Cette voie verte longue de 67 kilomètres traverse le département de l'Orne depuis Alençon jusqu'à Nogent-le-Rotrou en Eure-et-Loir. Alice la vache nous raconte son histoire.
Partir loin du tumulte, de la vie bouillonnante et tourbillonnante, qui nous bouscule et nous chavire jusqu'à l'épuisement. En avez-vous rêvé ? Faire un pas de côté pour sortir des cadres où nous avons fini par nous enfermer. N'y avez-vous jamais pensé ?
Alice la vache a lâché la bride pour vagabonder sur la voie verte. 67 kilomètres pour contempler le paysage, faire des pauses quand bon lui semble. L'aventure à portée de pattes, elle s'en va gaiement flâner jusqu'aux anciennes gares qui bordent le chemin de la voie verte. Alice n'est pas seule, elle observe et suit à distance d'un pas aussi léger que possible la cadence d'une randonneuse.
Une jeune femme, Katia Baudoncq, sac et tente sur le dos, fait le même périple. Elle griffonne sur un cahier. Que peut-elle bien y écrire ? Elle murmure des mots comme "essentiel"et "renouer avec la nature". Une évidence que les humains ont fini par oublier. Alice marmonne en broutant quelques herbes ici et là "Je crois bien que c'est cela qu'elle est venue chercher, ici."
Le chemin de fer
Mes ancêtres m'ont dit qu'autrefois, il y avait une ligne de chemin de fer qui passait là, de Condé-sur-Huisne à Alençon. Regarder les trains à vapeur, tout le monde le sait, les vaches ont toujours aimé ça. Aujourd'hui, ils vont si vite que le temps de lever la tête du pré, ils sont déjà partis. Avant, les trains marchaient au charbon et s'arrêtaient dans les gares des petits villages. C'était bien pratique pour aller aux marchés alentour et pour se rendre à la ville.
Il y avait beaucoup de trafic avec l'embarquement des bestiaux. Il paraît que mes congénères ne sentaient pas très bon et que l'odeur qui émanait des wagons incommodait parfois les dames en gare de Mortagne.
Les gens papotaient, faisaient connaissance et quand c'était l'heure, ils cassaient la croûte. Il y avait de l'ambiance, de la vie. Les minots regardaient le paysage, le visage collé aux vitres, mais leurs parents leur interdisaient de passer la tête au-dehors pour ne pas respirer le charbon.
Le train à vapeur, c'est quand même de très, très grosses machines. Quand vous avez dix ans, ça vous paraît énorme.
Colette Duval, fille de pompier - Le Mâle sur Sarthe
Quand la voiture est rentrée dans les cours des fermes et des villages, le train a été peu à peu délaissé. Chacun a pris place dans sa jolie petite boîte roulante individuelle. Plus besoin d'attendre à la gare. L'humain allait et venait à sa guise, sans dépendre des horaires imposés. Le premier juillet 1953, le tronçon entre Mortagne et Condé-sur-l'Huisne est fermé à la circulation des voyageurs.
J'étais gamin et je vivais ça, comme un évènement malheureux parce que je savais que je ne pourrais plus emprunter cette voie pour aller à Paris.
Jean-Claude Lenoir, pdt de la communauté de communes de Mortagne-au-Perche
Dans les pâturages, le long de la voie, mes ancêtres ont attendu encore quelque temps ces trains qui ne passaient plus, puis elles ont trouvé d'autres objets de contemplation. En plein été, la nature en effervescence est un spectacle permanent.
Au fil du temps
Marguerite, la célèbre vache du prisonnier, grand tante d'Alice, a bien connu la Seconde guerre mondiale. À Mêle-sur-Sartre, chaque année, on commémore aussi le Débarquement. Pour les anciens du village, c'est d'abord l'anniversaire du bombardement de la gare de Coulonges. Un événement qui a marqué tous les esprits de la mémoire locale. L'homme qui s'échine à construire met paradoxalement autant d'ardeur à détruire ce qu'il devra reconstruire.
Pour se sentir épanoui, l'homme a besoin de se penser fort, compétitif et performant. Ceci induit rivalité, jalousie, envie.
