Climat, désobéissance et permaculture : plongée parmi les révoltés de l'apocalypse

Après les impressionnantes marches pour le climat de 2019 et la percée des écologistes aux élections municipales 2020, les activistes de l'environnement ont été frappés comme tout le monde par la crise du covid-19. Mais pour ces rebelles climatiques, le combat n'est jamais fini.

Un début d’après-midi maussade dans le centre-ville d’Orléans. Ce 4 décembre 2020, le thermomètre affiche 7°C et les rares passants ne s'attardent pas devant les hautes grilles de la préfecture du Loiret, rue de Bourgogne. Soudain, une dizaine d’individus masqués surgissent de la rue Pothier, des cartons plein les bras. En quelques secondes, l’espace devant les grilles de la préfecture devient un mur grêlé de slogans #StopAmazon, et d'un logo grimaçant, singeant celui de la multinationale.

Aussitôt, des banderoles se matérialisent, frappées du sablier d’Extinction Rebellion (aussi abrégé "XR") ou de la main noire d’ANV-COP21. On prend des photos. Quelques passants s'étonnent, mais ne traînent pas. De l’autre côté des grilles, on sent que la perplexité ne va pas tarder à laisser la place à l’agitation devant ce qui pourrait ressembler à un début de manifestation non déclarée. Mais, aussi vite qu’ils sont arrivés, les militants replient leurs affaires et sont déjà repartis. L’action est déjà terminée. Une vingtaine de minutes plus tard, on les retrouve en train de débriefer sur la pelouse du parc Pasteur avant que chacun ne rentre chez soi.

La désobéissance civile au coeur de leurs actions

Ce type d’action non-violente est devenu l'un des modes opératoires favoris de nombreux groupes et mouvements écologistes. Tirant leur ascendance des grandes mobilisations non-violentes du 20e siècle et du militantisme écologiste, ils parient sur la “désobéissance civile” pour faire bouger les lignes et imposer les sujets liés au climat et à l’environnement dans le débat public.

Cet activisme, comme ils l’expliquent souvent, fonctionnent sur “deux jambes” : d’un côté la dénonciation, dans la non-violence, des engagements non tenus par l’État et de l’urgence climatique, et de l’autre la construction d’alternatives, toujours avec pédagogie. C’est d’ailleurs ce qui a donné son nom au mouvement citoyen Alternatiba, dont la fondation en 2013 le fait un peu passer pour le “grand frère” d’ANV-COP21 et d’Extinction Rebellion, nés respectivement en 2016 et 2018.

Une stratégie payante ?

Mais poser trois cartons et se prendre en photo devant une préfecture, ça sert à quelque chose, vraiment ? “La désobéissance civile a fonctionné à plusieurs reprises dans l’histoire”, répond Rémi Filiau, formateur et coordinateur du collectif Les Désobéissants, citant les succès de la lutte pour l’indépendance indienne de Gandhi ou le renversement non-violent de Milosevic en Serbie en octobre 2000.

Plus près de nous, les coups d’éclats écologistes ont émaillé l’actualité ici et là depuis 2015, avec l’action des “faucheurs de chaises” venus subtiliser du mobilier de bureau dans de grandes banques pour dénoncer la fraude fiscale et le manque de moyens alloués à la transition écologique, ou l'occupation de plusieurs points stratégiques parisiens, de banques et même d'un fonds de gestion d'actifs depuis. Plus récemment, ANV-COP21 a fait parler d'elle en 2019 après la “réquisition” dans près de 150 mairies de France du portrait officiel d’Emmanuel Macron pour dénoncer l'inaction de son gouvernement.

Extinction Rebellion a fait de l’écologie un sujet majeur dans une campagne électorale, notamment dans les dernières municipales, et c’est une vraie victoire”, se félicite Rémi Filliau, de passage auprès des activistes orléanais de XR à l'occasion d'une formation à la désobéissance civile. De fait, plusieurs villes, comme Tours, Lyon, Bordeaux et Strasbourg ont été conquises par des majorités EELV et d’union de la gauche lors des municipales 2020, une percée historique en regard du désaveu subi par le parti présidentiel LREM.

