En manque de reconnaissance et sans augmentation de leurs tarifications depuis quinze ans, les infirmiers libéraux se mobilisent nationalement pour crier leur colère. La profession a un rôle majeur dans la médecine de ville, notamment dans des déserts médicaux.
"On vit en absurdie", voilà comment Diane Desobeau, infirmière libérale résume la situation. Depuis 2009, les actes qu'elle réalise n'ont pas été revalorisés. "Une prise de sang, c'est 6,08 euros" détaille-t-elle. Dont la moitié disparaîtra dans diverses charges.
La base de rémunération dépend d'une "lettre clé AMI", fixée à 3,15 euros. Une nomenclature particulièrement complexe détaille ensuite la rémunération de chaque acte pouvant être réalisé par une infirmière.
Le même tarif depuis 2009
Pour celles qui peuvent faire jusqu'à 300 km par jour, la seule augmentation tient dans les 25 centimes bruts accordés début 2024. Ce, pour le forfait de chaque trajet. "Environ 5 euros par jour, à la fin du mois, ça représente un plein d'essence" souligne Sonia Ferré, présidente régionale du conseil de l'ordre des infirmiers.
"Le gouvernement nous ignore", ce qui énerve profondément Diane Desobeau "on n'existe pas, on crève". C'est pour cette raison que le collectif "Infirmiers en colère" a décidé d'organiser une première journée de mobilisations, ce lundi 12 février. Plusieurs opérations escargots ont notamment eu lieu comme à Dijon par exemple.
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— Infirmiers Libéraux en Colère (@Idelencolere) February 11, 2024
En manque de reconnaissance
"On voit la vraie vie, les frigos pourris, les gens n'ont pas toujours fait leur toilette". Au quotidien, Nadine Moulard passe du château au taudis, et ce n'est pas forcément le premier le plus propre.
Elles ont toutes un point commun, l'amour de leur métier "je n'arrive pas à vous dire que tout va mal" admet cette représentante de la Fédération Nationale des Infirmiers. Des bons côtés, il y en a "si je n'étais pas prise en charge par la sécurité sociale, je ne serais sûrement pas payée, parce que les gens que je vois n'ont pas les moyens". Les difficultés sociales, elle les voit aussi au quotidien "mes patients sont plus malheureux que moi". Pourtant, elle vit sous la chape d'une reconnaissance absente.
Les gens imaginent qu'on arrive, on fait une piqure, et on repart. C'est loin de la réalité.
Diane Desobeau, infirmière libérale en Eure-et-Loir
"On tient un rôle majeur dans la médecine de ville" souligne Diane Desobeau "mais on est considérées comme les petites mains". Pour les personnes âgées ou atteintes maladies chroniques, elle est parfois le seul contact extérieur.
Lors de son passage, l'infirmière tombe parfois sur des situations d'urgences. Il faut alors contacter le SAMU, rassurer la personne, mais aussi appeler les proches, le médecin traitant. Autant de choses qui prennent du temps, ne lui seront pas payées et qui, pourtant, arrivent tous les mois.
Exemple, selon elle, de situations ubuesques : le cas de pansements. L'infirmière libérale est désormais autorisée à prescrire tout le nécessaire pour panser une plaie, mais ne pourra réaliser l'acte que sur ordonnance d'un médecin "qui n'y connaît rien dans le domaine et qui a autre chose à faire".
Une paperasse qui insupporte
Au quotidien, la profession fonctionne avec une nomenclature. Un acte est égal à une rémunération. Enfin, pas totalement. "Pour retirer des points de suture par exemple, il y a deux tarifications. C'est 6.30 euros bruts si je fais moins de dix points, mais 12.60 euros à partir de onze" détaille Diane Desobeau. Une aberration à ses yeux "c'est exactement le même travail".
Chaque acte doit être prescrit et donc bien renseigné sur l'ordonnance médicale. Ce qui donne parfois lieu à des confusions. Il n'est donc pas rare, pour les infirmières, de devoir rappeler le médecin. Celui-ci devra refaire l'ordonnance correctement. Dans le cas contraire, le risque est d'être retoqué par les services de la sécurité sociale et de devoir rembourser des prestations considérées comme indues.
On est en perpétuelle rechercher de prescriptions médicales.
Sonia Ferré, présidente régionale du conseil de l'ordre des infirmiers
Dans un désert médical comme la région Centre-Val de Loire, le quotidien ressemble parfois à une course à l'ordonnance. Médecin en vacances, absent, ou qui prend sa retraite, qui va alors renouveler la permission d'effectuer les soins ? "Pour des patients qui ont des soins de longue durée, on ne peut pas se permettre de les arrêter, alors on continue, en espérant que ça arrive vite" explique Sonia Ferré.
Une profession difficile à mobiliser
"On est en grève sur la blouse" reconnaît-elle. En réalité, ce métier "passion" regorge de professionnelles pour qui la patientèle prime sur les revendications. "Alors jusque-là, on était dans notre coin, on ne disait rien" affirme Diane Desobeau. Aujourd'hui, les infirmières interrogées l'assurent, si elles veulent se battre, c'est aussi pour que les patients puissent continuer d'avoir des soins et ne pas vivre "un désert paramédical", dans lequel plus personne ne voudra exercer la profession en libéral.
Face à un quotidien rempli de kilomètres avalés, d'une tournée souvent minutée, les infirmières souhaitent aussi faire reconnaître la pénibilité de leur métier. "Notre retraite à taux plein est fixée à 67 ans" détaille la présidente régionale du conseil de l'ordre. "Ce n'est pas évident de porter parfois les patients qui ne sont pas toujours mobiles, pour pouvoir effectuer certains soins" poursuit-elle.
Ce sont les politiques successives qui pourrissent tout.
Nadine Moulard, infirmière libérale
Nadine Moulard, elle, ne veut pas tout voir en noir. Elle souhaite avant tout "que chacun se concentre sur son cœur de métier, je ne suis pas médecin, ni pharmacienne". Tout juste formée, elle peut désormais faire un certificat de décès pour certains patients, "mais que ceux que je connais, je n'irai pas constater la mort de quelqu'un que je n'ai jamais suivie". Pour les personnes âgées, qu'elle savait en fin de vie, c'est en revanche une nouvelle casquette qui lui permet de ne plus attendre des heures qu'un médecin soit disponible.