ENQUÊTE. Le jeûne "thérapeutique" : solution miracle ou mortelle ?

Des influenceurs stars aux stages payants, le jeûne "thérapeutique" a le vent en poupe, notamment auprès d'un public jeune via les réseaux sociaux. Mais une telle pratique peut faire courir des risques sur la santé de certaines personnes. Un "naturopathe" autoproclamé est mis en examen depuis la mort d'une adepte du jeûne en août 2022.

Que s'est-il passé au château de Bron (Indre-et-Loire) à l'été 2021 ? Le 12 août, une femme de 44 ans est retrouvée morte en plein domaine. La police ouvre une enquête et découvre que la quadragénaire participait à un stage de jeûne organisé par un "naturopathe" auto-proclamé, Éric Gandon. 

Cet ancien commercial vend depuis plusieurs années des stages de jeûnes onéreux (plus de 3 000 euros pour un mois) consistant à se priver de nourriture pendant une semaine ou plus. 

Remède miracle ou pire que le mal ?

L'homme prétend que le jeûne peut faire des miracles : "Une maladie qui ne peut être soignée par le jeûne ne peut être soignée par rien d'autre", est-il écrit sur son site, encore accessible en ligne. 

Pourtant, au fil de leur enquête, les policiers ne découvrent aucun prodige, mais plutôt quatre nouvelles personnes se présentant comme des victimes des stages du "naturopathe". Deux d'entre elles, atteintes d'un cancer en stade terminal, sont décédées peu de temps après leur cure. 

Éric Gandon a été placé en détention provisoire et mis en examen pour "homicide involontaire" et "abus de faiblesse" le 12 janvier 2022. Des faits qu'il conteste et pour lesquels il demeure présumé innocent. 

Fausses thérapies et vraies dérives

Ces cures de jeûnes sont monnaie courante dans l'hexagone et les autorités commencent seulement à s'en alerter.  En 2021, la Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires (Miviludes), incitait à la prudence : "Quelle que soit leur dénomination, elles ont en commun d’être coûteuses et de favoriser l’isolement des stagiaires constituant ainsi un moyen pour leurs promoteurs d’asseoir une véritable emprise sur eux".

Dans un rapport publié en 2014, l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm) rappelait également qu'"aucune donnée clinique reposant sur des essais méthodologiques rigoureux ne peut étayer aujourd’hui le bien-fondé de cette piste, qui reste donc pour l’instant essentiellement théorique".

Huit ans plus tard, force est de constater que la science n'a toujours pas tranché la question. Ce qui n'empêche pas la pratique d'avoir le vent en poupe, notamment auprès des jeunes.

Des publicités pour les jeûnes, par les jeunes

Certaines stars d'internet se sont saisies du sujet pour nourrir leur carrière, comme l'humoriste Swann Périssé (608 000 abonnés) qui a passé une semaine entière sans manger. La vidéo se présente comme une opération promotionnelle en partenariat avec le Chemin des possibles, société organisant des stages de "jeûnes/détox" en France et au Maroc.

Moins strict mais tout aussi à la mode, le jeûne intermittent a également la côte chez les influenceurs "fitness" ou "lifestyle". L'objectif : s'alimenter sur un créneau horaire plus court la journée en prolongeant le jeûne nocturne. 

À celui-là aussi, on prête toutes sortes de bénéfices comme la "perte de poids", la "purge du corps", la "hausse de l'insuline", un "bien-être", et même "une amélioration des capacités cognitives". 

L'idole des jeûnes

Certaines entreprises ont d'ailleurs senti le bon filon. Avec un adulte sur deux en surpoids ou obèse en France, la perte de poids est un marché en pleine expansion. La société lituanienne Kilo Health a lancé sa propre application mobile payante, DoFasting, spécialisée dans le jeûne intermittent. 

Grâce au système de partenariats, Kilo Health peut compter sur des influenceurs -majoritairement suivis par un public jeune - pour faire la promotion de son application. 

Sur son site, DoFasting vous promet une " voie express vers une perte de poids saine" et jure que " le jeûne intermittent est un moyen sûr et efficace de se mettre en forme et d'améliorer sa santé en général". 

