L'association du Train de Rillé, en Indre-et-Loire, organise tous les ans un stage d'initiation pour apprendre à conduire une locomotive à vapeur. Aucun besoin de compétences de base ou de diplômes particuliers. La curiosité et la passion suffisent.
Il fait 35 degrés sous les arbres, à quelques mètres du lac de Rillé. C'est la canicule, ce mardi 30 juillet. Là, à une cinquantaine de kilomètres à l'ouest de Tours, des intrépides ont décidé de braver la chaleur accablante pour venir conduire deux locomotives à vapeur.
Des locomotives modèles réduits, certes. Les deux machines entretenues par l'AECFM, association qui s'occupe du Train de Rillé, roulent sur des rails à écartement de 60 cm. En comparaison, l'écartement des rails sur les grandes lignes de la SNCF est de 1,435 mètre.
Mais des locomotives quand même, qui n'aident pas à trouver de la fraîcheur sous la météo de plomb qui s'est abattue sur la Touraine. "C'est physique ! Il fait encore plus chaud à côté de la chaudière, on est dégoulinant", lance Christophe Corby.
"Les locos à vapeur, c'est le summum"
Malgré ces conditions pas franchement favorables, il affiche un sourire ravi. Car, ce jour-là, il conduit pour la première fois une machine à vapeur, une vraie. Un cadeau pour ses 40 ans, de la part de ses parents et ses amis :
C'est génial ! J'aime ce qui est mécanique, et les locos vapeur, c'est le summum. on voit toutes les pièces qui bougent entre elles, on entend la chaudière dans les cyclindres, qui bat comme le rythme cardiaque d'une personne.
Christophe Corby, stagiaire mécanicien
Comme cinq autres personnes, Christophe participe à un stage, organisé chaque année par l'association du Train de Rillé. La formation dure quatre jours.
Tous les matins, pendant que les machines chauffent, le président de l'asso, Jean David, rappelle toutes les consignes et les normes à respecter par les conducteurs en herbe. Il s'agit quand même de faire monter en vitesse une cocotte-minute sur roue, remplie de vapeur sous pression, chauffée par des kilos de charbons brûlants. Rien que ça. "On est très à cheval sur la sécurité", assure Alain Vieu, membre de l'association et chef de gare.
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Et le fonctionnement de la machine en elle-même n'est pas des plus simples. "Il y a beaucoup d'informations à retenir, ce n'est pas du tout intuitif le maniement d'une loco à vapeur", souffle Marc Lassagne, stagiaire également, dans la même cabine que Christophe. Ce "passionné de chemin de fer depuis tout petit", qui vit entre Paris et Dijon, s'est aussi vu offrir le stage pour son anniversaire, ses 50 ans.
Reine-Marie et Pierre-Michel Bergé ont, eux, fait le voyage depuis Toulouse. Eux aussi sont "passionnés de train", et ont choisi Rillé parmi toutes les assos de chemin de fer touristique de France. "Le stage dure plusieurs jours, c'est ce qu'on cherchait pour pouvoir bien tout manipuler", explique Reine-Marie.
Beaucoup d'informations à retenir
Ce jour-là, Marc est le chauffeur. "Je suis chargé de l'allumage le matin, d'alimenter le foyer en charbon, de surveiller la pression dans la chaudière et le niveau d'eau", détaille-t-il. Christophe est le mécanicien. Plus trivialement, le conducteur, qui fait avancer ou reculer le train avec une poignée, qui règle la pression vapeur à envoyer dans le mécanisme, et qui freine. Et, privilège suprême, c'est aussi lui qui peut jouer avec le sifflet de la locomotive.
Car, après la matinée de théorie, les stagiaires passent à la pratique dès l'après-midi. Emballés dans leur bleu de travail, mains dans les gants et gants dans le cambouis, Christophe et Marc grimpent dans la cabine de la bête, largement ouverte sur l'extérieur mais où la température grimpe d'un coup de bien 10 degrés. Ils sont accompagnés de Benoît David, fils du président de l'asso, cheminot à la SNCF et formateur de futurs conducteurs de locos à vapeur sur le Train de Rillé. "Heureusement qu'il est avec nous", lance Marc Lassagne.
Le tour de la ligne dure une grosse demi-heure. Créée en 1977 sur une ligne à Marcilly-sur-Maulne (le M dans AECFM, c'est pour Marcilly), l'association a déménagé à Rillé en 1990. Au fil des ans, un tracé de 2 kilomètres est réalisé à partir de rien, le long du lac, offrant une balade bucolique aux passionnés et aux touristes de passage. Chaque année, entre 5 et 6 000 voyageurs embarquent à bord du petit train de Rillé.
Une affaire de famille
Embarquer des touristes sert surtout à entretenir le matériel. "Ça coûte cher ! Une chaudière neuve, c'est 100 000 euros", précise Jean David, le président de l'association, qui se retrouve à l'équilibre chaque année. Lui était là dès la fondation, dans les années 70, et en a pris la tête en 2008. Il est fils et petit-fils de cheminot, père de cheminot... "Même moi, je l'ai été un temps après mon service militaire". Il a ensuite embrassé une carrière de professeur, avec comme "b.a.-ba la transmission aux autres".
Mission réussie, puisqu'il semble avoir pu transmettre sa passion du train à son petit-fils Thomas, 14 ans, qui conduit déjà des trains à Rillé et est même formateur des stagiaires. L'adolescent aussi est sous le charme de la locomotive à vapeur, "moins moderne, avec le mécanisme, je trouve ça beaucoup plus beau". Il dit aussi aimer venir à Rillé "parce que c'est familial". Ce qui ravit son grand-père :
Le chemin de fer, c'est une aventure collective. La vie passe, c'est important de pouvoir se retourner et se dire : "J'ai tel âge, et on a fait ça ensemble." Je suis content.
Jean David, président de l'AECFM
Transmission encore lorsqu'il s'agit de donner la chance à des amateurs de venir conduire des locomotives à vapeur, sans compétence préalable nécessaire, sans diplôme demandé, sans rien. "Il n'y a aucun prérequis, juste l'amour, la passion du train, et l'envie de découvrir et tenter une expérience", assure Catherine Jubault, la trésorière de l'association. Enfin, presque aucun prérequis... "Il faut que ce soit un adulte, en bonne santé... Il ne fait pas toujours aussi chaud qu'aujourd'hui, mais les conditions sont drastiques pour les stagiaires dans la locomotive ! Il faut de bons paramètres cardio-vasculaires."
À la fin de la formation, les stagiaires reçoivent un diplôme en bonne et due forme, reconnaissant les compétences acquises. L'État ne reconnaît pas le morceau de papier, mais le diplôme a une valeur au sein du réseau associatif de chemins de Fer en France.
Une marque de confiance permettant aux diplômés d'aller piloter de la loco à vapeur ailleurs dans l'Hexagone, comme sur le train touristique de Pithiviers par exemple. Et les demandes sont nombreuses, et viennent de toute la France, les formations se faisant rares. L'association prévoit d'autres stages au mois d'août, et attend les candidatures pour ceux de l'année prochaine.
Sur le réseau ferré national, les locomotives à vapeur ne roulent plus depuis 1974. Et sont désormais reléguées aux musées, aux casses, ou aux associations de passionnés, qui entretiennent ce patrimoine.