La Société herpétologique de Touraine étudie les amphibiens et reptiles, agit pour leur protection et leur conservation. Au printemps dernier, deux de ses bénévoles ont lancé SOS Serpents, pour sensibiliser la population, apporter leurs conseils et éviter la mort inutile de reptiles bien souvent mal-aimés, mais inoffensifs et précieux dans les équilibres naturels.
Cyril Michel, administrateur de la Société Herpétologique de Touraine (SHT), est l'un des deux bénévoles qui assurent en Indre-et-Loire la permanence de SOS Serpents. 7 jours sur 7 et 24 heures sur 24, y compris pendant les jours fériés et les vacances scolaires, il répond aux appels de personnes démunies, un peu inquiètes ou carrément effrayées après avoir aperçu un serpent dans leur jardin ou dans leur maison.
Le déclin de la biodiversité, dont celui, très alarmant, des reptiles, est à l'origine de SOS Serpents. Leurs populations sont en chute libre, alors qu'ils jouent un rôle essentiel dans la nature, dans la grande trame du vivant. Le réflexe culturel du "coup de pelle" pour les éliminer est l'une des causes de leur disparition. Cela découle d'une peur un peu irrationnelle, notamment en Touraine, où 95% des rencontres se font avec une couleuvre.
Cyril Michel, animateur SOS Serpents 37
Or les couleuvres sont inoffensives pour l'homme puisqu'elles ne disposent pas de venin. Seules les vipères peuvent poser problème, et encore.
"Elles sont très diabolisées, mais aucun serpent n'attaque l'humain spontanément, explique Cyril Michel. Les vipères ne mordent que lorsqu'elles se sentent agressées, acculées, si on essaye de les attraper. Si l'on est très discret, on peut marcher dessus par inadvertance, mais c'est rarissime. Et la plupart des morsures sont des morsures sèches, sans inoculation de venin. Une vipère a peu de venin et le réserve aux proies qu'elle peut manger, ce n'est pas le cas d'un humain !
Oui, une morsure peut faire très mal et, avec du venin, le risque principal est un choc anaphylactique, pour des personnes allergiques. Mais le dernier décès qui me vienne en tête en France métropolitaine remonte à...très loin !
Cyril Michel, animateur SOS Serpents 37
La peur du serpent, très répandue, parfois incontrôlable et relevant de la phobie, est donc en grande partie irrationnelle. Outre la conservation des reptiles, SOS Serpents se donne donc aussi pour mission de changer le regard des gens.
"Nous devons rassurer des personnes totalement désemparées, paniquées après une rencontre avec un serpent. C'est un aspect de SOS Serpents auquel nous n'avions pas forcément pensé au départ, mais qui se révèle très plaisant. La peur ou la destruction systématique vient souvent d'une grande méconnaissance de ces animaux. Nous faisons beaucoup de pédagogie et, après leur appel, les gens sont plus sereins, rassurés et souvent reconnaissants."
Mon objectif est, avant tout, de faire changer le regard des gens et de les inviter à cohabiter avec ces animaux totalement inoffensifs. Quand ils voient passer un rouge-gorge, ils n'ont pas peur, en fin de compte ce devrait être pareil avec une couleuvre.
Cyril Michel, administrateur SHT
Lorsque Cyril prend un appel, il écoute la personne lui raconter sa rencontre avec un serpent et tente d'identifier l'espèce dont il s'agit, si possible avec une ou plusieurs photos de l'animal en question. Le lieu où il se trouve est également important, dans la maison ou dans un jardin, dans un coin où il ne risque pas de déranger ou dans un lieu de passage.
La cohabitation est -presque- toujours possible
"La plupart du temps, ce sont des couleuvres, ou parfois même des orvets, des lézards sans pattes, grands consommateurs de limaces et ne risquant pas de mordre un humain ! Une fois l'espèce identifiée, je transmets à l’appelant des informations sur la biologie et le mode de vie de l'animal, dans 99% des cas une cohabitation est possible !"
Si une simple conversation téléphonique suffit généralement à régler le problème, il arrive parfois que les deux bénévoles de la SHT doivent intervenir sur le terrain. Parce que l'interlocuteur est réellement trop paniqué pour écouter les conseils. Ou parce qu'il s'agit effectivement d'une vipère, située près d'un lieu de passage. Dans ces cas de figure, les animateurs de SOS Serpents doivent capturer l'animal, pour le relâcher un peu plus loin.
Même les vipères sont protégées par la loi
Un travail qu'ils ne peuvent exercer que parce qu'ils bénéficient d'une habilitation, une dérogation à la loi délivrée par le préfet. En France, en effet, tous les amphibiens et reptiles, y compris les vipères, sont protégés par la loi (arrêté du 11 février 2021). Il est non seulement interdit de les détruire, mais aussi de les perturber, les capturer, les transporter, les naturaliser ou les mettre en vente ! Leurs œufs et leurs nids sont également protégés.
Cyril Michel ne peut donc attraper les serpents que parce qu'il bénéficie d'une autorisation préfectorale :
"Une couleuvre qui s'était réfugiée dans un local piscine, par exemple. Elle ne présentait aucun danger, mais le propriétaire était en panique totale, il avait très peur. Je me suis donc déplacé et l'ai attrapée pour la libérer un peu plus loin. Je cherche toujours avec des photos aériennes un endroit proche de là où on a trouvé le serpent. Mais plus éloigné des habitations, et avec un biotope qui peut convenir à l'espèce."
Certaines espèces de couleuvres (helvétique, vipérine), ainsi que les orvets, non seulement ne disposent pas de venin, mais ne peuvent même pas mordre les humains. Les bénévoles peuvent les attraper à main nue. D'autres sont un peu plus agressives et, pourvues de petites dents, sont capables de mordre. Dans ces cas-là, une paire de gros gants est suffisante. L'affaire se complique un peu lorsqu'il s'agit de déplacer une vipère :
"Une vipère a été aperçue à plusieurs reprises à Parçay-Meslay, dans une zone hyperfréquentée ou ne subsiste qu'un petit bout de bois et de champ, complètement enclavés. Elle était à la limite du champ, à proximité d'un parking où tout le personnel se retrouvait pour la pause cigarette! Il y avait bien un risque, pour les humains comme pour l'animal. Avec une vipère, je jette une serviette ou un grand torchon humidifiés sur l'animal, qui va aussitôt cesser de bouger. Avec un balai, je pousse le tout dans un grand récipient type poubelle, que je referme avant le déplacement."
Grâce à ce nouveau programme, de nombreux reptiles tourangeaux auront sans doute échappé au "coup de pelle" pendant le printemps et l'été 2024. D'autant que les sapeurs-pompiers ont pris l'habitude de renvoyer les appels vers SOS Serpents : eux-mêmes sont bien formés pour s'occuper des nouveaux animaux de compagnie (les NAC), mais ne sont pas habilités pour la capture et le déplacement des serpents relevant de la faune locale.
La saison est loin d'être terminée, car, contrairement aux idées reçues, les serpents ont tendance à entrer en "estivation", à se cacher pendant les périodes très chaudes. Depuis la fin du mois d'août, les appels ont repris de plus belle ! Et se poursuivront sans doute jusqu'au mois de novembre où les reptiles entreront en hibernation, si les températures sont suffisamment froides.
Devant un tel succès, le programme sera évidemment reconduit en 2025. Mais les deux bénévoles de la SHT songent déjà à renforcer l'équipe : ils ne s'attendaient pas à une activité aussi intense.