Au Château de Tours, le Jeu de Paume rend hommage à Letizia Battaglia (1935-2022), aujourd’hui considérée comme l’une des grandes photographes du XXe et du début du XXIe siècle. L'artiste italienne a traité de nombreux sujets, mais c'est surtout son travail sur la Cosa Nostra, la mafia de Sicile, qui l'a rendue célèbre.
Née à Palerme, capitale de la Sicile, en 1935, Letizia Battaglia est mariée dès 16 ans. Ses ambitions littéraires sont freinées par un époux qui la cantonne au rôle de femme au foyer et mère de famille. Ce n'est qu'après son divorce qu'elle entamera une carrière de journaliste, à Milan, à l'orée des années 1970. Avec des reportages sur l'évolution des mœurs en Italie pour différents magazines, où elle signe à la fois l'article et les photographies qui l'illustrent.
"Elle était plus dans l'écriture au départ et sa carrière de photographe a commencé assez tard, explique Walter Guadagnini, commissaire de l'exposition et directeur de Camera, centre italien pour la photographie. Elle a dû se résoudre à apprendre la technique, qui ne l'intéressait pas beaucoup. Pour elle, c'était le cœur qui comptait, le courage de prendre la photo".
Son grand courage, Letizia Battaglia va en faire la preuve à partir de 1974, après son retour à Palerme. Elle devient la directrice du service photo du quotidien L'Ora, et va documenter jour après jour les tragiques évènements mafieux qui ensanglantent la Sicile pendant plus d'une décennie. Photographiant sans aucun filtre les scènes de crime et les cadavres, les funérailles et les arrestations, en s'approchant au plus près de la scène.
Tandis que meurent assassinés les principaux protagonistes de ses clichés, magistrats et policiers, Letizia met sa vie en danger avec ses photos de victimes affichées dans les journaux et dans l'espace public. Elle doit aussi s'imposer en tant que femme dans un monde professionnel et une société encore très machiste.
Les deux grands thèmes de sa carrière sont d'un côté la mort, de l'autre la vie. Elle expliquait qu'elle avait rencontré la mort parce que c'était son métier, et qu'elle voulait en témoigner pour que le peuple se lève contre la mafia. Et puis il y avait ses nombreuses photos d'enfants, de jeunes, qui représentaient certainement à ses yeux l'espoir d'un monde meilleur.
Walter Guadagnini, Commissaire de l'exposition Letizia Battaglia
L'œuvre, immense (plus de 500 000 photographies !) de Letizia Battaglia ne se limite pas, en effet, aux guerres mafieuses qui ensanglantent l’Italie à cette époque. En Sicile, elle photographie avec passion tous les aspects de la vie insulaire, sa complexité et ses contrastes, entre l’extrême pauvreté qui y règne et les classes aisées de la région. Elle dénonce la réalité sociale et urbaine sinistrée de Palerme, représente régulièrement les populations les plus fragiles et notamment les femmes et les enfants.
En 1986, suite au travail d’enquête mené par les magistrats Giovanni Falcone et Paolo Borsellino, débute le « maxi-procès de Palerme » contre les tueurs de Cosa Nostra, mais surtout contre les chefs des clans et leurs alliés politiques. Aux condamnations prononcées en 1992, s'ensuivent les assassinats des deux juges instructeurs et leurs escortes. Letizia Battaglia met un terme à son activité de photoreporter, épuisée par son contact quotidien avec la violence et la mort, et par l’incapacité apparente de la ville de Palerme de se rebeller contre cet état de fait.
Exposition Letizia Battaglia au Château de Tours, jusqu'au 18 mai 2025.
Horaires, tarifs et renseignement sur le site du Château.