Quel rôle les activistes ont-ils vraiment joué dans cette percée ? Difficile à dire. Mais le regain de mobilisation qu'ils connaissent et entretiennent soigneusement depuis deux ans ne trompe pas sur leur intention de maintenir la pression. “Maintenant, on doit être attentifs pour que les programmes soient vraiment respectés et appliqués”, complète le formateur.

Une orléanaise poursuivie pour avoir décroché un portait d'Emmanuel Macron

Retour au printemps 2019. Depuis le mois de décembre, la campagne de “l’Affaire du siècle”  menée par quatre ONG (Notre affaire à tous, la Fondation Nicolas-Hulot pour la nature et l'homme, Greenpeace France et Oxfam France), exige des poursuites contre l’État devant le tribunal administratif pour son inaction sur les sujets environnementaux et le non-respect des engagements pris sur le climat. Une pétition, lancée dans la foulée, récolte deux millions de signatures en deux mois, un record. De son côté, le gouvernement, en la personne de son ministre de la Transition écologique de l’époque, François de Rugy, tente d’assurer que les mesures prises jusque-là sont déjà ambitieuses et suffisantes, sans vraiment convaincre.

En réponse, à partir du 21 février, ANV-COP 21 lance "L'opération : Décrochons Macron". L’objectif est de marquer les esprits : puisqu’Emmanuel Macron est “absent” du sujet climatique, il sera désormais aussi absent des mairies, où son portrait est “réquisitionné” dans plusieurs villes, dont Paris et Lyon. Au total, 151 portraits seront décrochés, selon le collectif.

L’idée, c’était de montrer que les paroles de Macron sont aussi vides que les murs qu’on laisse derrière nous

Franzeska Bindé, militante ANV-COP21

Le 2 mars, c’est au tour de la mairie de Saint-Jean-de-la-Ruelle, dans la proche banlieue d'Orléans. “Je me souviens quasiment de chaque minute”, confie Franzeska Bindé, membre orléanaise d’ANV-COP21. “J’ai très mal dormi la nuit précédant l’action, et aussi les quelques nuits qui ont suivi, mais je ne regrette rien. Le jour même, j’étais très sereine.” Ce jour-là, ils sont treize pour mener à bien l'opération. Un briefing précis a lieu : chaque activiste sait ce qu’il ou elle doit faire. Comme toute action non-violente, le plan a été mis au point minutieusement, “pour que tout se déroule au mieux à la fois pour les personnes qui participent mais aussi pour celles qu’on va éventuellement rencontrer”, explique l'activiste. Plusieurs jours auparavant, des éclaireurs sont venus repérer la salle des mariages, où trône innocemment l'objet du délit. Le petit groupe demande ensuite l’autorisation d’accéder à la salle sous un motif fallacieux, et, prévoyant, pense même à ramener un escabeau.

Sur les lieux, “tout s’est déroulé exactement comme on avait prévu”. Les activistes se font ouvrir la porte par une employée de la médiathèque. Aussitôt, la petite équipe s’aperçoit que les personnes venues en repérage ont un peu surestimé la hauteur à laquelle est suspendu le portrait : l’escabeau sera finalement inutile. “Je me rappelle d’un instant très concentré, très calme, et ça s’est passé très rapidement.” Deux personnes restent auprès de la salariée “qui n’était pas tout à fait d’accord avec le fait qu’on parte avec le portrait !” et deviennent, dans le jargon, des “anges gardiens” : ils expliquent le véritable motif de leur présence et la rassurent sur le fait que l'action, aussi étonnante et illégale soit-elle, fait partie d'une démarche politique non-violente.

