Fin de vie : "On reste dans un système où le malade n'est pas un sujet de plein droit. C'est un objet de médecine"

Deux jours après l'annonce par le président Emmanuel Macron d'une proposition de loi sur l'aide active à mourir sous conditions, les délégués départementaux de l'Association pour le droit à mourir dans la dignité du Cher, de l'Indre et de l'Indre-et-Loire réagissent. S'ils saluent la fin du silence présidentiel sur la fin de vie, ils s'opposent à plusieurs aspects de ce projet de loi.

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"J'ai accompagné mon père puis ma mère et je n'ai pas envie de vivre ce qu'ils ont vécu", raconte Jean-Marc Jamard, représentant départemental de l'Association pour le droit à mourir dans la dignité ( ADMD 18). 

J'ai vu ma mère malade d'Alzheimer perdre sa dignité. Et je ne souhaite cela à personne. Il faut que ça change.

Jean-Marc Jamard, représentant ADMD 18

Ce septuagénaire engagé depuis 10 ans avec l'ADMD se réjouit que le président soit "enfin sorti de son inaction et qu'il ait décidé de faire un pas en avant". Il espère que cette fois-ci le calendrier sera respecté. "On n’oublie pas que ça avait déjà été annoncé pour la fin de l'été 2023, puis fin d'année 2023 puis février 2024" , rappelle Jean-Marc Jamard. 

"On a déjà un an de retard", complète Christian Gourin, délégué départemental de l'ADMD dans l'Indre. "Mais au moins, pour la première fois on sort de la zone d'ombre, un président se saisit de la question et un calendrier précis est donné, même si on n'a pas encore le texte de ce projet de loi."

Ce projet de loi assorti de son calendrier, Emmanuel Macron l'a annoncé ce dimanche 10 mars dans un entretien accordé aux quotidiens La Croix et à Libération. "Le projet de loi ouvrant "une aide à mourir" sous conditions strictes doit être présenté en Conseil des ministres en avril, en vue d'une première lecture à compter du 27 mai à l'assemblée nationale". 

Le flou lexical 

Pour Christian Gourin, ce projet de loi est encore bien loin de ce que les militants pour le droit à mourir dans la dignité attendent. Et pour lui, tout commence par le choix des mots. "Il y a vraiment trop de flou sémantique. On parle d'aide active à mourir qui ne comprendrait ni le suicide assisté ni l'euthanasie. Il faut bien donner un sens aux mots." Et de citer Albert Camus : "Ne pas nommer les choses ajoute à la misère du monde. Prescrire un produit létal à quelqu'un c'est bien l'assister dans son suicide. "

"Des conditions trop restrictives"

Seuls les patients majeurs "capables de discernement plein et entier" atteints de maladie incurable avec un pronostic engagé à court ou moyen terme qui subissent des souffrances réfractaires (ne pouvant pas être soulagées) seront concernés.

Ces conditions excluent les maladies psychiatriques neurodégénératives qui altèrent le discernement comme Alzheimer. "Ce choix s'il est maintenu met de côté toutes les maladies neurodégénératives comme Alzheimer mais aussi tout ce qui résulte d'un grave accident. Il rappelle le cas de Vincent Lambert qui n'était plus en conscience. Je trouve ça très dommage", déplore Jean-Marc Jamard. 

Ces conditions, les militants du droit à mourir dans la dignité les trouvent trop restrictives. Ils veulent une loi qui assure la liberté de choix. "On dit qu'au moment de la demande, la personne doit être en pleine conscience. Cela veut dire qu'on n'a pas de possibilité de laisser des directives anticipées. En France, on peut faire un testament manuscrit pour céder sa fortune mais on ne peut pas faire des directives anticipées pour indiquer la façon dont on souhaite terminer sa vie", s'étonne Jean-Marc Jamard. 

Alain Fievez, délégué départemental de l'ADMD d'Indre-et-Loire précise : "C'est en toute conscience et en pleine possession de ses moyens que la personne a pu rédiger ses directives anticipées. Là on rejette complètement cette idée."

La notion du pronostic vital engagé à court et moyen terme est aussi rejetée par ces militants. "Ça va poser des problèmes pour les gens atteints de la maladie de Charcot qui sont les cas les plus connus. Ils vont devoir attendre que leur situation se dégrade, souffrir plus longtemps pour répondre à ce fait que si le pronostic vital n'est pas engagé dans les douze mois à venir, ils n'y ont pas droit. Et d'ajouter : "Si on prend l'exemple à nouveau de Vincent Lambert, il ne pouvait plus rien faire mais son pronostic vital n'était pas engagé. "

Alain Fievez rappelle que les militants de l'association sont pour la suppression de toute idée de terme. 

Le moyen terme pour nous n'a pas de sens. On n'est pas obligé d'être à l'orée de la mort pour vouloir que sa vie s'arrête parce qu'on a une maladie incurable et des souffrances. Cette notion est scandaleuse.

Alain Fievez, délégué de l'ADMD d'Indre-et-Loire

Remettre le patient au centre de la décision

Si toutes ces conditions sont remplies, une équipe médicale devra décider collégialement quelle suite donner à la demande du patient.  

