En Centre-Val de Loire, les députés se prononcent majoritairement pour l'inscription du droit à l'Interruption volontaire de grossesse dans la Constitution, comme souhaité par le gouvernement. La gauche reproche à la majorité un certain opportunisme, tandis que le RN maintient l'ambiguïté.
Inscrire "le respect de l'Interruption volontaire de grossesse (IVG) dans notre Constitution" : voilà la solution proposée par la majorité présidentielle Renaissance, en réaction à l'actualité internationale. Car, de l'autre côté de l'Atlantique, la très conservatrice Cour suprême a enterré vendredi un arrêt qui, depuis près d'un demi-siècle, garantissait le droit des Américaines à avorter.
La décision a été largement condamnée en France, de gauche à droite. Emmanuel Macron a regretté la "remise en cause" des libertés des femmes. Et les associations de défense du droit à l'IVG se sont inquiétées d'un "signal dangereux".
"On ne sait jamais"
Alors inscrire ce droit dans la Constitution revêt "une forme de symbole" en France, "quand on voit ce qui se passe aux États-Unis mais aussi chez nous, avec la montée de certains extrêmes", réagit ce lundi 27 juin la député Renaissance du Loiret Stéphanie Rist. Intérêt de la démarche : "inscrire dans la Constitution rend plus difficile de revenir dessus".
Car, plus que 50% des voix au Parlement, une modification de la Constitution doit soit être approuvée par référendum, soit recevoir les 3/5e des voix de l'Assemblée et du Sénat, réunis en Congrès par le Président. Pas impossible, mais plus compliqué donc qu'un simple projet de loi.
Un moyen d'anticiper une citation bien connue de Simone de Beauvoir : "N'oubliez jamais qu'il suffira d'une crise politique, économique ou religieuse pour que les droits des femmes soient remis en question." Pour Stéphanie Rist, "elle a été très clairvoyante, l'Histoire le montre malheureusement".
"On voit bien que ces droits ne sont pas acquis, et qu'il faut absolument les sanctuariser", ajoute de son côté la députée d'Indre-et-Loire Fabienne Colboc (Renaissance). Pour elle, il s'agit justement "d'anticiper, on ne sait jamais ce qui peut se passer dans une prochaine mandature".
Flashback
Pourtant, des députés de La France insoumise avaient déjà déposé un amendement en ce sens à l'été 2018, jugeant que "nous ne sommes pas à l'abri de régressions, quand des droits fondamentaux sont contenus dans des textes simplement législatifs". L'amendement 1115 du projet de loi constitutionnelle "Démocratie plus représentative, responsable et efficace" proposait ainsi d'ajouter le droit "de recourir librement et gratuitement à l'interruption volontaire de grossesse" dans le préambule de la Constitution.
Seulement, à l'époque, la rapporteure LREM de la loi Yaël Braun-Pivet faisait part, lors de la séance du 11 juillet 2018, d'un avis défavorable de la majorité. Pour elle, la protection du droit à l'IVG "passe par un combat de tous les instants [...] et non par [son] inscription dans la Constitution, qui n'est ni nécessaire ni utile". La ministre de la Justice Nicole Belloubet enfonçait le clou : "Je ne suis pas certaine que ce soit le niveau de norme approprié pour garantir ces droits". Dans son avis, elle estimait que, le Conseil constitutionnel ayant "lié le droit à l'avortement à l'article 2 de la Déclaration des droits de l'homme et citoyen, [...] ce droit est donc suffisamment garanti".
En conséquence, les députés macronistes s'étaient, à l'époque, largement opposés à l'amendement. 74 avaient voté contre (dont Marc Fesneau et Philippe Chalumeau), et trois avaient voté pour. De la région, seule la députée UDI d'Indre-et-Loire Sophie Auconie, porteuse d'un amendement similaire, avait voté pour. Fabienne Colboc s'y était elle-même opposée. "Je n'ai plus vraiment en tête les débats de l'époque", explique-t-elle aujourd'hui. Stéphanie Rist, qui estimait que le texte allait dans le bon sens, s'était abstenue. "C'était dans un texte de loi qui ne correspondait pas, qui n'avait pas de rapport", tente-t-elle de justifier, alors même que la dernière modification de la Constitution date de 2008. "Un argument qui s'entendait aussi est que, si on commence à faire une liste de ce qui doit être inscrit dans la Constitution, il faudrait en énumérer beaucoup."
Ouverture à gauche
De quoi déclencher l'ironie de la gauche, qui porte le projet depuis quatre ans, et avait inscrit la constitutionnalisation du droit à l'IVG dans le programme commun de la Nupes. "Ça apparait forcément un peu tactique de la part de la majorité, surtout dans une période où le gouvernement cherche des alliés", raille Charles Fournier, nouveau député EELV de Tours. De là à qualifier l'initiative gouvernementale de revirement opportuniste ? "On ne fait pas d'opportunisme quand on parle de droits des femmes", défend Fabienne Colboc. Stéphanie Rist considère, elle, que "l'étranger nous fait prendre en compte l'urgence". Une réaction à l'actualité, en quelque sorte.
Pas rancunier, Charles Fournier se dit prêt à voter pour la loi issue de la majorité, "sous réserve d'un texte enrichi d'amendements qui vont dans le bon sens". Pour lui, "tant mieux si LREM bouge sur le sujet". De là à y voir une ouverture à gauche du gouvernement, désireux de se trouver des majorités de projet ? "On va bientôt discuter du projet de loi sur le pouvoir d'achat, et on verra bien si c'était simplement histoire de montrer une ouverture, ou s'ils ont une vraie volonté de bouger les lignes".
Ambiguïté d'extrême-droite
De l'autre côté de l'hémicycle, l'extrême-droite reste très ambigüe sur le sujet. Sur les réseaux sociaux, le Rassemblement national s'est principalement contenté de moquer le vote de la majorité en 2018 sur l'amendement LFI, sans se prononcer clairement sur le futur projet de réforme constitutionnelle. Il y a dix ans, Marine Le Pen dénonçait des "avortements de confort", avant de se policer et de placer son parti sur la ligne du statu quo : le RN ne reviendra pas sur la loi Veil.
Pas de quoi lisser les convictions des parlementaires, notamment celles des petits nouveaux de 2022. En Centre-Val de Loire, la députée du Loiret Mathilde Paris s'était en effet fendue, en 2018, d'un tweet accompagné d'une échographie d'un fœtus de deux mois et demi : "Je ne suis pas un amas de cellule mais un bébé", écrivait-elle alors. "Aujourd'hui, on peut mettre fin à ma vie", ajoutait Mathilde Paris, pour qui "il est temps de lever l'omerta qui entoure l'avortement". À noter que, à deux mois et demi, un fœtus fait entre trois et une dizaine de centimètres.
En France, l'avortement est autorisé jusqu'à la quatorzième semaine de grossesse depuis la loi du 2 mars 2022, qui a allongé ce délai de deux semaines. Contactée, Mathilde Paris n'a pas encore donné suite aux sollicitations de France 3.