Les voitures volantes et les mégapoles cyberpunk, c'est surfait, tout comme les grosses boîtes de la Silicon Valley. La preuve : quatre développeurs limousins ont enfanté en début d'année d'Edgar - Bokbok in Boulzac, un jeu qui sent bon la campagne et le rouge qui tache.
L'aventure, on la reconnaît à son talent pour frapper à votre porte quand on ne s'y attend pas. Prenez Edgar, un solide et débonnaire cultivateur de courges, vivant en ermite dans un bois isolé en compagnie de Pépette, sa poule noire du Berry. La sienne, d'aventure, commence par un tranquille matin d'automne où il se retrouve à court de razidium, un élément majeur dans le vaporisateur qui lui permet d'éloigner les insectes de ses récoltes adorées. Le voilà obligé de se rendre au village voisin de Boulzac, où il se passe des choses bien étranges.
"Prendre le melon c'est facile, mais une courge ça se mérite"
Le jeu nous place donc dans la peau d'Edgar, et se révèle comme un sympathique jeu d'énigmes qui semble avoir pris ses leçons d'écriture chez Monkey Island et autre Day of the Tentacle. Si les puzzles en eux-mêmes ne montrent aucune réelle difficulté (tout juste pourrait-on espérer un peu plus de clarté dans les objectifs sur la dernière demi-heure), la force du jeu se révèle lors des dialogues loufoques avec les Boulzaciens croisés au cours de l'histoire.Depuis le maire sans scrupule jusqu'à la sympathique retraitée "miss Boulzac 1868" mais qui touche un peu à Fifa, en passant par l'alcoolique local qui pêche à la dynamite et spécialiste de la "la chasse au sanglier à coup de pare-buffles", le jeu déroule une galerie de personnages attachants. On retiendra également le gérant du bar "PUM", maître du cocktail frustré, le médecin de campagne persuadé de pouvoir soigner les maladies infectieuses au cor de chasse, ou encore l'ancien coiffeur devenu guérillero.
"On n'est que des hommes, Pépette"
Car au-delà des petits drames du quotidien dans un village comme il y en a tant, Bokbok in Boulzac raconte aussi l'histoire d'une conspiration qui cherche à asservir les habitants à des fins productivistes, et n'hésite pas à saboter ce qu'il reste de l'économie locale pour y parvenir. Au-delà des blagues facile sur le vin local, ("pas ce qu'on appelle un vin léger, mais le bon côté c'est qu'on peut s'en servir pour décaper les fours") Edgar a quelque chose de vrai, de sincère. Avec mordant, mais sans méchanceté, il dessine les inquiétudes de ces villages qui se sentent abandonnés ou en voie de l'être et de leurs habitants méfiants face aux étrangers mais croyant dur comme fer aux théories du complot. (Bon, cette fois ils ont raison.)Au fil de l'aventure, le village de Boulzac se révèle d'ailleurs lui-même comme un personnage à part entière. Ce minuscule coin d'une France qui ne sait pas qu'il est là, chez elle (pour paraphraser Kamini) devient un monde à sauver, et le souffle épique qui porte le joueur entre deux blagues, sans trop y croire, finit par avoir des accents de vérités.
Cet ancrage est d'ailleurs revendiqué par le studio, La Poule Noire, dont trois des quatre membres se sont rencontrés à l'Ecole nationale du jeu et des médias interactifs numériques (ENJMIN) d'Angoulême. Fondée en 2017 comme une coopérative, La Poule Noire sort avec Edgar - Bokbok in Boulzac un premier jeu développé depuis 2018 "dans une ambiance humaine et joyeuse". Aux antipodes des "fleurons" de l'industrie française que sont Ubisoft et Quantic Dream, empêtrés dans des scandales liés à des abus sur leur personnel.
Edgar - Bokbok in Boulzac
La Poule Noire
Sorti le 31 mai 2019