En une poignée de minutes, Emmanuel Macron est décroché sans cérémonie, et des photos sont prises pour alimenter les réseaux sociaux. “Les photos, c’est une étape importante pour nous, qui permet après coup de bien expliquer et surtout d’assumer notre action et notre message”, note Franzeska Bindé à ce stade de son récit. Moins de dix minutes après leur arrivée, les activistes repartent comme ils étaient venus, le président de la République sous le bras. A ce jour, il n’a reparu que ponctuellement lors de nouvelles actions militantes, comme “pour lui montrer la réalité du changement climatique”, sans que la police ne parvienne à remettre la main dessus. Le 3 février 2021, le tribunal administratif de Paris a condamné l’État pour “carence fautive” pour le non-respect de ses engagements climatiques et alloue un euro symbolique pour préjudice moral aux quatre associations.

Néanmoins, l’action non-violente a aussi un coût. Sans grande surprise, le 13 mai, Franzeska Bindé ainsi que deux autres militants identifiés sur les photos qu’ils partagent sur les réseaux sociaux, Samuel Chanonier et Vincent Lombard, sont convoqués par la police et placés en garde à vue pendant neuf heures, et leurs logements sont perquisitionnés. Dans la foulée, ils sont mis en examen pour vol en réunion et condamnés, le 13 septembre, à 200 euros d’amende avec sursis lors d’un procès qui a de nouveau mobilisé leurs soutiens et permis d’inviter des climatologues comme témoins pour faire constater du bien-fondé de leurs motivations. Pour avoir refusé de donner son ADN lors de la garde à vue, Franzeska Bindé écope par ailleurs d’une seconde condamnation à 200 euros avec sursis. Au total, une quarantaine de procès s'est tenue, donnant pour la plupart lieu à des condamnations symbolique ou à des amendes, mais aussi à des relaxes, comme à Strasbourg, Lyon ou Auch.

De la "génération Greta"...

Tous n’étaient pas prédestinés à devenir faucheurs de chaises, décrocheurs de portrait ou squatteurs de lieux publics. Anne-Claire, d’ANV-COP21 n’était pas présente parmi “les treize du 2 mars” à Saint-Jean-de-la-Ruelle, mais se trouvait en "base arrière" ce jour-là, comme on dit dans le jargon des désobéissants. Sensibilisée depuis longtemps aux sujets environnementaux, elle a rejoint le mouvement de désobéissance civile à la fin du printemps 2018. “Avant cela, j’étais davantage dans l’action individuelle : trier ses déchets, ne pas trop prendre la voiture...” A l’époque, les grèves de la jeunesse et les grands mouvements étudiants lancés par la jeune Suédoise Greta Thunberg n’ont pas encore débuté, mais au mois de juin Alternatiba organise une vaste tournée nationale d'information et de formation.

A partir du 9 juin, le mouvement traverse des dizaines de territoires et sensibilise aux enjeux environnementaux et à la lutte non-violente. A l’échelle nationale et internationale, la dynamique s’emballe : après le 20 août, les grèves de la jeunesse lancées par Greta Thunberg deviennent plus nombreuses et visibles, l’initiative est reprise par le collectif Youth For Climate à partir du mois de janvier 2019 et d’imposantes “marches pour le climat” ont lieu aux mois de septembre et d’octobre à travers la France, dont Tours et Orléans.

Le 28 août, au micro de France Inter, le ministre de la Transition écologique Nicolas Hulot annonce sa démission pour, explique-t-il, “ne plus se mentir”. La mobilisation populaire, qui se poursuit avec “l’Affaire du siècle” à la fin de l’année 2019, devient un jalon de l’imaginaire activiste. Quelque part, entre juin 2018 et l’automne 2019, sur fond de tensions sociales et alors qu’une mystérieuse pneumonie fait son apparition dans une ville chinoise, quelque chose a basculé.

