Le mardi 13 juin, Luc Montalbano, éducateur spécialisé de 54 ans, s'est donné la mort par arme à feu au foyer de vie de la fondation Anaïs, à La Membrolle-sur-Choisille. Deux semaines après les faits, des zones d'ombre persistent autour de cet acte de désespoir, motivé selon les documents laissés par son auteur par des conditions de travail détériorées depuis plusieurs mois.
Comment Luc Montalbano en est-il arrivé là ? Le mardi 13 juin au matin, trois salariés du foyer de vie de La Membrolle-sur-Choisille découvrent le corps de leur collègue au sein même du bâtiment. Âgé de 54 ans, l'éducateur vient de mettre fin à ses jours, après 32 ans à travailler dans l'établissement.
Un mail programmé qui accuse la direction
Le salarié semble avoir tout préparé, comme le laisse entendre l'article de la Nouvelle République relatant les faits. Comme a pu le vérifier à son tour France 3, un mail programmé tombe alors dans les boîtes de réception des personnels du foyer, avec plusieurs pièces jointes. Luc Montalbano y accuse deux membres de la direction de l'avoir "poussé à bout". Selon lui, ces personnes seraient " les seules responsables". Semblant vouloir prendre les devants, il demande :
Je souhaite que ma mémoire ne soit pas salie par l'équipe de psychologues qui vont s'employer à dédouaner notre direction en expliquant qu'un suicide est multifactoriel, que c'est moi qui n'allais pas bien, que cela n'était pas prévisible, blablabla...
Luc Montalbano, dans un mail
Il affirme dans ce même texte n'avoir " jamais été dépressif", mais estime " impossible" pour lui de se " battre vu les méthodes utilisées". Il écrit encore, dans l'une des pièces-jointes intitulée "préambule", n'avoir " aucun antécédent dépressif ni de situation familiale ou financière compliquée".
Dans un courrier adressé à certains de ses collègues, il compile ses échanges avec sa direction, avec l'inspection du travail ainsi qu'avec la médecine du travail. Il assure leur avoir " à plusieurs reprises fait part que [les] actions [de la direction le] mettaient dans un état psychologique fébrile". France 3 a pu consulter l'intégralité du dossier.
Un autre suicide trois ans plus tôt
La mort de Luc Montalbano fait douloureusement écho au suicide d'un de ses collègues en mai 2020, non loin du foyer. Celui-ci dépend de la Fondation Anaïs, qui " œuvre pour l'insertion des personnes en situation de handicap", précise son site internet. " Luc avait pris beaucoup de place dans la défense d'Éric, un éducateur du même site, après son suicide", racontent à France 3 quatre professionnels. Tous quatre dépendent des structures d'hébergement d'Anaïs à Tours : le foyer de La Membrolle, le foyer d'hébergement de La Martinière et le service d'accompagnement à la vie sociale (SAVS).
Les quatre salariés ont cependant décidé de rester anonymes. Ils témoignent d'un sentiment de " malaise" ressenti par " une partie des personnels", qui pourtant " ne se mobilisent pas par peur de représailles". Eux ont décidé de défendre la mémoire de Luc Montalbano, parce qu'il " a toujours été là pour nous, et il voulait protéger les autres, c'est important qu'on le fasse pour lui", explique une employée.
Luc Montalbano dénonce une "procédure" pour forcer son départ
En février 2023, l'éducateur est convoqué par sa direction à un entretien préalable en vue d'une possible sanction disciplinaire. Dans un courrier adressé à la direction, il explique ne pas avoir compris le motif de sa convocation. Il semblerait qu'une possible sanction ait pu être liée à un refus d'obéir à un ordre. En l'occurrence, il avait écarté l'idée d'alimenter en photos et textes le site internet de la fondation, " comme nous tous", témoigne une professionnelle. Dans son courrier, il justifie ce refus en expliquant que cette mission sort des prérogatives de sa fiche de poste. Selon plusieurs employés, il s'agirait aussi d'une discorde sur le contenu même du site internet.
Dans le même courrier adressé à la direction, Luc Montalbano estime qu'il " est possible de trouver des similitudes [entre] la procédure qui [lui] est appliquée" et celle qui aurait concerné Éric avant son suicide en 2020. Un évènement qu'il associe, dans un mail adressé à l'inspection du travail à la même période, à un état psychologique dégradé : " Je n'arrive plus à savoir si je suis objectif ou si je suis également dans une anxiété anormale en lien avec cet épisode dramatique", écrit-il.
À la suite de son entretien, l'éducateur n'écope finalement d'aucune sanction disciplinaire. Lui est cependant signifié un changement de planning, qu'il conteste. Puis, le 5 mai, le retrait d'une partie de ses missions. Dans un mail collectif, la direction assure que ces changements répondent " à la demande de M. Montalbano qui nous a fait état de sa charge trop importante de travail". Ce que le concerné réfute quelque temps plus tard : " pendant l’entretien, je vous ai formulé l’inverse, pour ma part je considère ce choix effectué par la direction comme une action venant ébranler à nouveau ma sérénité professionnelle". Il se voit prescrire deux arrêts de travail : du 10 au 20 février et du 11 mai au 11 juin.
À la médecine du travail, il explique aller travailler " chaque jour [...] en ayant peur que l'on mette en place une nouvelle action à [son] encontre" :
J'ai vraiment la sensation que l'on pose des jalons pour me forcer à partir et, si cela ne suffit pas, me pousser à la faute pour légitimer un licenciement.
Luc Montalbano, dans un mail à la médecine du travail en mai 2023
Dernier objet de conflit en date : le cahier de liaison, installé sur les sites de La Membrolle et de La Martinière. Un outil informatique que Luc Montalbano avait créé " sur son temps personnel", et avait installé " avec l'accord de la direction de l'époque en 2012", se souvient un salarié. Sauf que " la direction suivante aurait essayé de s'approprier l'outil". L'éducateur explique, dans un courrier à la direction le 6 juin, ne plus souhaiter " continuer à assumer la charge de travail que [lui] impose la gestion de cet outil, qui ne rentre par ailleurs en rien dans [ses] attributions".
Une semaine plus tard, Luc Montalbano se suicidait sur son lieu de travail. Une enquête en r echerche des causes de la mort a été ouverte et confiée à la gendarmerie, a confirmé auprès de France 3 la procureure de Tours par intérim, Delphine Amacher.
"Luc Montalbano est mort épuisé du combat qu'il menait pour la justice sociale"
Jointe le 26 juin, la direction locale de la Fondation Anaïs n'a pas donné suite aux sollicitations de France 3. Le service communication de la fondation, dont le siège se trouve à Paris, a en revanche indiqué à La Nouvelle République " être de tout cœur avec la famille [de Luc Montalbano] , les salariés et les usagers face à cette situation dramatique". L'accueil de jour du site de la Membrolle est fermé jusqu'au 31 août.
De leur côté, les syndicats sont pour l'instant restés discrets sur ce dossier. Christian Michaud, secrétaire départemental CFDT Santé Sociaux d'Indre-et-Loire, explique cependant à France 3 que " les élus CFDT de la Fondation Anaïs 37 vont bientôt prendre la parole pour exprimer leur décision de ne pas rester sans rien faire". " Le geste de Luc servira à quelque chose", conclut-il.
Force ouvrière a également réagi par un communiqué, affirmant : " oui, Luc Montalbano est mort épuisé du combat qu'il menait, à sa manière, pour la justice sociale". Le syndicat appelle " tous les collègues du département 37 à s'organiser à nos côtés pour faire valoir leurs droits et ceux de leurs collègues".