Katia Baudoncq, réalisatrice du documentaire "La voie verte, et après"
Le temps accomplit son travail et panse peu à peu les plaies apparentes. Le pays se relève, l'industrialisation, la productivité et la consommation sont en marche. Un essor aux dépens des ressources de la nature, exploitables à souhait. Déforestation, pollution et disparition d'espèces sauvages vont de pair avec cette course du toujours, toujours plus. Les modes de vie et les paysages se modifient. L'urbanisation s'intensifie et les enfants des grandes villes n'ont parfois jamais vu une vache, exceptée cette qui meugle dans leur livre d'images ou qui s'expose à la Foire agricole.
Donner de la voie
Longtemps laissée à l'abandon, l'ancienne voie de chemin de fer est envahie par la végétation. L'exploiter pour lui donner une autre vie séduit les administrateurs des communes environnantes qui décident d'en faire un projet commun.
Je me suis dit pourquoi ne pas en faire un chemin de randonnée pour les piétons, les cyclistes et les cavaliers également.
Jean-Claude Lenoir, pdt de la communauté de communes de Mortagne-au-Perche
La SNCF joue le jeu, elle aussi, en proposant un prix de vente raisonnable, en enlevant les rails et la végétation. Le bois coupé et les traverses sont valorisés. Chacun y trouve son compte en ouvrant la voie.
Sur la voie verte
Si pour Alice la vache, le bonheur est dans le pré, pour Katia Baudoncq, il pourrait bien se trouver sur la voie verte. 67 kilomètres en solo, à la recherche d'un nouveau sens à donner à sa vie. Sept jours, des nuits à la belle étoile et de multiples étapes pour se mettre sur pause. Les kilomètres, c'est bien connu, ça use, ça use les souliers ! Et ça donne des idées !
Pour accéder à la voie verte, le pas est décidé, cadencé. Le jour 1 est noté sur un carnet et le téléphone déjà dégainé. Le soleil donne, 35 degrés tout de même ! L’ombre de sa silhouette précède la marche, mais la détermination garde le cap. Après les routes goudronnées et les patchworks de terres cultivées, la fameuse voie verte, telle qu'on l'imagine, fait son entrée dans le paysage.
De jolies rencontres
Des baladeurs à pied, à vélo, qui se saluent et qui prennent parfois le temps de s'arrêter pour un instant de partage. La démarche est néanmoins souvent solitaire. La jeune femme après un tête-à-tête acharné avec sa tente pour lui faire regagner son sac de rangement part à la rencontre d'humains plus conciliants. Des professionnels et des bénévoles qui œuvrent autour de la nature et de la biodiversité. Alix Cosquer, chercheuse en psychologie environnementale et Patrick Babin, exploitant forestier interrogent la relation de l'Homme avec le monde du vivant.
Lucille Chauvin, projectionniste Cinecyclo fait son cinéma en plein air. Une initiative originale pour donner de soi, tout en étant en lien intense avec le temps présent. Un échange de bons procédés pour la bonne cause parce que ce sont les petits ruisseaux qui font les grandes rivières.
Auprès de mon arbre
La communauté des arbres est riche d'enseignements. Petit ou grand, il vit au fil des saisons et comme le souligne le journaliste Jean-Marie Foubert, il s'accorde "des blancs dans son emploi du temps.". "L'hiver, il se repose, il n'est pas mort, il sait qu'il y aura un nouveau printemps."
L'alignement des haies, des prairies autour, des rivières, m'apportent une très grande sérénité. Comme une paix intérieure qui me faisait défaut jusque-là.
Katia Baudoncq
Une reconnexion au vivant, une relation à la nature pour un nouveau souffle, une nouvelle inspiration. Les pieds ancrés dans la terre, trouver cet équilibre qui nous fait parfois défaut. Se centrer dans l'énergie de la nature et lâcher prise.
Les sens en éveil s'ouvrent à la perception du monde et des silences habités par la faune et la flore. Déconnectée des réseaux et des éléments perturbateurs, l'attention retourne à la source.
Avec la légèreté d'un papillon, trouver l'élan pour se poser dans la main de mère nature, sans lui blesser le bras. Elle peut se passer de nous, mais nous priver d'elle, faut-il le rappeler, nous ne le pourrons pas.
"La voie verte, la vie d'après", un documentaire de Katia Baudoncq, produit par La boîte à Songes et France 3 Centre-Val de Loire à voir ce jeudi 1er février 2024 à 23 h. Un film à voir en avant-première ou en replay sur le site de france.tv