... à la "génération Covid"

"Cette période-là a été un coup de fouet, qui a ouvert les yeux de pas mal de jeunes”, confirme Simon Destombes, militant de Greenpeace à Tours. Ancien ingénieur dans l’industrie aéronautique, il travaille désormais à la conception de parcs éoliens et consacre une partie de son temps libre à l'activisme. Il prend aussi part, avec Anael Biger, également militante à Greenpeace Tours, à la campagne Gardons les pieds sur terre, visant à lutter contre les subventions publiques allouées à l'aéroport de Tours, et à informer sur les effets nocifs du transport aérien.

L'État aussi s'aperçoit que le moment a quelque chose d'historique, et organise à partir d'octobre 2019 la Convention citoyenne pour le climat. 150 citoyens tirés au sort se voient fournir toutes les informations dont disposent les scientifiques sur le réchauffement climatique, et sont invités à formuler des propositions. 146 sont retenues par le gouvernement, qui affirme, en février 2021, en avoir mis en oeuvre plus de la moitié, et que 71 sont en train d'être appliquées.

En réalité, comme l'ont démontré nos confrères du Monde, une majorité de ces mesures "ont été reprises partiellement et 28 ont été écartées", tandis que pour Reporterre, les mesures appliquées ne sont guère emblématiques et ont, pour la plupart "été aseptisées". Au moment de se séparer, le 28 février 2021, les 150 citoyens de la Convention accordent une note de 3,3 / 10 à la prise en compte par le gouvernement de leurs propositions.

Avec la crise sanitaire, économique et politique, de nombreuses personnes parmi les plus précaires, en particulier les étudiants, ont dû mettre entre parenthèses leur activité militante. Et même sans cela, la mobilisation des forces vives est plus difficile à tous les niveaux : la peur de se réunir, d'attraper la maladie, d'écoper d'une amende, et l'ambiance généralement morose pèsent lourd dans la balance. "Les gens dépriment un peu, chacun chez soi, plutôt que d'essayer de s'organiser collectivement", regrette Rémi Filliau. "On rêvait tous d'un changement radical de monde le 11 mai, quand on a pu enfin sortir", se souvient Anne-Claire, d'ANV-COP21. Et à la place, on a écopé d'un été morose, d'un second confinement et d'un couvre-feu interminable. Mais "il y a plein de petites graines qui ont été plantées", se rassure l'activiste. "Je crois qu'il y a eu une prise de conscience que les citoyens ont un poids énorme pour faire pression sur les instances dirigeantes." La vaccination aidant, la mobilisation climatique entamée en 2018 pourrait donc connaître une renaissance d'ici à l'élection présidentielle de 2022.

Le climat, un enjeu démocratique

L’autre “jambe” du mouvement pour le climat, ce sont les actions dites “constructives” ou “alternatives”. Depuis 2017, Alternatiba a par exemple lancé la campagne “Alternatives territoriales” et constitué plus d’une quarantaine de groupes de travail à travers la France. A Orléans, c’est l’un de ces groupes qui a travaillé sur un pacte proposé aux différents candidats des élections municipales dont France 3 vous parlait ici. Danielle Vendetti, membre du groupe de réflexion et d’Alternatiba 45, explique : "Nous avons fait en quelque sorte l'intermédiaire entre les associations, les personnes compétentes sur ces sujets, et les candidats des municipales. Ensuite nous avons organisé des rencontres avec des élus et nous leur avons présenté le pacte", qui contenait des propositions fortes et emblématiques.

Mais, tout comme les propositions de la Convention citoyenne pour la transition écologique, les propositions pour le climat se heurtent sur le terrain à des rapports de force qui les freinent considérablement. Simon Destombes et Anael Biger, les deux militants tourangeaux de Greenpeace, donnent l’exemple de l’aéroport de Tours contre lequel sont en butte plusieurs organisations. L’aéroport, expliquent-ils, reçoit environ un million d’euros de trois collectivités publiques : Tours Métropole, le conseil départemental d’Indre-et-Loire et le conseil régional.

