Le Congrès de Tours a 100 ans : les origines d’un tournant majeur pour la gauche française (1/3)

Il y a tout juste cent ans, le 25 décembre 1920, s’ouvrait à Tours un congrès historique qui conduira à l’éclatement de la SFIO et à la naissance du Parti communiste français. Une déchirure loin d’être le fruit du hasard. Retour sur le contexte de cet épisode politique fondateur.

A la veille de la Première guerre mondiale, la vie politique française ne compte qu’un seul et même parti de gauche : la Section française de l’Internationale ouvrière (SFIO). Bien que traversé par différentes visions du socialisme, ce jeune parti né en 1905 est uni autour d’un de ses pères fondateurs : Jean Jaurès.

Une guerre inévitable

Fervent défenseur du pacifisme, Jean Jaurès porte alors haut et fort les aspirations d’un reversement de la société capitaliste par les prolétaires. Un combat qu’il mène notamment avec les autres partis socialistes d’Europe, tous rassemblés au sein de la Deuxième Internationale.

Mais la menace d’une guerre mondiale se fait de plus en plus sentir et celui qui tentait par tous les moyens d’éviter ce massacre est finalement dépassé par les événements. Dans un ultime éditorial publié le 31 juillet 1914 dans son journal L’Humanité¸ Jean Jaurès tente le tout pour le tout avec cette formule : "Ce qui importe avant tout, c’est la continuité de l’action, c’est le perpétuel éveil de la pensée et de la conscience ouvrières. Là est la vraie sauvegarde. Là est la garantie de l’avenir."

Quelques heures plus tard, il est tué par le militant nationaliste Raoul Villain au Café du croissant à Paris. Avec la mort de Jean Jaurès, disparaît le dernier espoir de paix.

Dès son entrée en guerre le 3 août 1914, le gouvernement français enjoint tous les partis politiques à s’associer au sein de l’Union sacrée pour la défense nationale. Habitués à ne pas voter le budget de l’Etat "par principe", les 100 députés socialistes votent pour la première fois les crédits de guerre. Persuadée que le conflit ne durera que quelques semaines, l’Assemblée est unanime.      

La réalité est toute autre et la France s’embourbe dans une guerre meurtrière inédite. Témoins de cette chute aux enfers, les socialistes Jules Guesde, Marcel Sembat et Albert Thomas acceptent d’entrer au gouvernement pour la première fois dans l’histoire du parti. En effet, les socialistes avaient jusqu’alors toujours refusé de s’associer aux "ministres bourgeois".  

Nous appelons la classe ouvrière à reprendre conscience d’elle-même […]. Prolétaires de tous les pays, unissez-vous ! 

Manifeste de la conférence de Zimmerwald (Suisse) réunissant en septembre 1915 les socialistes européens pacifistes

Dès 1915, les pacifistes minoritaires de la SFIO s’élèvent contre ces figures socialistes qui les ont "trahi" en "bafouant" les principes de la Deuxième Internationale et demandent inlassablement l'ouverture de négociations de paix : "Nous appelons la classe ouvrière à reprendre conscience d’elle-même […]. Prolétaires de tous les pays, unissez-vous !"

Une "lueur à l’Est"

Le grand parti de Jean Jaurès se délite et les tendances qui s’affronteront à Tours en 1920 se dessinent peu à peu. Un événement majeur vient alors acter définitivement le divorce entre les différents courants socialistes : la Révolution bolchévique de 1917.

Guidés par Vladimir Lénine et Léon Trotski, les soviets russes renversent le Tsar Nicolas II et s’emparent du pouvoir en octobre avec un programme de socialisme intégral : le communisme. Cette "grande lueur à l’Est" (pour reprendre les mots de l’écrivain Jules Romains) se propage en Hongrie mais aussi en Allemagne avec les spartakistes.

En France, la SFIO sort détruite de la guerre. Plusieurs milliers de leurs sympathisants sont morts au combat et un bon nombre des survivants tournent le dos aux dirigeants qui les ont "abandonnés". Bercés par les idéaux révolutionnaires de 1789 et de la Commune de Paris de 1871, une part importante de ces socialistes portent en exemple le soulèvement russe et appellent à un changement radical. Leurs leaders : les militants révolutionnaires Boris Souvarine et Fernand Loriot. 

La gronde des ouvriers français

Les choses s’accélèrent en mars 1919 quand Lénine fonde la Troisième Internationale. Pensée comme un instrument subversif au service d’une révolution ouvrière mondiale, cette création renie l’ancien modèle socialiste de la Deuxième Internationale jugé trop modéré.

Dès lors, des grèves massives éclatent en France dans les mines, les chantiers, les usines textiles et le secteur ferroviaire. Bien que lourdement réprimés par l’Etat, les ouvriers obtiennent la réduction du temps de travail à 8 heures maximum par jour. En novembre, coup de tonnerre à l’Assemblée lors des élections législatives : la SFIO perd le tiers de ses députés. Les radicaux partisans de Lénine représentent alors 40 % du parti. La révolution est en marche.

En février 1920, Souvarine et Loriot parviennent à convaincre 92% des adhérents de la SFIO de quitter pour de bon la Deuxième Internationale. Ils seront emprisonnés 3 mois plus tard pour anarchisme et complot contre la sûreté de l’Etat. Au même moment, les cheminots de Tours et de Saint-Pierre-des-Corps se rebellent à leur tour lors de grèves historiques.

Ediction des "21 conditions" bolchéviques

Dans ce contexte de vives tensions, l’ancien partisan de l’Union sacrée Marcel Cachin est envoyé avec le pacifiste patriote Ludovic-Oscar Frossard à Moscou pour négocier avec les bolchéviques les termes de la Troisième Internationale. Mais ces derniers sont très clairs : il n’y aura pas de débat.

L’adhésion des partis socialistes européens se fera selon leurs strictes conditions. Au nombre de 21 précisément. Tournées vers la centralisation du pouvoir par Moscou et l’obligation pour les militants socialistes de se soumettre aux règles du parti bolchévique.  

Dès lors, la SFIO s’interroge : faut-il rejoindre la Troisième Internationale proposée par le parti de Lénine ? C'est sur cette question que les socialistes français vont s'entredéchirer lors d’un congrès exceptionnel convoqué à Tours fin décembre 1920.

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