"Aujourd'hui mes copains criaient +Macron démission+. Mais pas moi, j'étais pas d'accord donc j'ai pas crié", raconte Adam, 6 ans. Depuis le début de la mobilisation des "gilets jaunes", le mouvement social inspire les plus petits, qui s'approprient le débat.
Aux côtés du foot et de la balle au prisonnier, une nouvelle mode a surgi à la récré: on joue désormais aux "gilets jaunes" contre les CRS. "Les +gilets jaunes+, c'est les méchants. Ils cassent les vitrines. Alors on fait la bagarre entre les méchants et les policiers. Moi je préfère être +gilet jaune+ que policier, j'aime pas courir", poursuit Adam, en CP dans une école du VIIIème arrondissement de Paris, quartier touché par des dégradations lors des manifestations.
Quand les enfants jouent aux “gilets jaunes et aux CRS”
On entend des +Macron démission+ à longueur de journée dans la cour, et même en classe,
confirme Emma (le prénom a été modifié), professeure de CE1 en réseau d'éducation prioritaire renforcé (Rep+) à Dreux (Eure-et-Loir). "Macron démission", c'est le nouveau refrain à la mode dans les cours d'école, référence à la chanson intitulée "Gilet jaune" et interprétée par Kopp Johnson, dont le clip a été visionné plus de 17 millions de fois sur la plateforme de streaming YouTube. "On a été obligé d'interdire ces chants, en leur expliquant qu'ils n'avaient pas à dire cela, qu'ils n'étaient pas encore électeurs", poursuit Emma. "Beaucoup d'enfants me disent: +Si je sors vite, Maman m'a promis qu'on irait voir les gilets jaunes+. Ils veulent faire des selfies avec eux, voir les camions qui klaxonnent. C'est l'attraction du quartier", raconte la professeure, dont l'école se situe à quelques centaines de mètres d'un rond-point investi par des "gilets jaunes".
Selon la pédopsychiatre Marie-Rose Moro, rien d'étonnant à ce comportement né après l'acte premier du mouvement le 17 novembre: "Ce qui préoccupe la société arrive dans les cours d'école", dit-elle à l'AFP. "Plus le réel est violent et inquiétant, plus les enfants essaient de l'apprivoiser par leurs jeux, leurs mises en scène et leurs discussions"."C'est qui le méchant ?"
Dans l'école d'Inaê et Louise, 9 ans, les "gilets jaunes" ont inspiré une pièce de théâtre dans laquelle les élèves doivent inventer des lois "qui révolteraient les enfants, comme supprimer la récréation", explique Louise. "On fait ça pour comprendre qu'il y a des bonnes raisons pour lesquelles ils manifestent, et des mauvaises raisons", renchérit Inaê, scolarisée, comme sa copine, dans le XXème arrondissement de la capitale, et qui en a "un petit peu marre des manifestations".Safa, 5 ans, élève à Saint-Gratien dans le Val d'Oise, trouve, elle aussi, les "+gilets jaunes+ pas très gentils" depuis qu'un camion qui devait livrer des repas pour sa cantine a été bloqué par la mobilisation. A la sortie de l'école, les questions continuent: "Lorsqu'on a tenté d'expliquer la situation à notre fille, sa réaction a été +C'est qui le méchant?+.C'est finalement
assez complexe d'expliquer cela et de parler pour la première fois politique avec notre fille de 5 ans", constate Clémentine, mère d'une élève en grande section de maternelle à Dijon (Côte-d'Or). "Quand je fais la manif chaque samedi, mes enfants se demandent +mais Maman, elle va rentrer comment? Défigurée?+" remarque quant à elle Pauline, "gilet jaune" à Saint-Etienne (Loire). Pour calmer les inquiétudes des enfants, Marie-Rose Moro conseille "de leur parler sincèrement de tout, sans tabou, y compris de la violence et de ce que demandent les gilets jaunes".
En classe, certains enseignants décident d'ailleurs de discuter directement du mouvement avec leurs élèves. "Je leur ai expliqué la différence entre +gilets jaunes+ et casseurs. A regarder les images à la télé, c'était un peu confus pour eux", explique Stéphanie, enseignante à Salbris (Loir-et-Cher).
D'autres, comme Cécile, professeure des écoles près de Biarritz (Pyrénées-Atlantiques), préfèrent "ne pas trop en parler" pour éviter un débat "qui devient vite politique".
En attendant, du haut de ses huit ans, Margaux, élève à Bidart, dans le sud-ouest, n'a qu'une idée en tête: le carnaval. "Le thème c'est la mer, alors on va tous défiler comme les +gilets jaunes+ mais avec des gilets bleus et écrire +Non à la pollution+ dans le dos".