Chacune de ces entités dispose également de trois sièges au sein du Syndicat mixte pour l’aménagement et le développement de l’aéroport de Tours (SMADAIT). A l’heure actuelle, les écologistes disposent de deux sièges métropolitains et d’un siège régional, soit seulement trois votes sur neuf. Or, pour faire évoluer un sujet comme celui de la diminution des subventions, il faut apporter une modification aux statuts mêmes du Smadait, ce qui ne peut se faire sans l’accord de toutes les parties prenantes. C’est dans ce contexte qu’Emmanuel Denis, maire écologiste de Tours et vice-président de la Métropole, a rendu sa démission de la présidence du Smadait dans un contexte houleux, au mois de décembre, après un court bras de fer sur la suppression de lignes à destination de Marrakech et Marseille. Entretemps, les subventions publiques à l'aéroport, elles, doivent encore augmenter d'un million d'euros par an et par collectivité pendant trois ans pour répondre au besoin d'aménagement et de mise aux normes du site suite au départ de l'armée. “L’aéroport n’est pas seulement un enjeu d’écologie”, conclut Simon Destombes, “c’est aussi un enjeu de démocratie”.

Les assises de la transition d'Orléans : vrai espoir ou fausse piste ?

La démocratie est aussi en question dans l’autre métropole de la région Centre-Val de Loire. A Orléans, au terme d’une campagne agitée, l’ancien maire de 2001 à 2015 Serge Grouard (LR) s’est à nouveau imposé en 2020 face à son ancien poulain , le sortant Olivier Carré (LREM) et à son opposant écologiste soutenu par la gauche, Jean-Philippe Grand. Une fois en place, le “nouveau” maire a annoncé la tenue d’assises citoyennes de la transition écologique, de janvier à avril 2021. L’idée de ces assises est, selon la Métropole, d'instaurer "quatre mois d'échanges et de partage pour relever collectivement le défi de la transition écologique du territoire d'Orléans Métropole."

Une inititiative qui se veut “participative”, mais qui a largement été boudée par certains activistes qui reprochent aux élus, face à l’urgence, de se payer de mots. “De l’extérieur, ça paraît sûrement plein de bonne volonté”, note par exemple Anne-Claire, d’ANV-COP21, "mais ça fait déjà longtemps que les collectifs et les associations mettent des solutions sur la table, proposent des diagnostics, pointent les lacunes du territoire !"

Ça donne un peu l’impression de vouloir ré-inventer la poudre. Faudrait peut-être passer la seconde en fait, voire la troisième !

"La campagne de communication lancée dans le centre-ville est axée sur un message que je lis un peu comme 'et vous, qu’est-ce que vous faites pour le climat ?'", observe pour sa part Franzeska Bindé. “Sauf qu’on n’en est plus là : il faut que les politiciens agissents, que les gens en responsabilité fassent quelque chose à l’échelle supérieure.” Du côté d’Alternatiba, le groupe de travail orléanais a décidé de participer, mais avec prudence et sous conditions. “Personnellement je suis dubitative”, explique ainsi Danielle Venditti, membre du groupe en question. “Pour l’instant on nous a expliqué qu’on était dans une ‘phase apprenante’ pendant laquelle on nous donne des renseignements, et j’ai l’impression qu’on nous laisse peu de place pour les propositions et que tout cela est très cadré.” Après déjà un mois et demi d’assises, elle hésite encore entre l'envie de participer et la défiance : "Ma sensation, c’est que du côté des décideurs politiques il y a déjà d’emblée des projets, des intentions, et que lorsque nous proposons des choses, il y a de leur part une sorte de trituration qui consiste à faire ce qu'ils avaient prévu de toute façon, mais en casant des mots-clés : 'écologie', 'transition'... Le fond reste le même !"

"La maison brûle", et nous regardons (toujours) ailleurs

Ce verdissement de façade, aussi désigné sous l'anglicisme de "greenwashing" n'a rien de nouveau, et tient davantage de l'opération de relations publiques que de l'engagement politique réel. On pourrait en vouloir comme preuve le discours prononcé par l’ancien président de la République Jacques Chirac ici même, à Orléans, le 3 mai 2001, face à un Serge Grouard déjà aux commandes de la ville, et auréolé de sa première grande victoire électorale. Déjà, l’ancien chef de l’exécutif souhaitait tout à la fois lancer un “audit vert” des administrations trop gourmandes en énergie, tout en avertissant qu’il ne s’agirait pas d’alourdir les impôts d’une France “paralysée par un excès de prélèvements fiscaux”, et se refusait à toute action réellement contraignante.

