Frelons asiatiques : sans aide de l'État, les particuliers restent démunis

Les frelons asiatiques continuent de proliférer en France. Les particuliers confrontés à l'installation d'un nid doivent mettre la main au portefeuille pour les détruire. Une dépense rédhibitoire pour les personnes aux faibles revenus, qui laissent les colonies prospérer.

"J’étais assis dans mon 'relax', tranquille, dans mon jardin et je regardais mon chêne". Les premiers mots de Patrick Legout, un sexagénaire coulant une retraite tranquille dans un lotissement de Mainvilliers, en Eure-et-Loir, pourraient aisément passer pour une énième technique de développement personnel. La suite porte malheureusement moins à la méditation. En levant les yeux vers la cime de son chêne bien-aimé, l’homme aperçoit "une boule". "Bien ronde. Vous voyez un ballon de basket ? Eh ben c’était beaucoup plus gros", décrit-il. Après quelques recherches, le verdict tombe : il s’agit d’un nid de frelons asiatiques. La bestiole, appelée aussi frelon à pattes jaunes ou vespa velutina nigrithorax pour les scientifiques, est arrivée accidentellement en France en 2004. Depuis, elle a colonisé l’ensemble du territoire français, en a franchi les frontières et s’étend désormais en Europe.
 
Ces frelons asiatiques sont partout, sont terriblement agressifs (en particulier à proximité de leurs nids) et – surtout – sont friands d’abeilles, qui n’avaient pas franchement besoin de ce nouveau fléau. Les ravages de l’insecte sont tels qu’il a été inscrit sur la liste des espèces exotiques envahissantes préoccupantes pour l’Union européenne.
  


Flou législatif


Patrick Legout, ne sachant que faire, se tourne alors vers la mairie de sa commune qui lui transmet une liste d’organismes agréés, aptes à réduire à néant ses indésirables hôtes bourdonnants. Mauvaise surprise : les montants affichés par les professionnels – entre 150 et 200 euros – ne lui permettent pas de s’offrir l’hécatombe tant attendue, petits revenus oblige. Mais ne lui ôtent pas toute velléité. Notre retraité, après quelques recherches, tombe sur d’obscurs sites internet affirmant qu’un décret en date d’avril 2017 imposait aux préfets de prendre en charge la destruction des nids de frelons asiatiques.

Ni une ni deux, notre homme prend sa voiture direction Chartres, déboule à la préfecture, raconte son histoire, brandit son décret et… rien ne se passe. "Ça n’a pas eu l’air d’émouvoir grand monde", commente-t-il, dépité. Et pour cause : le décret qu’il cite existe bel et bien mais sa formulation reste très ambiguë sur les questions de financement.

"C'est une intox!"


Alors qu’en est-il ? Après avoir vainement tenté de joindre les administrations publiques du Centre Val-de-Loire, le Fredon (Fédération régionale de défense contre les organismes nuisibles) de la région, les différentes préfectures et le ministère de la Transition écologique (qui, rassurez-vous, a "bien enregistré notre demande"), la lumière est venue du Museum national d’histoire naturel (MNHN) où travaille Quentin Rome, entomologiste pour  l’Agence française pour la biodiversité (AFB). "Non, les préfectures n’ont aucune obligation de rembourser les interventions, c’est une intox !, assure-t-il. En réalité, le préfet a la possibilité de mettre en place un plan de lutte local, il peut mandater un organisme habilité à intervenir chez les particuliers mais rien s’est précisé concernant un quelconque financement".
 


"Vouloir éradiquer l’insecte est illusoire"


Si le nid représente un danger pour la population, il peut cependant être détruit gratuitement par les pompiers. Ce n’est pas le cas chez Patrice Legout qui continue de scruter la colonie de frelons asiatiques résolument accrochée aux branches de son chêne. On est bien loin de la belliqueuse "stratégie nationale" annoncée dans un rapport du ministère de l'Environnement publié le 29 mars 2017, qui préconisait la mise en place urgente de "mécanismes nationaux". Quelques départements comme les Alpes maritimes ou la Somme proposent aujourd’hui de détruire gratuitement les nids. Quelques communes aussi. Mais tout cela reste soumis au bon vouloir des autorités locales. "De toute façon, la prise en charge de la destruction des nids n'aurait rien changé, lâche Quentin Rome. C’est un peu illusoire de penser qu’on peut réguler ou éradiquer cet insecte. Quand on l’a découvert fin 2005, un an après les premières observations, on s’est aperçu qu’il était déjà présent dans 13 départements."

Un constat pessimiste que ne partage pas Éric Darrouzet. Cet enseignant chercheur à l’Université de Tours en connaît un rayon sur les frelons asiatiques : il les étudie depuis 2007. Lui verrait d’un bon œil la gratuité de la destruction des nids. "Vu le coût que représente leur destruction pas mal de gens hésitent un peu en voyant ce que ça va leur coûter, et si les nids ne représentent pas de risque particulier, ils laissent tomber, explique-t-il. Le risque, c’est de les laisser proliférer". Certains téméraires sont même tentés d’intervenir eux-mêmes. C’est ce qu’aurait fait notre vaillant retraité Patrice Legout si le nid n’était pas situé si haut. Une aventure dangereuse : les frelons peuvent attaquer par centaines et piquer une bonne dizaine de fois chacun.
 


Un credo : "sélection et efficacité"


Bien qu’aucune politique d’aide à la destruction des nids n’existe, l’État n’est pour autant pas désengagé dans la lutte contre ce nuisible. La preuve : la Région Centre finance depuis 2011 les études menées par Éric Darrouzet. Études qui portent sur la conception de pièges "sélectifs et efficaces", deux adjectifs sur lesquels insiste le chercheur. Selon lui, les quelques dispositifs commercialisés ne remplissent pas ces deux critères. "Il n’y a aucune démonstration scientifique concernant leur efficacité et le fait qu’ils ne piègent que les frelons asiatiques", martèle-t-il.

Son laboratoire travaille sur plusieurs pistes prometteuses en la matière : des pièges répulsifs visant à protéger des sites – ruches, écoles, etc. – en utilisant leur phéromone d’alarme (l’hormone qu’ils sécrètent quand un danger est détecté) et d’autres installations visant à attirer dans des pièges le maximum d’individus en utilisant leur odeur. Ces deux dispositifs ont l’avantage d’éviter le piégeage d’autres insectes dont les populations décroissent de façon exponentielle. Une troisième piste à l’étude veut lutter contre l’espèce en s’attaquant aux capacités reproductrices des mâles. "D’ici deux ans, espère le chercheur, on pense mettre sur le marché des pièges réellement efficaces". Patrice Legout, dans son 'relax', va pouvoir continuer d'observer son nid pendant quelques temps encore.
 
"Bombe environnementale"
Un autre problème majeur est pointé par Éric Darrouzet : l’utilisation de pesticides pour détruire les colonies, seule solution actuellement proposée par les professionnels. "Un nid gorgé de pesticides, pour moi, c’est une bombe environnementale. Une fois les frelons morts, d’autres insectes viennent dans le nid et s’intoxiquent… sans parler des oiseaux qui vont les consommer", explique-t-il. L’Institut de biologie sur les insectes (Irbi) de l’université de Tours recommande à ce titre de ne laisser le nid en place que 48 heures maximum après l’injection de pesticides puis de le décrocher avant de le détruire. Ce qui nécessite une seconde intervention et n’est que rarement appliqué...
 
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