"C'était n'importe quoi" : à Dreux, les salariés d'Intelcia dénoncent l'inertie de l'entreprise face au coronavirus

Plusieurs témoignages concordants dénoncent un manque de communication et d'organisation face à la crise du coronavirus. L'entreprise dément en bloc.

14 mars. Edouard Philippe annonce la fermeture de tous les commerces considérés comme non essentiels à la vie du pays. Au moment où il parle, quelque 4500 cas ont été détectés en France. 91 morts. La ligne est encore floue pour certaines activités, qui se demandent quelle attitude adopter.

"Nous, quand Macron a parlé, on a reçu un mail RH expliquant qu'on était une entreprise privée donc qu'on n'avait pas le choix de venir travailler". Emmanuelle* travaille pour l'entreprise Intelcia, un prestataire basé à Dreux qui fait travailler des téléconseillers dans plusieurs secteurs, notamment les assurances. Avec environ 600 personnes réunies sur un même site, le risque est pourtant assez élevé.


"C'était un désinfectant pour chaussures"


"On est venus lundi, et il n'y avait rien de fait, c'était n'importe quoi. On n'avait pas de masques, pas de gants... Le désinfectant qu'on nous a donné pour nettoyer nos postes, c'est un désinfectant pour chaussures."

La jeune femme envoie une photo du produit utilisé, un aérosol de la marque Ront, dont la notice stipule : "Le Désinfectant EPI, des laboratoires Ront, vise à désinfecter et à désodoriser l’intérieur de vos chaussures, de vos gants ou bien encore de vos casques. Ce désinfectant se pulvérise et élimine complétement toutes les bactéries et les champignons dans vos affaires." Peu efficace, donc, pour lutter contre un virus.
 
A leur arrivée, les employés sont placés un poste sur deux, pour respecter l'espacement d'un mètre entre les personnes. "Mais la politique, on nous l'a clairement dit, c'était premier arrivé, premier servi. Certains se sont retrouvés sans poste, donc ils ont dû retourner chez eux, ou attendre que d'autres finissent leur journée. Ils ne savaient même pas s'ils allaient être payés. On leur a dit qu'on verrait ça plus tard."

Avec le manque de mesures sanitaires, le stress gagne les employés, et des rumeurs de cas de coronavirus se répandent dans l'entreprise. "J'ai une collègue dont le mari est en suspicion de contamination et confiné. Elle a prévenu nos supérieurs, mais ils n'ont pas réagi, elle a dû nous envoyer des messages elle-même, au cas par cas, pour nous prévenir" s'indigne l'employée.

"Concrètement, s'il y avait un cas, je ne sais pas si je serai mise au courant tout de suite" s'agace Céline, qui travaille dans le même service. Contactée, la communication d'entreprise confirme à France 3 quatre suspicions de cas dans l'entreprise, dont aucun n'a pour le moment été confirmé.
 

Intelcia refuse le droit de retrait


Elle et sa collègue Sylvie confirment point par point la version d'Emmanuelle. Selon ces témoignages concordants, l'entreprise finit par mettre en place un système de télétravail, sur demande des salariés. Dans le mail cité par Emmanuelle et consulté par France 3, l'entreprise prévenait tout de même : "le travail à distance sera déployé au fur et à mesure sur les projets qui le permettent", sans préciser la nature de ces "projets".

Dans le même document, on trouve cependant cet échange :


"Ne faudrait-il pas ne prendre aucun risque, et fermer nos sites, mettre tous les collaborateur au chômage partiel ?
 
Ce n’est pas possible car nous avons de l’activité. De ce fait, à date, le chômage partiel ne sera pas pris en compte."


Intelcia refuse également à ses salariés le droit de retrait, arguant : "Quelles que soient les craintes que les salariés peuvent avoir, dans la mesure où l’activité économique d’entreprises telles que la nôtre n’est pas interdite, cela confirme que gravité et imminence ne sont pas réunis." il est précisé qu'un salarié faisant valoir un droit de retrait "ne sera pas rémunéré". Pour les personnes fragile ou parents d'enfants de moins de 16 ans, des procédures spécifiques sont prévues. 
 

Le télétravail, un processus encore houleux


"Ils ont proposé un test de télétravail avec cinq collègues, mais ça n'a finalement pas fonctionné. Ils nous ont envoyé chez nous avec 20 pages d'explications pour l'installation des logiciels, et c'est à nous de tout installer" décrit Emmannuelle.

"On ne nous a pas vraiment aidé, c'est nous avec nos propres moyens. Moi, ça ne fonctionne pas pour l'instant. Je ne sais pas comment ça va se passer à long terme, il n'y a aucune communication, c'est toujours nous qui devons revenir vers eux"
confirme Céline*.

"On n'a pas d'attestation écrite, s'inquiète Sylvie*. On a simplement eu des confirmations orales comme quoi on serait payé à 100%, mais notre contrat ne prévoît cette situation et on n'a pas signé d'avenant."
 

La direction dément point par point


Malgré la cohérence de ces différents témoignages, Intelcia dément point par point. La direction de la communication évoque de son côté "une situation exceptionnelle, où chacun va aussi vite qu'il peut." Le directeur d'Intelcia France et directeur par intérim du site de Dreux, Yves Cornette, est revenu plus en détail sur le sujet. Voici sa réponse. 

"Nous avons commencé à nous renseigner auprès de nos donneurs d'odres il y a une quizaine de jours, pour voir comment pourrait fonctionner le télétravail. Jusqu'à présent, nous avions tout fait sur site, conformément au RGPD, puisque nous traitons des données d'ordre privé. Nous avons pu convaincre nos clients de faire le test, et nous restons dans les règles. (…)

Nous avons accéléré ce processus après les annonces d'Emmanuel Macron. Mais le gel était sur place depuis bien longtemps, ainsi que l'affichage, les lingettes et le désinfectant, qui c'est vrai présente entre autre sur l'étiquette des chaussures de sécurité.

Nous avions effectivement trop de monde pour faire une place sur deux, mais les personnes qui ont été renvoyées chez elles seront bel et bien payées et en ont été informées.

Nous continuons le déploiement des postes de travail à distance, une hotline a été mise en place pour accompagner ces personnes. Chaque configuration est différente, au lieu d'une demi-heure il a parfois fallu passer une heure ou plus avec les collaborateurs. Mais aujourd'hui, sur le site de Dreux, 105 personnes sont connectées à distance, elles seront 180 d'ici vendredi.

Concernant les avenants, ils ont été signés à 55%. Il reste des personnes qui n'ont pas pu revenir sur le site, qui n'ont pas encore signé leur avenant, mais il leur est bien parvenu.

Notre politique est la suivante : tout ce qu'on peut faire en télétravail, on le fait. Nous sommes en ligne directe avec le sous-préfet, la DIRECCTE, la médecine du travail. Aujourd'hui, il y a certainement quelques personnes qui ne sont pas assez rassurées et qu'il faudra rassurer davantage."

 
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