Un an plus tard, à Johannesburg, l’ancien président de la République prononcera une autre phrase sur le climat, devenue symbole à la fois de la prise de conscience tardive de la crise environnementale et du peu d’effet que celle-ci a entraîné dans la classe politique traditionnelle. "Notre maison brûle et nous regardons ailleurs", affirme alors Jacques Chirac. "La nature, mutilée, surexploitée, ne parvient plus à se reconstituer, et nous refusons de l'admettre. L'humanité souffre. Elle souffre de mal-développement, au Nord comme au Sud, et nous sommes indifférents. La Terre et l'humanité sont en péril, et nous en sommes tous responsables." De fait, vingt ans plus tard, le péril n’a fait que se rapprocher.

Les "Jardinières masquées" sèment la révolte à Tours

Que faire donc, lorsqu’il n’y a plus de portrait à décrocher et que les élus sont bloqués par des rapports de force qu'ils ne maîtrisent pas, voire freinent des quatre fers ? Inventer, informer, et surtout : planter. A Tours, c'est ce que font des groupes comme les Jardinières masquées, qui depuis le mois de juillet 2020 réinvestissent des terrains délaissés en y installant des plantations. C'est le cas notamment dans le jardin René Boylesve, en plein centre-ville, où trois blocs de terreau consolidés par des palettes accueillent des potagers communs.

"Le principe est simple, tout le monde peut venir, planter, semer, récolter" explique Pauline Jallais, membre des Jardinières masquées et activiste d'ANV-COP21. Constitué vers la fin du premier confinement, dans la foulée des Couturières masquées du Centre-Val de Loire, le petit groupe s'est vite rendu compte que la crise du covid-19 était aussi alimentaire. Très vite, une douzaine de bénévole commence à réinvestir des terrains publics en friche pour y cultiver des légumes, des pommes de terres ou des choux. "C'est un moyen et pas une fin : un moyen de se rencontrer, de se questionner, de se demander comment le comestible peut exister dans les villes et interpeller les pouvoirs publics." Avec l'arrivée d'une municipalité écologiste dans le sillage des municipales, le dialogue avec la commune de Tours et la Métropole s'est encore approfondi, et les Jardinières masquées disposent désormais de deux autres sites, à la Gloriette et sur l'île Balzac.

Sur la plaine de la Gloriette, les Jardinières ont cette fois mis en place un espace d'agroforesterie qui fait la fierté de Véronique. A 58 ans, cette ancienne prothésiste dentaire affirme avec fierté être devenue autonome sur le plan alimentaire, et se soigner uniquement par les plantes. Autour du petit terrain, des haies sèches ont été installées au nord et à l'est pour protéger les pousses du vent. On y retrouve des fruitiers, pommiers, pêchers, pruniers, cerisiers, mais aussi des charmes ou encore des érables. Tous ces arbres mettront des dizaines, voire des centaines d'années avant de former un véritable bosquet. D'ici-là, c'est encore une fois l'occasion de faire de la pédagogie, de réapprendre aux citadins et aux curieux comment reconnaître telle ou telle plante.

