ENQUÊTE. Aéroport Tours-Val de Loire : un gouffre financier sans réelles retombées économiques pour la région

Subventionné à hauteur de 3 millions d'euros par an par l'agglomération de Tours, l'Indre-et-Loire et la région Centre-Val de Loire, l'aéroport de Tours-Val de Loire n'accueille qu'une seule compagnie aérienne : l'irlandais Ryanair. Un gouffre pour le climat et l'argent public.

Présenté comme un outil de développement économique et touristique incontournable, l'aéroport de Tours est sous le feu des critiques depuis la campagne des élections municipales, gagnée par la liste écologiste d'Emmanuel Denis. Exploité par le groupe Edeis dans le cadre d'une Délégation de service public (DSP), il est accusé d'être un véritable gouffre à subventions publiques, au seul profit de la compagnie aérienne Ryanair.

Les chiffres révélés par le collectif "Gardons les pieds sur terre" à partir de rapports publiés par Edeis montrent en effet que Ryanair est le principal bénéficiaire des 3 millions d'euros versés chaque année à l'aéroport, dont il capte la majeure partie via des "contrats marketing", tandis que les retombées touristiques et économiques seraient largement exagérées par Edeis. A seulement un an de la fin (ou du renouvellement) de la DSP par les pouvoirs publics, les militants écologistes exigent la fin pure et simple du soutien public accordé à l'aéroport.

Le "modèle Ryanair" : ce qu'il coûte et ce qu'il rapporte

Au sujet de ce que coûte l'aéroport de Tours-Val de Loire à la collectivité, tout le monde est d'accord : la Métropole, le Département et la Région versent chacun un peu plus d'un million d'euros, via le Syndicat mixte pour l'aménagement et le développement de l'aéroport international de Tours (SMADAIT). Sur ces 3,2 millions d'euros, 2,8 millions sont directement empochés par Ryanair sous la forme "d'aides marketing" que verse la société délégataire à la compagnie aérienne contre l'exploitation de lignes vers Dublin, Marrakech ou encore Porto. "Économiquement, ce n'est pas viable pour le territoire", estime Emmanuel Denis, le maire de Tours, qui insiste sur le fait que "tout le monde est d'accord" sur une "sortie du modèle Ryanair, qui absorbe 80 % des subventions sous forme de contrat marketing".

Juridiquement floues, et contestées par plusieurs cours régionales de comptes depuis au moins 2011, ces aides sont critiquées par les adversaires du modèle Ryanair comme des subventions déguisées. A titre d'exemple, en 2019, la Commission européenne a considéré qu'à Montpellier, les 8,5 millions d'euros publics versés à Ryanair entre 2010 et 2017 sous forme d'aides marketing constituaient un "avantage déloyal et sélectif" sur ses concurrents, et sommé la compagnie de rembourser ces sommes à la France. En outre, la compagnie Ryanair est critiquée pour ses pratiques vis-à-vis de ses équipages, ou des libertés prises avec le droit fiscal. Pour Simon Destombes et Anaël Biger, membres de Greenpeace Tours et du collectif "Gardons les pieds sur terre", c'est même une marque de fabrique : "la spécifité de ce genre de petits aéroports exploités exclusivement par Ryanair, c'est qu'ils sont abreuvés d'argent public pour fonctionner car ils ne sont pas du tout rentables par eux-mêmes." Un rapport de la Chambre régionale des comptes du Centre-Val de Loire sur les finances de la structure est également en cours de rédaction, suite à une enquête menée en 2019.

Des retombées qui ne justifient pas les coûts

Concrètement, Ryanair est donc payé à faire tourner des lignes qui, sans un large soutien financier, ne seraient pas viables par la seule loi de l'offre et de la demande. En effet, en grande difficulté dans les années 90 et 2000 faute de clients, l'aéroport est exploité depuis 2003 par la compagnie irlandaise, la seule présente sur place.

Du côté de ce que l'aéroport rapporte à la communauté, la fréquentation de la structure ne témoigne pas du boom économique attendu. Elle passe de 120 000 passagers en 2010 à près de 200 000 en 2016, année record, avant de stagner autour de 190 000 dans les années qui suivent. Les quatre lignes les plus utilisées sont celles qui relient Tours à Londres, Porto, Marrakech et Marseilles. Selon une enquête clientèle réalisée en 2015, la plupart (60%) des mouvements liés à l'aéroport sont des départs, notamment de Tourangeaux qui partent en vacances.

