Les châteaux de la Loire face à la sécheresse : sans eau, Chenonceau peut-il s'effondrer ?

Manque d'eau et chaleur quasi-continue règnent sur la vallée de la Loire cet été. Aussi centenaires qu'ils soient les fameux châteaux aussi pâtissent du changement climatique. Première étape : Chenonceau, sous lequel le Cher reste haut. Une question de survie. (1/3)

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Presque partout en Centre-Val de Loire, les restrictions d'eau s'accumulent, les bassins hydriques passent en état de crise sécheresse les uns après les autres, tandis que la Loire atteint son niveau le plus bas en 40 ans. Même le Cher, affluent généreux de la Loire, n'est que l'ombre  de lui-même. Ce 21 août, la station de Châtillon-sur-Cher, en Loir-et-Cher, ne mesurait qu'un débit de 9,3 m³ par seconde, contre une moyenne habituelle en août de 17,5. En gros, le Cher est quasi deux fois plus bas que d'habitude. Le 13 août, la station n'enregistrait même que 3,5 m³ à la seconde.

Pourtant, il reste un endroit sur le Cher où l'eau reste abondante. Précisément, sur une portion située entre les écluses de Civray et de Chisseaux (qu'on appelle un bief), toutes deux en Indre-et-Loire. Et comme par hasard, c'est sur cette portion de moins de 5 kilomètres que les piles du château de Chenonceau plongent dans les eaux du Cher. "C'est parce que le Cher est beau que les rois et les reines se sont installés ici, et qu'on appelle Chenonceau "le château sur l'eau". Donc Chenonceau sans l'eau, ça serait la catastrophe", assène Caroline Darrasse, responsable com du château. 

Eau plus ou moins vive

Et c'est vrai que les arches du château-pont se reflétant dans l'eau offrent un spectacle plus qu'idyllique, unique en France. Mais, plus que par simple considération esthétique, c'est la cote touristique de Chenonceau qui s'effondre en même temps que le niveau du Cher. Si bien que l'activité économique spécifique du bief de Chenonceau est un sujet régulièrement mis sur la table du schéma d'aménagement et de gestion de l'eau (Sage) Cher Aval, qui planifie le quotidien de la rivière. Et savoir quand remonter les aiguilles des barrages du Cher pour garder de l'eau en amont est une question qui tracasse chaque année le Sage.

Le bief de Chenonceau est ainsi "revenu dans les réunions qu'on a eues en commission locale de l'eau", notamment avec "les acteurs du tourisme que sont les bateliers et les loueurs de canoë", explique Julien Colin. chargé de mission au Sage Cher Aval. Si bien que, depuis le règlement du Sage datant de 2018, le barrage de Civray a le privilège de pouvoir être remonté dès la fin mai, soit un mois plus tôt que ses petits camarades, la décision finale revenant au syndicat de rivière. Avec pour objectif de stocker un peu plus d'eau qu'ailleurs sur le cours de la rivière. 

Et si le barrage à aiguilles de Civray échappe à la règle, c'est qu'il dispose d'un atout : une passe à poissons, permettant aux migrateurs de contourner la retenue. Ailleurs, relever le barrage revient, jusqu'au démontage des aiguilles à l'automne, à empêcher la remontée de la rivière par des espèces dont certaines sont en voie de disparition. Chenonceau a donc le privilège de pouvoir garder les pieds dans l'eau malgré la sécheresse, grâce à cette passe inaugurée fin 2018.

Colosse aux pieds de tuffeau

Une question de survie économique, mais peut-être aussi simplement de survie… tout court. Car Chenonceau est bâti sur les piles d'anciens moulins, plantés dans le lit meuble du Cher. Ces fondations, à l'année, sont largement immergées sous des mètres d'eau, qui a altéré la composition des matériaux au fil des siècles. "La structure est en tuffeau, pierre de Touraine, qui est très dur tant qu'il est sous l'eau", explique Caroline Darrasse, à quoi s'ajoute "une partie en bois". Mais dès que l'eau s'en va au fil de la sécheresse, "le bois et le tuffeau restent hors de l'eau trop longtemps, sèchent et fragilisent le château". 

Une menace prise très au sérieux lorsque, en 2019, la sécheresse avait frappé la région dès le mois d'avril. Suivant un avis de l'architecte en chef des Monuments historiques, la préfecture d'Indre-et-Loire avait décidé de relever dès le 19 avril les aiguilles du barrage de Civray. Quelques jours plus tôt, une demande avait été déposée par le Nouvel espace du Cher pour, déjà, relever le barrage et empêcher l'ensablement d'un bateau touristique, qui menaçait la rivière et le château d'une marée noire. 

Une question d'équilibre

Chenonceau survivra donc un été de plus sans fissures dangereuses grâce aux aiguilles de Civray. Sauf que le réchauffement climatique continue de progresser, et les sécheresses aussi exceptionnelles que celle de 2022 deviendront la norme en 2040, ouvrant la porte à encore moins d'eau et encore plus de vagues de chaleur. Dans un tel contexte, la mission du Sage devient de plus en plus périlleuse : 

Notre but, c'est de trouver un juste milieu entre les enjeux humains et les enjeux liés à la biodiversité. Cet équilibre, il va être de plus en plus dur à trouver au vu du manque d'eau. 

Julien Colin, chargé de mission Sage Cher Aval

En juin, le comité local de l'eau a ainsi acté la création d'un groupe de réflexion sur le réchauffement climatique et la baisse annoncée des débits, "pour anticiper au mieux la gestion économique, touristique, patrimoniale et naturelle du Cher", poursuit Julien Colin. Un groupe qui devrait voir le jour cet hiver. 

Quand à une éventuelle fragilisation de Chenonceau sans eau, le chargé de mission reste dubitatif. "C'est un débat qui revient souvent : est-ce que ses fondations doivent-être ennoyées pour rester en bon état ? On ne sait pas vraiment." Il promet en tout cas de se rapprocher du conservatoire du château, qui sera de toute façon associé aux discussions sur l'avenir du Cher, menacé chaque jour un peu plus par le changement climatique.

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