Confinement : catastrophe économique annoncée pour les producteurs de muguet et de roses

En raison du confinement, les jardineries et les fleuristes sont fermés depuis deux semaines. Il est donc impossible pour les horticulteurs de vendre les fleurs et les plants. Certains ont déjà jeté leur production. La filière est en danger.

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Ni les horticulteurs, ni les pépiniéristes ne peuvent vendre leur production, car les jardineries et les boutiques de fleurs sont fermées. Cette filière réalise 80 % de son chiffre d'affaires annuel entre le 15 mars et la fin du mois de mai.

Le confinement est, pour ces professionnels, une véritable catastrophe économique, même si aucun d'entre eux ne remet en cause cette mesure indispensable pour limiter la propagation du virus. La chambre d'agriculture du Loiret estime que les horticulteurs vont faire entre 70 à 80 % de leur chiffre d'affaires en moins. Pour les pépiniéristes, ce sera entre 50 et 60 % en moins.

Les recettes ne rentrant pas, ces entreprises vont avoir de sérieux problèmes de trésorerie et ce, de façon durable. Quand les revenus ne sont pas là, il est difficile de payer les charges salariales et patronales. Quant aux investissements, ils ne peuvent se faire.

La crise n'est pas climatique, comme lorsqu'il y a une tempête ou une période de très grande sécheresse : dans ces moments-là, les agriculteurs surmontent avec le temps, en faisant reporter les échéances de prêts ou les cotisations. Dans la filière horticole, la course contre le temps a commencé, et l'année 2020 s'annonce très difficile. Dans quelques semaines arrivent le 1er mai et son brin de bonheur, puis la fête des mères le 7 juin.

Des dates cruciales pour des fêtes très emblématiques : muguet et fleurs, notamment les roses, se vendent habituellement en grande quantité à cette période. 

Soing-en-Sologne en Loir-et-Cher

Jean-Luc Bourdillon et son épouse Pascale sont horticulteurs à Soing-en-Sologne en Loir-et-Cher. Les fleurs qu'ils font pousser sont vendues, en temps normal, aux fleuristes et dans les jardineries du secteur, tous fermés actuellement. Ils vendent aussi à Rungis. Mais voilà, le grossiste est fermé lui aussi... confinement oblige !

Chaque année, le couple commence la commercialisation des fleurs vers le 15 avril. Tous deux savent déjà que ce se sera pas possible cette année. Ils espèrent que tout va repartir début mai. "Nous aurons perdu 15 jours, il faudra retailler. Cela représente un coût supplémentaire de main d'oeuvre. De plus, nous les vendrons moins bien."

Pour Jean-Luc Bourdillon, la fête qu'il ne peut pas rater, c'est la fête des mères. Pour lui, les ventes réalisées à cette occasion représentent le plus gros chiffre d'affaires pour son exploitation. Cette année, elle aura lieu le 7 juin. C'est plus tard que d'habitude. Il espère y voir un signe du destin, comme une chance...

Si ça repart début mai, ça ira, on a une petite chance de s’en sortir. Mais si le confinement va jusqu’en juin, ce sera catastrophique…

Avec sa femme Pascale, ils font travailler 3 salariés sur 15 000 mètres carré de serres et tunnels. Ils produisent 12 000 rosiers chaque année. Pour l'heure, il attend et espère. Son épouse est en contact quasiment tous les jours avec leur grossiste de Rungis : "Il lui a dit qu'il a mis 200 000 plantes à la poubelle. Une sacrée perte sèche pour lui aussi."

Jean-Luc Bourdillon ne comprend pas pourquoi les jardineries ne sont ouvertes que pour l’alimentation "bétail" et fermées à la vente d'autres produits, comme les plants et les fleurs. Il a le sentiment que tous ne sont pas logés à la même enseigne : il y a d'un côté les grandes surfaces où tout peut être acheté, et de l'autre, l'accès refusé aux jardineries.

Bien sûr, il respecte et comprend le confinement : les fleurs ne sont certes pas vitales à l'homme, mais les vendre est vital pour la survie de son entreprise. Il estime que certaines exploitations, les plus fragiles, ne s’en remettront pas.
Il reste pour autant optimiste :

Quand ça va repartir, il va falloir être prêt. Mais ce sera quand ? On ne sait pas. Il faudrait que les magasins et les jardineries rouvrent fin avril, voire début mai, la saison serait sauvée.

Toujours à Soing-en-Sologne, mais à quelques kilomètres de là, Bruno Boursier est associé à Sébastien et Marie Bourdillon depuis 2 ans et demi, sur une exploitation de 105 hectares. Chaque année, ils produisent 150 000 brins de muguet, un muguet 100 % français dont ils sont très fiers, et qui leur vaut d'être labellisés "Fleurs de France".

