Comment se débarrasser ou limiter la progression du frelon asiatique, cauchemar des apiculteurs et véritable fléau pour les abeilles ? Nous avons posé quatre questions à Eric Darrouzet, spécialiste du frelon asiatique à l’Institut de Recherche sur la Biologie de l’Insecte à Tours
Eric Darrouzet est enseignant-chercheur à l’Institut de Recherche sur la Biologie de l’Insecte à l’université de Tours. Depuis une dizaine d’années, il étudie le frelon asiatique, le Vespa velutina nigrithorax, une espèce invasive et un redoutable prédateur qui attaque et décime des colonies d’abeilles.
Ce frelon serait arrivé en France avec l’importation de poteries en provenance de Chine en 2004. Aujourd’hui, toute la France est colonisée et le frelon asiatique figure dans la liste des espèces exotiques envahissantes, préoccupantes au niveau européen.
Faut-il piéger les frelons asiatiques au printemps ?
Eric Darrouzet : "compliquée, car,n compliquée car , il’heure actuelle il n’y a pas de données scientifiques qui montrent si le piégeage de printemps a un effet ou non sur le nombre de colonies sur la zone dans l’année. On ne sait pas.
Le piégeage de printemps est mené depuis plusieurs années, notamment dans le sud-ouest donc il y a plein d’endroits où les gens se sont lancés à faire ça mais c’est souvent des campagnes de piégeage à l’échelle locale d’une commune ou d’une vallée dans les Pyrénées etc. De facto ça existe depuis des années mais il y a toujours des nids de frelons.
Ca ne peut marcher que si c’est mené encore à grande échelle et encore on ne sait pas. C’est une pratique qui est très critiquée par mes collègues du Museum de Paris notamment, car ils considèrent qu’avec le piégeage vous n’allez pas forcément capturer des vraies fondatrices qui vont construire des nids mais aussi des compétitrices car on est en mode de compétition avec des combats entre femelles pour gagner le nid qui a déjà été construit, en fait.
Donc la question c’est : est-ce qu’avec le piégeage de printemps on va capturer et retirer du terrain de l’environnement de vraies fondatrices ou des femelles qui ne feraient pas de nids finalement ?
Le piégeage de printemps, comme on ne sait pas pour l’instant, moi je ne suis pas contre. Quand on me pose la question j’ai tendance à dire aux gens, OK faites le si vous voulez mais avec certaines précautions. Ca a peut-être un effet positif mais scientifiquement on ne sait pas."
Quelles précautions prendre pour piéger les frelons et ne pas endommager la biodiversité ?
ED : "Les précautions à prendre c’est tout d’abord d’utiliser des pièges sélectifs pour ne pas impacter les populations d’insectes qu’on ne cible pas. Il y a quelques années les pièges avec des bouteilles ou un bol avec un couvercle et du liquide sucré n’étaient pas sélectifs et très dommageables sur les populations d’insectes qui se noyaient.
Maintenant on a des pièges nasse qui sont un peu plus grands en volume avec des grilles par lesquelles les petits insectes peuvent entrer et ressortir et des cônes qui permettent à des insectes de certaines tailles comme les frelons asiatiques de rentrer mais pas ceux de taille supérieure.
Et il y a un grillage très fin sur l’appât donc ça évite que les insectes se noient dans l’appât. Ce type de piégeage est beaucoup plus intéressant, il est couramment utilisé pour la campagne de piégeage de printemps mais pas forcément par tout le monde. Il y a encore des gens mal informés.
De mon point de vue, le piégeage doit surtout être fait par des gens motivés. Il faut regarder les pièges tous les jours, les gérer et ils doivent être encadrés par des gens motivés et formés, qui ont bien conscience des risques encourus, des bonnes pratiques à mettre en œuvre et qui sont capables d’encadrer des gens qui sont souvent néophytes pour leur apporter toutes les connaissances nécessaires."
Comment aider vos recherches sur les frelons asiatiques ?
ED : "On contacte chaque année les mairies des communes d’Indre-et-Loire pour pouvoir récupérer des colonies de frelons vivants parce que je mène plusieurs études en laboratoire avec des stagiaires et des gens que j’ai recrutés en CDD et on a besoin de frelons pour mener des expérimentations.
On commence en général à collecter à partir de juin, juillet jusqu’à fin octobre, mi- novembre tout dépend si les frelons sont toujours vivants. Ça c’est uniquement pour les expérimentations. Cette année on va certainement faire la même chose et probablement aussi faire des expériences sur site, là où il y a une colonie de frelons pour tester des molécules phéromonales. Du coup, on est toujours en recherche de colonies pour mener des manipulations."
Quelles actions sont menées à l’IRBI pour combattre le frelon asiatique ?
ED : "Je travaille depuis presque 10 ans sur les phéromones. J’ai un partenariat avec une entreprise avec un financement pour une étudiante en thèse qui a commencé il y un mois. Elle va travailler sur les phéromones pour faire des appâts sélectifs pour les piégeages.
On a déjà identifié 2 phéromones, on a encore un peu de travail à faire sur l’une d’entre elles et ensuite, c’est essayer de les utiliser dans des pièges avec des formules spécifiques pour que ça libère les molécules de manière continue et efficace. On partirait sur 2 appâts, un qui est à base de la phéromone sexuelle qui serait utilisé vers septembre octobre. Là, c’est pour capturer les mâles et impacter la reproduction de l’espèce.
Si on faisait ce type de piégeage qui est très, très sélectif à grande échelle on pourrait diminuer la population de mâles dans l’environnement, ça compliquerait les choses pour les femelles pour s’accoupler et avoir des spermatozoïdes, donc on peut envisager, à moyen terme, de diminuer la population pour qu’elle pose moins de problèmes.
Le deuxième type d’appât avec la phéromone d’alarme est un piège utilisé du printemps jusqu’à l’hiver, qui est fait pour attirer les ouvrières. L’idée serait de protéger un site, comme un rucher par exemple, pour protéger les colonies d’abeilles. Sur une place de marché, ce piège pourrait éviter que les frelons aillent sur les étals de viande ou de poisson. Dans un verger, si vous avez des frelons asiatiques qui vont grignoter les fruits et qui impactent la production ça permettrait de protéger le verger.
L’entreprise Scyll’agro avec laquelle on collabore, nous fabrique les molécules de ces 2 phéromones et les formules à façon pour qu’on puisse les tester derrière, les rendre plus efficaces et avancer sur le développement des appâts qui seraient commercialisables, j’espère dans les 3 ans, la durée de la thèse de l’étudiante.qui travaille sur ce projet à l'IRBI."