Harcèlement, doxxing : un dessinateur, un militant et un député s'écharpent sur l'anonymat sur les réseaux sociaux

Une polémique née sur Twitter a relancé le débat à propos de l'anonymat sur les réseaux sociaux. Un sujet qui laisse bien peu indifférent, qu'ils soient dessinateurs au Monde, militants LGBT ou élus à l'Assemblée nationale.

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"Et si on renversait les règles de la chasse ? Par exemple, j’offre un dessin original à qui dévoile l’identité de @ParisPasRose ? Ça pourrait être rigolo, non ? :)" Vexé d'une critique formulée par un compte twitter militant, c'est la réponse (placée quelques minutes plus tard sous le signe du "second degré, bande d'andouilles") qu'a offert le dessinateur Xavier Gorce à ses fans le 9 août dernier, relançant le débat autour de l'anonymat et du harcèlement sur Internet, entraînant dans son sillage un député du Cher.
 

L'anonyme, un "chasseur à l’affût dans son abri camouflé" ?

Tout commence dans la matinée du 9 août. Ce jour-là, une interview du dessinateur du Monde publiée dans l'Express fait le tour du réseau social. L'auteur des "Indégivrables", qui assimilait le gilet jaune des manifestants de 2018 à une "auto-signalisation des troupeaux d'abrutis", s'étonne de la virulence et du "tribalisme" des réseaux sociaux. Xavier Gorce mitraille au passage le mouvement anti-raciste ou le féminisme, qu'il renvoie à une "victimisation" et au "communautarisme".
 

Retweeté par un journaliste, l'entretien fait réagir dans le petit monde du Twitter militant, en particulier le compte anonyme @ParisPasRose, qui se fend d'un lapidaire "Tous ces Ponce Pilate qui s'étonnent qu'attiser la haine puisse la susciter en retour". Cumulant près de 75 000 abonnés et protégeant jalousement son anonymat, l'animateur du compte se montre volontiers acerbe et caustique dès qu'il s'agit de questions LGBT et féministes, ce qui va parfois jusqu'à agacer les personnes concernées à la place desquelles il prend la parole.

"Vous êtes la vraie saloperie de notre époque", rétorque Gorce, qui affirme avoir subi "une vague de bashing" suite à ce tweet. "L’anonyme qui dézingue sans risque, comme un chasseur à l’affût dans son abri camouflé." Et d'appeler à la révélation publique de l'identité de @ParisPasRose (une pratique appelée le "doxing") en fustigeant l'anonymat et pseudonymat. "Je maintiens que s’ils n’existaient pas sur Twitter et autres réseaux, les propos seraient moins fakes et orduriers. En sachant que, malheureusement, on ne pourra sans doute pas modifier ça..."
 

Les "coward-hateurs" vont "coward-hater"

Pour cette prise de position, Xavier Gorce reçoit un certain nombre de manifestations de soutien, notamment celle du député du Cher François Cormier-Bouligeon. "Soyons francs ou lucides, les pseudos sur les réseaux sociaux sont bien souvent le signe du manque de courage de celui qui veut attaquer, diffamer, déverser sa bile ou sa haine sans toutefois risquer de le faire à visage découvert", avance le député. "Est-ce utile ou éthique de protéger l’identité de ceux que l’on pourrait qualifier non pas simplement de #haters mais de 'cowards haters' ?"
 
Effet vertueux, et peut-être imprévu, l'intervention du député redonne un cadre politique à un débat public déjà vieux : celui de l'anonymat sur internet. Car, aux nombreuses voix qui estiment que chacun devrait publier sur les réseaux sociaux avec sa vraie identité, d'autres répondent, en substance, que cela dénote une tragique naïveté. Sur Internet, le pseudonymat, tout comme le doxing, sont des armes politiques.

Doxing et anonymat : ce que dit la loi

Première idée reçue : il n'est en réalité pas si simple d'être réellement anonyme sur les réseaux sociaux. Les personnes sous pseudonyme, surtout sur un réseau comme Twitter, sont en réalité facilement traçables et retrouvables par les autorités judiciaires. En 2018, trois hommes ayant harcelé et menacé de mort la journaliste Nadia Daam ont ainsi été poursuivis et condamnés.

