"On est inquiet pour l'avenir de nos enfants", comment la région Centre-Val de Loire a perdu près de 900 écoles primaires en 40 ans ?

Depuis 1978, 850 écoles primaires publiques ont fermé dans la région, dont une majorité en milieu rural. De nouvelles fermetures de classe sont prévues pour la rentrée 2024 et provoquent la colère des parents d'élèves et des élus.

"C'est du mépris pour les élus et les parents d'élèves", souffle Loïc Kervran. Le député Horizon de la 3e circonscription du Cher ne décolère pas. Dans son département, l'académie d'Orléans-Tours envisage la suppression d'une quarantaine de classes à la rentrée de septembre 2024. "On vide la ruralité de nos services publics", peste-t-il. 

Depuis l'annonce de la nouvelle carte scolaire, des mobilisations sont organisées un peu partout dans la région. En plus du Cher, des parents d'élèves sont mobilisés dans l'Indre-et-Loire où 67 fermetures de classes sont envisagées. Même rengaine dans le Loir-et-Cher où enseignants, syndicats et parents d'élèves ont manifesté après l'annonce d'un possible retrait de 24 postes.

Des fermetures dans la ruralité

"On est très inquiets pour l'avenir de nos enfants", s'agace Anne Petitjean Toison, la représentante des parents d'élèves de l'école Jules Ferry, à Montlouis-sur-Loire (Indre-et-Loire). Elle s'oppose à la fermeture d'une classe dans l'établissement : "On va se retrouver avec des classes surchargées de 49m2 où l'on a déjà 26 élèves qui s'entassent", alerte-t-elle.

Selon elle, la carte scolaire envisagée par l'académie ne prend pas en compte les potentiels arrivants au cours de l'année scolaire : "Il y a toujours des élèves supplémentaires qui arrivent en cours de route et on va se retrouver avec des classes avec près de 30 élèves. Les enseignants vont se retrouver surchargés alors même qu'il y a beaucoup d'enfants sont en difficulté et qu'ils ont besoin d'un accompagnement plus personnalisé". 

Il y a des situations inacceptables où l'on annonce la fermeture d'un établissement en 2016, puis sa réouverture en 2018 et à nouveau sa fermeture en 2024.

Loïc Kervran, député Horizon de la 3e circonscription du Cher

Dans la région, les fermetures de classe concernent particulièrement les zones rurales. "Une saignée !", a même dénoncé le député Loïc Kervran à l'Assemblée nationale : "Est-ce qu'on veut garder un service public de l'Éducation nationale en proximité dans nos petites communes ou est-ce qu'on considère que l'école devient demain l'apanage des villes ?", a-t-il lancé à l'attention de la ministre de l'Éducation nationale, Amélie Oudéa-Castera, le 31 janvier dernier.

France 3 Centre-Val de Loire s'est plongée dans les données de l'Éducation nationale sur la fermeture des écoles primaires (maternelles et élémentaires) publiques dans la région. Et le constat est sans appel : depuis 1978, 1 213 écoles ont fermé leur porte alors que 311 nouveaux établissements ont été créés. L'immense majorité des écoles fermées l'ont été dans une zone rurale. 

(En rose sur la carte ci-dessus, les 25 communes les plus peuplées du Centre-Val de Loire.)

"Rationaliser" l'éducation

Pour comprendre cette tendance, il faut faire un peu d'Histoire : "Durant la IIIe République, la logique c'était : une école par village", explique Malorie Ferrand, historienne de l’aménagement scolaire du territoire rattachée à l’université Lyon-II. "Mais à partir des années soixante et l'arrivée des cartes scolaires, il y a eu une logique de rationalisation et des fermetures de classes avec un seuil de 16 élèves au nom de la modernisation de l'école". 

 Résultats, 17 000 écoles ont fermé en quarante ans dans l'hexagone, "alors que le nombre d'élèves reste globalement stable", précise l'historienne. En Centre-Val de Loire, cette tendance semble se confirmer. Le nombre d'enfants âgés de 0 à 10 ans est certes en baisse depuis 1978, mais la fermeture des établissements augmente plus rapidement.  

Une tendance qui pourrait expliquer, en partie, qu'en 2022 la France présente la taille moyenne de classe la plus élevée à l'école élémentaire (22 élèves par classe) de toute l'Union européenne. À cela s'ajoute la crise des vocations au sein de l'éducation nationale. Les enseignants manquent et les démissions ne cessent d'augmenter. Le nombre d'élèves par enseignants est donc également plus élevé dans l'hexagone que dans le reste des pays européens.

Une politique à l'envers ? 

Or, on sait désormais que réduire le nombre d'enfants par classe peut être bénéfiques pour les élèves. C'est d'ailleurs en ce sens qu'Emmanuel Macron, le président de la République, a mis en place le dédoublement des classes de CP et de CE1 dans les zones d'éducations prioritaires.

"On observe que les élèves des zones rurales ont de meilleurs résultats que les urbains, même si la tendance s'inverse à partir du collège", détaille Malorie Ferrand. Un constat que l'on retrouve parfois en Centre-Val de Loire. En 2022, l'Insee publiait une étude sur le retard scolaire dans les territoires touchés par la pauvreté. L'étude montre que les élèves des territoires ruraux s'en sortent plutôt bien par rapport à leurs camarades urbains. 

Dès 1970, le discours politique a évolué. On a commencé à parler de lutter contre la désertification rurale. Mais dans les faits, la politique est restée sensiblement la même. 

Malorie Ferrand, historienne de l’aménagement scolaire du territoire rattaché à l’université Lyon-II

Et pourtant, c'est bien le manque d'élèves et d'enseignants qui poussent l'Éducation nationale a fermé des classes et des établissements : "La question c'est : quelle mission on veut donner à l'école ? On pourrait faire le choix d'investir et de réduire les classes. Cela s'inscrit plus généralement sur la question de nos services publics", analyse l'historienne. 

"L'approche numérique ne veut rien dire", dénonce de son côté Loïc Kervran. "Dans le Cher, nous avons 500 élèves manquants pour 1000 classes. Ce n'est qu'un demi-élève par classe". Pour tenter de changer la donne, le député assure qu'il déposera bientôt une proposition de loi pour "conditionner la fermeture d'une classe d'au moins 15 élèves à l'accord du conseil municipal" pour les communes de moins 2 000 habitants. "Ça obligera à créer de la concertation", veut-il espérer.

"Des chiffres non stabilisés", explique le rectorat

Contacté, le rectorat nous indique, ce vendredi, qu'à ce jour "les chiffres ne sont pas stabilisés" et qu'ils "méritent d'être nuancés. En effet, il faut les corréler avec la baisse de la démographie dans la région. Ainsi, le taux d'encadrement pour chaque élève est stable et même en augmentation dans certaines écoles."

 

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