En quelques clics, elle garantit également des résultats miraculeux : une perte de dix kilos en deux mois pour un homme d'1m75 et 85kg ! Reste à débourser 66 euros pour six mois d'abonnement (ou 33 euros pour un mois) pour affiner à sa silhouette. Sauvé ? Pas si sûr.

Des preuves bien maigres

Le Pr David Jacobi est médecin et chercheur à l’institut du thorax de Nantes (Nantes Université, CHU de Nantes, Inserm, CNRS). Il est l'un des meilleurs experts sur le sujet du jeûne intermittent : " Il y a des allégations concernant le jeûne intermittent qui dépassent le niveau de preuves disponibles".

Sur la question du lien entre jeûne intermittent et perte de poids, la science n'a en réalité, toujours pas tranché : "Quand on parle des études sur l'homme, il n'y en a pas beaucoup et le niveau de preuves est faible", poursuit David Jacobi. Dans la mesure où la charge de la preuve incombe aux défenseurs du jeûne, les arguments en leur faveurs sont donc bien maigres.

Quand on parle de la perte de poids, de la gestion du poids, il y a une facilité à se saisir des solutions qui ont l'air miraculeuses. Ça existe depuis longtemps"

David Jacobi, médecin et chercheur à l'Institut du thorax

Ces "preuves disponibles", le médecin en expose quelques-unes dans une conférence diffusée sur YouTube. L'expert en cite deux, à titre d'exemple. La première, publiée en 2015, conclut à la perte de 3,5 kilos en seize semaines pour 8 hommes atteints d'obésité. Une autre, plus récente (2020) et sur un nombre de patients plus important, conclut l’inverse : le jeûne n'a pas permis de perdre de poids. 

Dans la majorité des études qui s'intéressent à la perte de poids, les gens n'ont pas perdu de poids de manière importante. Il n'y avait pas de bénéfices supplémentaires à une restriction alimentaire.

David Jacobi, médecin chercheur à l'Institut du thorax

Reste que tout n'est pas à jeter : "L'idée générale du jeûne intermittent est de manger sur une période un peu plus naturelle, qui correspond plus à nos rythmes internes. Ça a une certaine cohérence", reconnaît David Jacobi.

Cela peut faire partie d'une intervention d'équilibre alimentaire, surtout si les horaires auxquels vous mangez sont très perturbés.

David Jacobi, médecin chercheur à l'Institut du thorax

Des bénéfices au jeûne intermittent sur le métabolisme peuvent donc exister. Mais, là encore, sans certitude scientifique : "On a quelques études, sur un échantillon de personnes très limité qui montre des effets intéressants", poursuit le spécialiste.

Par exemple, une étude récente, publiée en 2020, montre une baisse du LDL-cholestérol (le "mauvais"), une baisse du taux de sucre ou encore une amélioration de la qualité du sommeil chez les patients étudiés.

Sauf que l'étude ne concerne que des adultes prédiabétiques d'une soixantaine d'années. De quoi tirer des conclusions générales ? "Il ne faut pas prêter aux études des effets qu'elles n’ont pas démontrées", insiste le médecin. "Tout le monde n'est pas un adulte prédiabétique d'une soixantaine d'années. Donc on ne peut pas attribuer ce type d'effet bénéfique à tout le monde.

Des jeûnes remboursés chez nos voisins européens

Reste une dernière question en suspens : comment s'informer pour éviter les conseils erronés ou mensongers ? "C'est assez difficile", reconnaît David Jacobi.  "Si vous choisissez les études dont les résultats vous arrangent, vous allez en trouver."

Reste que les bienfaits du jeûne sur la santé sont, pour l'heure, purement théoriques : "Les messages de santé publique qu'on peut établir concernant certains bénéfices d'une alimentation sur la santé reposent sur de multiples études bien réalisées : leur méthode est correcte et leurs résultats vont dans le même sens. C'est à ce moment-là qu'on peut dire, avec une certaine confiance, que l'intervention est bonne pour la santé."

Or, "on n’en est pas là avec le jeûne, même si les résultats obtenus incitent à poursuivre la recherche." Chez certains de nos voisins, en revanche, la pratique du jeûne est monnaie courante et peut même être remboursée par la sécurité sociale. C'est le cas par exemple en Allemagne où des centres médicaux sont spécialement dédiés au jeûne.

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