Un rapport d'information de deux députés du MoDem et du PCF interrogent la fiscalité de la France concernant les très gros patrimoines. Selon eux, un rétablissement de l'impôt sur la fortune pourrait financer la transition écologique et réduire les inégalités.
Et si les riches payaient plus d'impôts, et qu'en plus ça servait à financer la transition écologique ? L'idée ne vient pas "d'anarchistes d'extrême-gauche" ni de révolutionnaires avec le couteau entre les dents, mais d'une mission d'information co-rapportée par le député MoDem Jean-Paul Mattei et par le député PCF du Cher Nicolas Sansu. Ce 26 septembre, les deux élus ont présenté leur rapport sur la fiscalité du patrimoine, assorti de 27 propositions dont pourraient s'emparer les parlementaires ou le gouvernement.
L'intérêt principal de cette mission d'information, comme l'explique Nicolas Sansu, était de fournir "un état des lieux objectif", partagé à travers le spectre politique, de l'évolution du patrimoine des Français au cours des dernières années et de la fiscalité qui s'y applique. Rendre cette fiscalité plus juste et plus rationnelle est l'objectif des pistes de réflexion avancées par les deux co-rapporteurs.
Une manne de 150 milliards d'euros
Parmi ces dernières, une en particulier ressort : "l'ISF vert", un impôt sur le patrimoine permettant de financer la transition écologique, originellement proposé par les économistes Jean Pisani-Ferry et Selma Mahfouz dans un rapport présenté à la Première ministre le 22 mai. Selon les auteurs du rapport, "un prélèvement de 5 % étalé sur trente années, assis sur l'actif financier net des 10 % les mieux dotés (3000 milliards d'euros), procurerait 150 milliards d'euros, soit 5 points de PIB". En effet, dans son état actuel, la France pourrait avoir de lourdes difficultés à décarboner son économie.
Car le constat du rapport, partagé par ses deux auteurs, est désormais indéniable, avance Nicolas Sansu. "Nous sommes entrés dans une société de l'héritage, une société de rentiers", où d'un côté du spectre, d'énormes patrimoines immobiliers et financiers se consolident et grossissent, tandis que de l'autre, le travail ne rapporte plus.
Redistribuer par davantage d'impôts sur les ménages les plus riches, c'est donc "une question de justice fiscale, mais aussi une simple question de consentement à l'impôt", continue le député vierzonnais. "Si on se refuse à faire contribuer les plus hauts patrimoines, et que dans le même temps les gens payent leur essence à 2€ le litre, ils vont finir par exploser !"
La fortune héritée représente aujourd’hui 60% du patrimoine total, contre 35% dans les années 1970.
Nicolas SansuRapport d'information sur la fiscalité du patrimoine
Un tiers de la richesse dans 5% des poches
De fait, comme le pointe le rapport, "au début de l'année 2021, 92% de la masse de patrimoine brut est ainsi détenue par la moitié la mieux dotée des ménages ; les 5% les mieux dotés détiennent un tiers des avoirs patrimoniaux et les 1% les mieux dotés en concentrent 15%". Paradoxalement, dans le même temps, 87% des Français voulaient voir baisser l'impôt sur l'héritage selon une enquête de 2017, alors même qu'une majorité ne paie aucun droit de succession, faute d'avoir un patrimoine assez important à transmettre.
À l'inverse, la France a multiplié les cadeaux adressés aux plus riches, comme la suppression de l'ISF et la mise en place d'un prélèvement forfaitaire unique ("flat tax") sur les revenus du capital. "Si vous possédez deux actions L'Oréal, vous payez au même taux que Bernard Arnault", simplifie Nicolas Sansu. Cette "flat tax", recommandent les co-rapporteurs, devrait également être réhaussée.
En outre, les deux députés préconisent une réflexion sur un "impôt mondial sur le patrimoine détenu par les ménages les plus riches, afin de financer des aides aux pays les plus pauvres". Car c'est aussi au niveau international que la contribution des plus grands patrimoines doit être sollicitée.
Des mesures ambitieuses, ou utopiques ?
Alors certes, le contexte national et mondial ne pourrait guère être moins accueillant. L'idée d'ISF vert a déjà été balayée d'un revers de main par la Première ministre Élisabeth Borne en mai, et le gouvernement vient d'utiliser pour la douzième fois en deux ans l'article 49.3 de la Constitution, pour faire passer à toute force son projet de loi de programmation des finances publiques. Pour autant, les auteurs se veulent sereins : "Ce rapport ne propose pas un 'grand soir' fiscal", rassure Jean-Paul Mattéi. "Il dresse des pistes d’évolution de la fiscalité au regard des défis contemporains."
"Au moins, c'est dans le débat public", fait valoir pour sa part Nicolas Sansu. Et de tracer un parallèle avec un sujet qui lui est cher, les déserts médicaux et le contrôle de l'implantation des médecins dans les zones sous-dotées. Refusée par le Parlement, l'idée d'imposer l'implantation des jeunes médecins fait son chemin dans la population : "On a perdu à l'Assemblée, mais on a gagné dans le pays, on a mis les pieds dans le plat !"