Le muguet, représente 50 % de leur chiffre d'affaires. Autant dire que c'est énorme. Mais voilà, la récolte est très saisonnière : le muguet se vend avant le 1er mai... après c'est trop tard... Les conséquences du confinement sont pour cette exploitation très importantes. Chaque année, le muguet est vendu chez les fleuristes et dans les jardineries des environs, mais aussi ailleurs en France et notamment aux grossistes de Rungis et d'Angers.Pour lui, la crise sanitaire se double d'une crise économique. L'agriculture et l'horticulture sont touchées de plein fouet : "Imaginez qu’on dise aux agriculteurs, en plein mois de juillet ou d’août : c’est la période des moissons, mais vous ne pouvez pas moissonner, interdiction de ramasser, de récolter et de mettre en silo. Un coup de tempête, un coup d’eau, le blé germe et tout est fichu."

Tout sera bel et bien fichu, si le confinement dure encore, comme il faut le prévoir. Bruno Boursier sait qu'il ne vendra pas le muguet de l'exploitation. Puisque les grandes surfaces sont ouvertes, il lance un appel à la grande distribution locale pour qu'elle s'approvisonne et fasse travailler les producteurs géographiquement proches des magasins.

Il faut s’adapter et changer les habitudes, les fleuristes doivent livrer, faire des "drive". C'est maintenant qu'il faut enclencher le processus. Les français doivent bien comprendre la problématique de nos exploitations. C'est une question de survie. Soit on baisse les bras, soit on s’agite. Quand on s’agite, on peut se tromper. Le tout est de faire. Se mettre à plusieurs pour trouver des solutions. Le bon sens avant tout, tout en respectant le confinement.

Sur l'exploitation "Terres de Sologne", on produit aussi des plants horticoles comme du lierre en suspension, mais on produit aussi et c'est la moitié de la production totale, 50 hectares de cucurbitacées : des citrouilles à consommer, et aussi pour la décoration d'autome et la fête d'Halloween. Là encore, si le muguet n'est pas vendu, l'argent ne rentrera pas et le manque de trésorerie empêchera de payer la culture des courges. Les problèmes se multiplient... par ricochet.

L'associé espère sauver les emplois de tous (il y a six salariés). Même si les banques décalent les échéances, elles courent toujours. Quid des saisonniers ? ils sont 4 à travailler lors de la saison du muguet, et 7 en automne pour les cucurbitacées.

"S'accrocher et croire en l'avenir" pourrait être la devise de Bruno Boursier mais il met en garde :

Il faut sauvegarder la production française et donc sauver les producteurs. S'ils mettent tous la clef sous la porte, il n’y aura plus de fleurs françaises.

Cette crise impacte la filière sur tout le territoire. Le Centre-Val de Loire est touché, car c'est une importante région de production horticole. C'est la troisième zone de production, après la région Sud Provence Alpes Côte d'Azur et les Pays de la Loire. 90 % de la production horticole de la région est "exportée" sur tout le territoire, et notamment vers la région parisienne.

Pour le président de la Chambre d'Agriculture du Loiret, Jean-Marie Fortin : "Les grandes surfaces se sont engagées à vendre les produits locaux, mais elles sont contraintes par leurs centrales d'achats qui leur imposent les produits à vendre. De toute façon, cela ne suffira pas, cela n'absorbera que 20 % de la production. Les 80 % restants seront détruits et jetés, car impossible à vendre hors de la région."

Désormais, les professionnels des secteurs qui souffrent espèrent des mesures financières. Jean-Marie Fortin demande des aides directes pour soulager le manque de trésorerie à venir. "Il ne peut s'agir de prêts supplémentaires. Il faut maintenir les fonds propres des entreprises et leur capacité à investir. Sinon, elles vont disparaître, et avec elles de nombreux emplois, car la filière horticole recrute beaucoup de main d'oeuvre, le travail étant encore très manuel. La filière ne pourra écouler toute sa production du fait du confinement, pour des raisons d'intérêt général que tout le monde comprend et accepte. Il faut que la solidarité nationale joue."
Le muguet, une culture de trois années
Pour avoir une fleur de muguet, il y a trois ans de travail en amont. Chez "Terres de Sologne", la culture se fait en plein champ : on plante la jeune racine de muguet, on la cultive pendant deux ans dans le sol, puis on l’arrache, on la trie et on la sélectionne. On regroupe d'un côté les bourgeons à fleurs, on les met dans des pots par trois. De l'autre côté, les bourgeons à feuilles retournent dans le champ pour être cultivés. Cela représente un important travail : le désherbage se fait à la main. La culture du muguet occupe les salariés pendant six mois.
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