Jean-Marc Jamard a écouté ce mardi matin l'interview de la ministre de la santé Catherine Vautrin sur France Inter"Elle dit que s’il y a désaccord entre les différents médecins et bien il n'y a pas de recours possible à ce que j'appelle le suicide assisté. Donc si dans le collège de soignants, il y a un des médecins qui a des visions très conservatrices, ça bloque tout le processus. On reste dans un système où le malade n'est pas un sujet de plein droit. C'est un objet de médecine. Je suis gêné qu'on ne reconnaisse pas les souhaits que peut exprimer un malade", s'indigne le délégué départemental de l'ADMD du Cher. Et d'ajouter : "On est vraiment dans un système où les médecins considèrent les patients comme des mineurs n'ayant pas voix au chapitre. Je trouve ça insupportable. Il faut les voir comme des personnes responsables et capables de discernement". 

C'est encore le médecin qui va décider pour le patient. Ce que nous voulons c'est que ce soit la personne qui est dans le lit qui décide.

Christian Gourin, délégué départemental de l'ADMD de l'Indre

Alain Fievez s'insurge : "Cette collégialité, ça va être une usine à gaz. Qui va faire partie du collège ? Cela va prendre du temps de réunir des gens ? Quelles sont les modalités démocratiques de prises de décision ? Est-ce qu'il y a une hiérarchie de voix entre les infirmières et les médecins ? Ça va bloquer le système. C'est certain. Les choses doivent être simples et rapides. Le personnel médical doit mettre son savoir au service du patient. Il n'est pas là pour faire blocage."

Les militants de l'ADMD défendent la clause de conscience que pourraient mettre en avant les soignants qui refuseraient d'aider un patient à mourir. "Dans les pays où l'euthanasie ou le suicide assisté existe, la personne qui utilise sa clause de conscience doit trouver un autre soignant pour la remplacer. C'est dans la loi. Le citoyen doit pouvoir bénéficier de l'application de la loi", précise Alain Fievez, de l'ADMD 37.

Une fois l'avis favorable collégial de l'équipe médical reçu, le patient se verra délivrer une prescription valable pendant trois mois d'un produit létal qu'il pourra absorber seul ou avec l'assistance d'un membre du corps médical ou d'une personne volontaire désignée par le patient. 

Jean-Marc Jamard se dit "stupéfait par cette maladie française de vouloir toujours tout réinventer". "Il y a des pays qui pratiquent ces choses-là depuis plus de 20 ans mais il faut qu'on fasse un système français. Je trouve dommage qu'on n'utilise pas l'expérience acquise par nos voisins belges en particulier. " Il espère que les parlementaires sauront amender ce projet de loi de façon importante. "Nous allons compter sur leur sagesse et notre capacité à les influencer pour qu'ils améliorent ce texte. Nous espérons que chaque parlementaire aura une autonomie de jugement."

Parmi les points à améliorer : la disponibilité du produit létal. Alain Fievez de l'ADMD d'Indre-et-Loire rappelle que le produit est interdit en France depuis 1997. "Ça va être exactement le même cirque qu'avec le Midalozam en 2016 et la loi Léonetti. Christine Vautrin, la ministre de la santé, a expliqué ce matin que le phénobarbital de sodium ne serait disponible que dans les pharmacies des hôpitaux. Résultat : impossible d'y accéder en zones rurales ou éloignées des centres hospitaliers."

Aux opposants à ce projet de loi par principe, Christian Gourin, le délégué départemental de l'Indre rappelle que cette loi n'est pas contraignante : "Le médecin doit nous accompagner de la naissance à la mort. Il n'y a aucun bénéfice à mourir dans la douleur et la souffrance. La loi ne s'applique pas à ceux qui ne veulent pas en bénéficier. Elle n'enlève de droit à personne". 

Alain Fievez de l'ADMD d'Indre-et-Loire tient à préciser qu'il est important que les patients aient "le choix entre les trois possibilités de fin de vie : les soins palliatifs, le suicide assisté ou l'euthanasie".

L'amélioration promise des soins palliatifs

Ce projet de loi comportera aussi un volet pour renforcer les soins palliatifs. L'État consacre aujourd'hui 1,6 milliard d'euros à ces soins.

La nouvelle stratégie décennale prévoit l'investissement d'un milliard supplémentaire pour développer les soins palliatifs, les équipes mobiles et créer des unités de soins palliatifs dans les 21 départements qui en sont dépourvues comme le Cher et l'Indre.

"Nous avons des lits de soins palliatifs et un service à domicile de soins palliatifs mais pas d'unité spécifique", explique Jean-Mard Jamard, délégué départemental de l'ADMD dans le Cher. "Quand il y a une unité de soins palliatifs, il y a un service complet et bien doté alors que quand on a douze lits à l'hôpital Jacques Coeur qui sont répartis entre trois services, c'est difficile de réunir autour de ces douze lits toutes les personnes nécessaires pour que les gens puissent être correctement accompagnés".

À Châteauroux, il existe une équipe mobile de soins palliatifs et trois lits dédiés à la clinique Saint- François, mais pas d'unité spécifique non plus. "Nous faisons partie de la diagonale du vide. Ce que nous souhaitons, c'est un accès universel aux soins palliatifs dans un continuum de soins. "

En Belgique, 60 % des euthanasies sont réalisées dans des unités de soins palliatifs, rappelle Christian Gourin, de l'ADMD de l'Indre. " On se réjouit qu'un effort financier soit fait pour créer des unités de soins palliatifs". 

Mais cela suffira-t-il ? "Il n'est pas seulement question d'argent", s'inquiète-t-il. " Il est question de moyens humains aussi. Très souvent, quand un médecin envoie un patient en soins palliatifs, pour lui, c'est un constat d'échec. Ensuite, il est très difficile de trouver des médecins et du personnel soignant dans nos territoires, alors pour les soins palliatifs, imaginez... Entre ce qui est voulu et ce qui se passe sur le terrain, je suis très dubitatif.

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