Par ailleurs, selon Simon Destombes de Greenpeace Tours, les "19,7 millions d'euros de retombées économiques" sur la région sont largement exagérés, étant donné que la majeure partie des arrivants est hébergée en famille ou dans une résidence secondaire plutôt que dans l'hôtellerie ou les gîtes. Enfin, selon la même enquête clientèle que France 3 a pu consulter, une majorité des sondés arrivant à Tours (62%) seraient de toute façon venus dans la région en empruntant un autre moyen de transport (l'avion jusqu'à Paris, puis le train, par exemple) si Tours-Val de Loire n'existait pas.

Vers un changement de modèle économique

Avec l'effondrement du trafic aérien durant la crise du covid-19, le SMADAIT est parvenu à s'accorder sur une réduction des subventions, liée au fait que Ryanair a continué à toucher en 2020 les sommes de son contrat marketing. "On a fait en sorte que les contrats marketing soient indexés à la réalisation des vols", explique Emmanuel Denis. Concrètement, cette mesure a réduit rétroactivement d'environ 300 000 euros les subventions versées par chaque collectivité en 2020.

Mais une fois Ryanair parti, que faire à la place ? Pour Emmanuel Denis, l'idée d'investir encore davantage dans le trafic passager de l'aéroport Tours-Val de Loire, comme le propose le député LR Nicolas Forissier est "un fantasme". "Nous devons travailler sur un modèle qui soit pertinent pour le territoire, tout en menant parallèlement la transition écologique." Autrement dit, parier davantage sur le ferroviaire, et cesser d'encourager le développement de lignes qui font concurrence au train. Quant à l'aéroport lui-même, le maire n'exclut pas de proposer la fin de la délégation de service public à Edeis pour passer en régie publique.

"Tous les scénarios, toutes les projections du GIEC imposent une réduction des émissions de gaz à effet de serre", martèlent de leur côté les militants écologistes. "Dans ce contexte là, le transport aérien ne peut pas être en croissance dans une société bas carbone, ce n'est pas compatible." Via des actions de désobéissance civile, les groupes Greenpeace ANV-COP21, ou encore Extinction Rebellion à l'origine du collectif espèrent déclencher une prise de conscience pour faire pression sur les élus en charge du SMADAIT.

De fait, les décisions budgétaires du syndicat mixte doivent se prendre à l'unanimité des neufs élus métropolitains, régionaux et départementaux, et ne se prennent pas sans conflits, comme on a pu l'observer en décembre 2020. Six mois après sa victoire aux municipales, Emmanuel Denis a quitté avec fracas son poste de président du SMADAIT quelques mois plus tard, sur fond de tensions autour de la suppression de la ligne Tourd-Marrakech. "J'ai considéré que certains allaient se servir de cette position pour m'affaiblir politiquement" poursuit l'édile. "J'ai considéré que j'avais d'autres sujets importants et urgents à gérer pour la ville de Tours, donc je me suis mis en retrait, tout en gardant ma place au conseil" afin de peser sur les décisions.

Mais avant d'en arriver là, les collectivités vont quoi qu'il arrive devoir à nouveau mettre la main à la poche. Au cours des trois prochaines années, la Métropole, le Département et la Région se sont accordées à investir 3 millions d'euros supplémentaires chacune dans l'aéroport, pour un total de 9 million d'euros. Avec le départ de l'armée de l'air, qui est à l'origine de la structure et assurait certains services comme le contrôle aérien, le syndicat mixte va en effet se voir céder pour un euro symbolique 200 hectares de terrain. Un foncier "sain", mais qui nécessite des travaux et une remise aux normes afin d'être disponible pour de nouveaux développements, comme la "ferme photovoltaïque" qu'Emmanuel Denis proposait d'installer sur la zone de l'aéroport durant la campagne des municipales.

 

Comment est géré le SMADAIT ?

Le SMADAIT est co-dirigé par trois entités publiques, à savoir Tours-Métropole, le département d'Indre-et-Loir et la région Centre-Val de Loire. Les décisions statutaires doivent se prendre à l'unanimité

Au sein du conseil syndical, trois sièges sont occupés par des élus de Tours métropole (Emmanuel Denis, Bruno Fenet et Anaëlle Schaller), trois par les conseillers départementaux Patrick Michaud (UDI), Dominique Lemoine (DVG) et Cécile Chevillard (LR), et enfin trois par les conseillers régionaux Pierre Commandeur (LREM), Mélanie Fortier (PRG) et Sabrina Hamadi (EELV). Reste à voir si les élections régionales et départementales de juin 2021 rebattront les cartes.


 

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