnu comme mère et moi comme père. Et pour obtenir l’inverse, il n’y avait que le procureur de Bourges qui pouvait accepter".
Victoire et Mattéo ont fini par recevoir un livret de famille, mais non conforme à leur identité de genre. Car dans le droit français, la personne qui accouche est automatiquement désignée comme la mère de l’enfant. Pour modifier cet acte de naissance, les parents ont entamé une procédure. Pour Sandrine Barré, leur avocate inscrite au barreau de Bourges, l’acte de naissance actuel est une atteinte à la vie privée de Victoire et Mattéo. Elle a donc prévu d’assigner la procureure de la République de Bourges qui devra se positionner sur une modification de l’acte de naissance d’Avah. "Comme c’est une première en France, la question reste de savoir si le parquet et la chambre des familles vont nous suivre. Le but de cette procédure pour Victoire et Mattéo comme pour toutes les familles transgenres, c’est de créer une jurisprudence au niveau de la Cour de cassation, voire de la Cour européenne des droits de l’homme".
Une procédure qui pourrait durer jusqu’à huit ans. Un temps judiciaire long auquel Victoire est préparée. "On va aller jusqu’au bout. On le doit à la petite et tous ceux qui seront dans notre cas par la suite". Pour Victoire qui rêvait de monter une association pour la cause trans et LGBT+, cette procédure est aussi une façon d’apporter sa pierre à l’édifice.
Si on peut faire bouger les choses pour tout le monde, c’est encore plus gratifiant. On se bat pour la petite à 40% et à 60% pour les autres, pour ceux qui n’auront pas la force de se battre.
Victoire et Mattéo
Une transition mise entre parenthèses
Pour concevoir un enfant, Victoire et Mattéo ont tous les deux dû suspendre leurs traitements hormonaux permettant d’opérer une transition. Depuis la naissance d’Avah, une infirmière vient toutes les semaines voir Mattéo pour la reprise de son traitement. "Ça a été très dur psychologiquement de devoir arrêter les traitements après s’être battu pour pouvoir les commencer, mais c’était nécessaire pour tomber enceint".
Pour partager ce quotidien de parents transgenre et aider d’autres personnes dans ce parcours du combattant, Victoire poste des vidéos sur les réseaux sociaux. "Beaucoup viennent me voir, car ils sont perdus et ne savent pas comment s’y prendre pour faire leur transition. Avec les réseaux sociaux, je veux aider un maximum de personne".
Pourquoi Victoire et Mattéo sont le premier couple transgenre à avoir eu un enfant ?
Si le cas de Mattéo et Victoire en tant que couple transgenre et unique, les familles dont l’un des deux parents est transgenre ne sont pas rares. Dès le début de la grossesse, elles se rendent souvent à Paris, dans le quartier du Marais, demander l’aide d’une avocate spécialisée dans le droit de ces nouvelles familles. Dans le cabinet de Clélia Richard, les dossiers s’empilent. Elle s'est battue dès le début de sa carrière pour la reconnaissance des droits des familles homoparentales avant le mariage pour tous, en 2013. Elle continue désormais ce combat pour les familles transgenres qui subissent un vide législatif sur leur filiation. C’est une nouvelle loi, en 2016, qui a permis aux personnes transgenres d’avoir des enfants. Avant cette loi de modernisation de la justice du XXIe siècle, les personnes souhaitant changer de sexe sur leur état civil devaient justifier d’une transformation physique via des hormonothérapies ou des chirurgies, les privant le plus souvent de leurs fonctions reproductrices. "Cela revenait à une stérilisation forcée. La Cour européenne a statué sur ces pratiques de mutilations induites", rappelle Clélia Richard. Elle poursuit : "Ça a participé à une marginalisation des personnes transgenres, mais aujourd’hui c’est fini". C’est cette loi qui a permis aux personnes transgenres de devenir parents et c’est pourquoi Victoire et Mattéo sont considérés comme le premier couple transgenre, en France, à avoir eu un enfant.
Si l’évolution de cette loi est une bonne nouvelle pour les personnes transgenres, rien n’a été prévu pour leurs enfants, nés après un changement de genre à l’État civil. Clélia Richard a pourtant connu une première victoire. C’est l’histoire de Claire, dans l’Hérault. Née dans le corps d’un homme, elle décide de changer de sexe à l’État civil après avoir déjà eu deux enfants avec sa compagne. Un troisième enfant est conçu avant sa transition médicale, de façon naturelle. Après huit ans de bataille judiciaire menée par l’avocate de Paris, la cour d’appel de Toulouse a accepté qu’elle soit reconnue mère sur l’acte de naissance de l’enfant. Un cas qui ne fait pas forcément jurisprudence pour Victoire et Mattéo. "La course judiciaire se termine par un arrêt de cour d’appel qui a été saisi après renvoi de la Cour de cassation. Et c’est l’arrêt de la Cour de cassation qui fait autorité et non l’arrêt rendu par la cour d’appel de renvoi", précise Clélia Richard. Ce verdict donne toutefois de l’espoir à Victoire et Mattéo. L’espoir d’être un jour inscrit comme mère et père de leur enfant, conformément à leur changement de sexe. "C’est important pour nous, mais c’est aussi important pour Avah. On veut éviter que notre fille puisse être discriminée sur son acte de naissance, qu’elle subisse du harcèlement scolaire", appuie Victoire.
Clélia Richard ajoute : "Optimiste il faut l’être et moi je le suis. En France, c’est par la base que les choses vont changer. Ces personnes veulent faire famille, elles sont hyper responsables et engagées derrière leurs enfants et ça c’est optimiste".
Pour faire infuser cet optimisme, Clélia Richard est aussi engagée au sein de L'association des Parents et Futurs Parents Gays et Lesbiens dans la commission transgenre, au côté de Cléo Carastro, responsable de la commission parentalité trans de l’APGL et enseignante chercheuse. "On accompagne ces familles qui se battent, notamment au tribunal, et peuvent faire face à des experts qui ne sont pas formés sur les questions transgenres, à des avocats agressifs, voire offensifs… Et nous essayons de faire connaitre la parentalité trans qui est encore méconnue dans notre société en rencontrant les députés, les médias, etc. ».
En Allemagne ou en Grande-Bretagne, le législateur a tranché : la filiation de l’enfant est établie à partir du sexe d’origine du parent, même si les enfants ont été conçus après la transition d’une personne. « En France, ce vide législatif est peut-être une chance, car la discussion est encore ouverte » conclut Clélia Richard. Au total, plus de 300 familles sont concernées en France, par ce vide législatif sur la filiation transgenre.
La communauté LGBT+, entre espoir et désillusions
► L’intégralité du magazine consacré au combat de Victoire et Mattéo réalisé par Coralie Pierre, Marion Ptak et François Belzeau est à retrouver dans "Enquêtes de Région" : diffusion le mercredi 27 septembre à 23h00 sur France 3 Centre-Val de Loire et déjà disponible en avant-première sur France.tv.
A voir également dans cette émission, le magazine de Marine Rondonnier, Samuel Foucault et Marianne Leroux sur le mariage pour tous, dix ans après, ainsi que le reportage d'Arnaud Moreau, Jean-Marc Vasco et Rémy Chartier sur l’association Le Refuge qui recueille des adolescents homosexuels rejetés par leurs familles après leur coming out.