Deuxième élément : dévoiléer l'identité d'une personnalité sur les réseaux sociaux peut avoir des conséquences bien réelles. Sur son compte Twitter personnel, le doctorant en droit privé et cybercriminalité Matthieu Audibert, également officier de gendarmerie, a proposé une analyse juridique de la question. "Au niveau juridique, le doxxing stricto sensu n’est pas défini dans le code pénal et n’est donc pas réprimé en tant que tel. TOUTEFOIS, le doxxing peut relever, selon les modes opératoires employés, de plusieurs infractions pénales", constate-t-il.
 

La pratique peut en effet relever de l'atteinte à la vie privée, de l'atteinte à la représentation de la personne, de la dénonciation calomnieuse, d'une atteinte au secret des correspondances ou encore de la "collecte, du traitement et de la divulgation de données personnelles sans le consentement ou l’autorisation légale de la victime", précise Matthieu Audibert.

Enfin, la loi Schiappa de 2018 condamne le cyberharcèlement "sous la forme de raids numériques lorsque ces propos ou comportements sont imposés à une même victime par plusieurs personnes", même quand cela n'est pas concerté. D'après une source juridique consultée par France 3, le tweet de Xavier Gorce peut tomber sous le coup de la loi de 2018, et aussi relever de "l'incitation à commettre une infraction".
 

Le doxing, arme politique des harceleurs

"C'est un faux débat" lâche Maxime Haes, militant de Stop Homophobie qui a enduré plus que sa part de cyberharcèlement. "Le débat, il porte sur l’état de la justice, qui est désastreux", et ne permet pas de poursuivre convenablement les harceleurs, sous pseudonyme ou non, poursuit l'activiste. L'utilisation du pseudonyme, héritée de la culture internet, est quant à elle une mesure souvent nécessaire pour une foule d'utilisateurs, qu'il s'agisse de personnes LGBT, de militants, de lanceurs d'alerte ou tout simplement de personnes souhaitant s'exprimer sans subir de pressions politiques, familiales ou professionnelles.

"Il y a une forme de 'bisounoursisme'" de la part des critiques du pseudonymat, "qui considèrent que tout va super bien, parce que ce sont des personnes qui n’ont jamais eu besoin d’avoir affaire à la justice, et qui n’ont jamais vécu d’injustice, de violence, quoi que ce soit." "C’est des gens qui vont dire qu’il y a des lois, que ça se passe bien. Ce n’est pas le cas."

De fait, le "doxing" (ou "doxxing") encouragé par Xavier Gorce est le revers de ce pseudonymat. Longtemps resté un apanage de l'extrême-droite et cantonné à des forums comme le tristement célèbre "15-18" de jeuxvideo.com, le doxing consiste à révéler non seulement l'identité d'un utilisateur, mais aussi une foule de détails qui peuvent être retrouvés sur la toile avec plus ou moins d'astuce, comme son numéro de téléphone, son adresse ou son employeur.
 

Le doxing, c'est donner l’identité de la personne pour qu’on puisse la choper dans la rue, pour qu’on puisse l’attendre en bas de chez elle, l’attendre sur son lieu de travail, envoyer des mails à son employeur ou son école pour qu’elle se fasse virer, c’est la curée !

Maxime Haes

Une dérive du combat militant ?

Mais depuis "trois quatre ans", observe le militant, la pratique se diffuse à travers le spectre politique. "Il y a des militants macronistes qui l'utilisent, des militants LFI également." Sur un champ de bataille où le harcèlement et l'ad hominem dominent, le doxing est une arme à double tranchant, également utilisée par des militants de gauche, par exemple en signalant à une entreprise le comportement raciste ou homophobe d'un de ses employés.

"Ce doxing-là, personnellement je l'approuve", concède Maxime Haes. "Une personne raciste et homophobe n'a pas sa place dans l'espace public. Si elle est raciste au travail, par exemple si elle travaille dans les RH, ça peut peser sur le recrutement." La pratique, en tout cas, est courante Outre-Atlantique. En 2013, la directrice d'un service de relations publique de la société IAC avait subi un doxing et perdu son emploi après que son employeur ait été alerté d'un tweet où elle écrivait : "Départ pour l'Afrique. Espère ne pas choper le sida. Je déconne. Je suis blanche !"

Malgré ces quelques cas exceptionnels, cependant, le harcèlement en ligne reste très peu poursuivi et condamné, soit par manque d'intérêt, soit par manque de moyens.

 
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