Le gyotaku est l'art japonais consistant à fixer l'empreinte d'un poisson, le plus souvent sur un support de papier très fin ou de tissu. Graphiste de formation, Sylvain Garrigues, alias Darkoï, s'est pris de passion pour cette technique très délicate, et réalise des gyotakus dans la plus pure tradition japonaise, sans retouche. Installé à Savonnières, il consacre logiquement une grande partie de son œuvre aux poissons du fleuve royal.
Imaginé au milieu du XIXè siècle par des pêcheurs japonais soucieux d'immortaliser une prise exceptionnelle, le gyotaku consistait à reproduire l'empreinte d'un poisson sur un bout de papier ou de tissu, à l'aide d'encre de seiche. Accompagné d'une "fiche technique" (lieu et date de la prise, nom, taille et poids du poisson), voire d'un petit poème, le gyotaku, ou ichtyogramme en français, est peu à peu devenu un courant artistique, assez confidentiel mais très codifié, avec de grands maîtres et des élèves un peu partout dans le monde...jusqu'à Savonnières, en Indre-et-Loire, ravissante commune que le Cher traverse juste avant de se perdre dans la Loire.
Pour Sylvain Garrigues, la découverte, il y a 6 ans, de l'art du gyotaku a été une véritable révélation. Il faut dire qu'il avait de bonnes prédispositions :
"J'étais graphiste, mais aussi japonophile, amateur de culture japonaise, et puis pêcheur...J'ai découvert le gyotaku en visitant avec ma femme une expo à Paris consacrée à l'art au Japon en général. J'ai aussitôt décidé de m'y mettre, seul, et j'ai réalisé pas mal de pâtés pendant un an ! Il s'agit d'une technique très précise, rigoureuse et je me suis décidé à suivre un stage chez un maître qui m'en a enseigné les principes et les codes. J'ai rencontré d'autres maîtres et intégré l'association Gyotaku Art Europe."
Devenu Darkoï, Sylvain met un point d'honneur à pratiquer le gyotaku dans les règles de l'art, dans la plus pure tradition japonaise :
Certains font des empreintes succinctes, puis redessinent à la main, ce qui est formellement interdit. Il doit s'agir de l'empreinte directe, on ne touche pas à la moindre écaille ! La seule exception concerne l'œil : il n'y a pas d'encre à son emplacement, ce qui donne une pastille blanche après l'empreinte. On peint alors l'œil, pour redonner vie au poisson, comme le veut la tradition.
Darkoï, artiste Gyotaku
L'interdiction des retouches ne simplifie pas vraiment la tâche de l'artiste, il est plus difficile de parvenir à un résultat satisfaisant sans artifices. Mais cette règle garantit aussi la pureté, la vérité et l'émotion de l'empreinte.
Rendre hommage à la nature et respecter l'animal
En bon ligérien, l'artiste de Savonnières ne pouvait évidemment manquer de s'atteler à la réalisation de gyotakus avec des poissons de Loire. Il a fini par nouer un partenariat avec deux grands professionnels, spécialistes de cette faune aquatique : le pêcheur Romain Gadais et le chef cuisinier Ambroise Voreux, tous deux de Bréhémont, à quelques encablures en aval sur la Loire :
"Lorsqu'un poisson rare ou très beau est pêché, Romain me téléphone, je vais chercher l'animal et en fait un gyotaku sans tarder, de préférence à l'encre de seiche. Je lui ramène le poisson, qui est ensuite travaillé en cuisine par Ambroise. Je suis très fier de ce cercle vertueux. Il reprend en tous points la démarche initiale des pêcheurs japonais, souhaitant rendre hommage à la nature, la remercier, tout en valorisant la partie gastronomique. Cela n'aurait pas de sens de jeter un poisson après avoir pris son empreinte, le respect de l'animal est primordial dans le gyotaku."
Précisons que si Darkoï travaille de plus en plus avec de l'encre de seiche, c'est encore pour se fondre dans la tradition, s'approcher du gyotaku authentique, et non pour pouvoir consommer le poisson : même passé à l'encre de Chine, l'animal reste comestible, il suffit de le rincer, puis de l'écailler.
L'île d'Oléron pour la faune marine
Pas question, toutefois, pour sylvain de se limiter aux poissons de rivière, la faune marine recèle beaucoup trop de merveilles naturelles ! Oléronais d'adoption, il a noué le même partenariat avec un pêcheur professionnel à la ligne et un couple de restaurateurs :
Sébastien Gas pratique l'Ikejime, une méthode japonaise de mise à mort du poisson avec une longue aiguille qui permet d'abréger ses souffrances et de faciliter sa conservation. Expert en faune marine, il me signale des prises exceptionnelles par leur taille, ou rares, pour les immortaliser. Avec le réchauffement climatique, il attrape des espèces là ou, normalement, elles ne devraient pas se trouver. Pour moi, c'est particulièrement intéressant, car on en revient à l'essence même du gyotaku, référencer le poisson, en garder une trace.
Darkoï, artiste gyotaku
Darkoï multiplie aussi les expérimentations en diversifiant les supports pour ses gyotakus : il apprécie par exemple la transparence du papier-calque, dont plusieurs feuilles collées l'une sur l'autre évoquent les profondeurs marines. L'artiste tourangeau a même récemment testé - avec succès - le gyotaku sur céramique.
"Pour un gyotaku, on peut utiliser n'importe quel support et n'importe quelle encre ou peinture, du moment que la règle de base, ne pas retoucher, est respectée. Pour aller plus loin dans l'empreinte, je fais des essais sur du papier-calque, mais aussi des cartes marines ou des feuilles de livre. Techniquement, c'est souvent plus compliqué car on utilise généralement pour le gyotaku un papier extrêmement fin, qui épouse parfaitement la forme du poisson. Avec une carte marine, plus épaisse, un peu vernie, c'est évidemment plus difficile."
Concernant la taille du sujet, il n'existe guère de limite. On ne verra peut-être pas de gyotaku de requin-baleine, le plus grand des poissons, mais Sylvain a déjà réalisé l'empreinte d'un "petit" silure pêché par Romain Gadais, 1,2 mètre tout de même, et l'un de ses maîtres celle d'un poisson des grandes profondeurs qui mesurait quatre mètres... La difficulté avec les plus grands formats est que l'encre sèche vite.
La taille de l'animal et sa rareté se refléteront dans le prix d'un gyotaku réalisé par Darkoï : de 45 € à 1500 € pour un original, l'artiste se refusant à proposer des reproductions.