Passer le cap de la prise de conscience

D'autres se concentrent sur la pédagogie et la nécessité d'informer sur les conséquences de la crise climatique et sur les solutions. C'est le cas, par exemple, du jeu La Fresque du climat, qui propose une entrée en matière ludique pour dépasser les clichés et passer le cap de la prise de conscience. Depuis le mois de janvier, le groupe Résistance climatique, fondé notamment par le permacultueur tourangeau Gildas Véret, a également lancé le financement participatif du kit ludique "Inventons nos vies bas carbone". Conçu comme une "suite" à la Fresque du climat, le kit met en scène des cartes de différentes tailles représentant les émissions de carbones de nos actions quotidiennes, que l'on peut échanger ou retirer pour respecter l'objectif de l'accord de Paris : passer de 12 tonnes d'émissions de CO2 par an à 2 tonnes. Et le public a répondu : lors de sa clôture le 12 mars, la campagne de financement participatif avait presque doublé son objectif initial, avec près d'un millier de kits écoulés en pré-vente et près de 40 000 euros rassemblés.

"On est dans l'idée qu'il ne faut plus opposer l'action individuelle et les décisions collectives", explique Arnaud Brulaire, formateur et cofondateur de Résistance climatique originaire du Loir-et-Cher. L'enjeu est au contraire d'articuler les deux dans l'urgence. Certes, si réduire sa consommation de viande rouge est à la portée de tout un chacun, la rénovation énergétique du bâti, par exemple, nécessite une volonté politique forte. Ancien responsable développement durable chez Picard Surgelés, Arnaud Brulaire confie avoir cru, dix ans durant, "faire partie de la solution" en travaillant au verdissement de cette grande enseigne alimentaire. "Lorsque je me suis rendu compte des ordres de grandeur, et d'à quel point tout ce qu'on avait fait jusque-là était insuffisant, j'ai pris une baffe", admet-il.

On ne parle pas de juste se serrer la ceinture par plaisir, on parle d'un monde à +2, +3°C, où l'insécurité alimentaire va se généraliser, où il va y avoir d'énormes mouvements de population.

Arnaud Brulaire, Résistance climatique

"Il faut tout réussir à faire en même temps, et vite." De fait, explique l'ingénieur, la transition vers un mode de vie moins lourd à supporter pour la planète est possible, elle peut même être "joyeuse", mais elle doit se faire sans traîner. D'ailleurs, même après avoir accouché d'une souris, la Convention citoyenne pour le climat aura au moins prouvé que "lorsqu'on met 150 personnes représentatives de la population, qu'on les informe et qu'on leur demande ce qu'il faut faire, elles sont capables d'intelligence collective, de faire des propositions ambitieuses !" Désormais, comme tous les Résistants climatiques, Arnaud Brulaire s'emploie à faire de la pédagogie, pour généraliser la prise de conscience de la Convention citoyenne, dont il aimerait voir le modèle se généraliser "dans tous les territoires", à condition d'être suivi d'effets réels. "L'avantage de la crise actuelle", achève-t-il, "c'est qu'il y a quand même une prise de conscience croissante de la marge très importante entre ce qui doit être fait, ce qui a été annoncé, et ce qui a réellement été accompli".

Mais est-ce qu'il n'est pas déjà trop tard ? Est-ce que les effets de manche et les petits pas n'ont pas déjà coûté trop cher vis-à-vis de la dette climatique accumulée depuis la Révolution industrielle ? Peut-être, oui, étant donnés les rapports de force massifs qui entrent en jeu. Mais peu importe, au fond, à ces révoltés de l'apocalypse, qui ne s'avouent ni vaincus, ni résignés. "Je suis émerveillée par la créativité des mouvements écologistes et de la société dans son ensemble", se rassure Danielle Venditti. "Ce qui peut nous rendre optimistes, c'est le fait de se rassembler, de ne pas rester au niveau individuel." Anne-Claire, de son côté observe qu'il y “a plein de combats qui semblaient perdus d’avance, et qui ont finalement donné lieu à des changements de mentalités”, comme la lutte non-violente pour les droits civiques aux États-Unis. “Ça sert peut-être ‘à rien’", comme les gens le lui disent parfois lors d'actions non-violentes, "mais au moins je fais quelque chose. Je pourrais dire à mes neveux et nièces, si je n’ai pas d’enfants, qu’au moins, j’aurais essayé.” Et chacun à leur manière, ils continuent d'essayer.

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