Des membres de Solary impliqués dans un harcèlement en ligne : les influenceurs doivent-ils se surveiller ?

Fin mars, une jeune femme a reçu des milliers de menaces et injures après avoir exposé publiquement des messages reçus en privé d'hommes cherchant à entrer en contact avec elle. Un phénomène courant sur les réseaux sociaux. 

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"Jusqu'à présent, je n'avais pas mis mon visage en photo de profil, et je venais de le changer, raconte A.* Après l'avoir fait, j'ai commencé à recevoir des messages, des remarques sur mon physique, et des photos de pénis non sollicitées. J'ai dit : j'en ai marre, il faut assumer ce que l'on dit."

La jeune internaute, dont le Twitter est essentiellement militant et féministe, décide alors de publier les messages privés qu'elle reçoit (les DM, ndlr), sans anonymiser leurs auteurs. L'objectif est double : dire son ras-le-bol, et protéger d'autres femmes et militantes. 

"Effectivement, certains n'avaient rien de méchant, ou insultant. Mais je me contrefous de l'avis des gens sur mon physique, ça me met mal à l'aise. Vous me trouvez jolie : gardez-le pour vous. Les personnes qui viennent nous parler comme ça ont une attente."

Mais cette dénonciation des pratiques sexistes du réseau a déclenché envers la jeune femme une vague de haine irrépressible. Peu après sa publication, le tweet est repéré par Melon, l'un des membres de l'équipe Solary, suivi par plus de 93 000 personnes. "T'es giga moche en plus, quel con", répond-il sous la publication, sans pourtant être lui-même concerné.

D'autres streamers extérieurs à la structure, comme Sardoche, envoient ensuite d'autres tweets grinçants, attirant l'attention de leur communauté. 
 

24heures, des milliers de menaces


"Le lendemain matin, j'avais plus de 100 DM en attente, et dans mes mentions j'avais des milliers et des milliers et des milliers d'insultes. J'ai lu tous mes DM. C'étaient uniquement des hommes." Dans ces messages, des flots d'injures, menaces de viol, de mort, et incitations au suicide. Perpétré sur une personne majeure, ce type de harcèlement peut-être puni de 2 ans d'emprisonnement, et 30 000 euros d'amende. 
 
Ce phénomène n'est malheureusement pas rare, ni propre au monde du jeu vidéo, et a été épinglé par un compte twitter intitulé "Gourous toxiques", qui déroule la logique qui a mené au harcèlement de la jeune femme. 
 
"Je n'ai pas souhaité céder à la pression et fermer mes DM. C'est aux autres de savoir se comporter correctement. C'est l'équivalent du "Si tu veux pas te faire violer, sors pas de chez toi." Ce n'est pas parce que mes DM sont ouverts qu'on a le droit de venir me traiter de pute."


"C'était un propos général" : LRB s'explique



"LRB", l'un des cofondateurs de Solary, a lui aussi contribué à lancer cette vague de haine en ligne. Il a accepté de revenir sur cet engrenage qu'il a favorisé, involontairement selon ses dires. 

Lui n'a pas cité la jeune femme en question, ne l'exposant donc pas directement à sa communauté. Mais dans un contexte où l'attention convergeait déjà vers elle, les internautes les plus haineux l'ont pris pour argent comptant. 

"J'ai choisi d'intervenir parce j'ai vu qu'il y avait pas mal de personnes qui affichaient publiquement des gens sur twitter, et ça faisait déjà quelques temps que je voyais ça, avec les noms, les pseudo, les photos... Il y a des fois où c'était selon moi totalement justifié : le mec ou la fille était odieux. Mais des fois, les gens sont totalement normaux, ils viennent parler pour parler, sans mauvaise intention. Et pour ces personnes-là, je ne trouvais ça pas juste en fait" explique LRB. 

"Venant de là, j'ai mis ce tweet-là : les personnes qui affichent des gens qui n'ont aucune mauvaise intention, pour les descendre en public... J'ai utilisé le mot "pute", mais ça aurait pu être pour un homme aussi. J'aurais pas dû utiliser ce mot-là, reconnaît-il, conscient de la connotation sexiste du terme. Mais c'était un propos général."
 

LRB ne nie pas le rôle joué par son message, qui en a selon lui "clairement rajouté". "Je pense que ça a joué, et j'en suis vraiment désolé. Ce n'était pas mon intention."

Difficile pourtant d'ignorer qu'il est suivi par une communauté de plus de 200 000 personnes, connue pour comporter une part minoritaire mais active de "trolls"* ou de "haters"*. D'autant que LRB et les membres de son équipe reçoivent eux-mêmes régulièrement des messages à caractère sexuel ou des photos dénudées. 

"C'est certain que quand on a une communauté, il faut être prudent. Ça peut dégénérer vite, beaucoup d'influenceurs ne font pas spécialement attention, et cette fois-ci ça a été mon cas. On en a parlé entre nous ensuite, on a vu que les gens étaient odieux avec elle, ça n'a jamais été le but. Je pense qu'à l'avenir, ce sera aussi notre rôle de faire de la prévention, même s'il y aura toujours une minorité de cons qui se croiront tout permis", conclut LRB. 


"Si j'ose dire quelque chose, je suis une pute"


La jeune femme, de son côté, est peu convaincue par ces excuses.

"Quand on traite les harceleurs de malades, on les déresponsabilise complètement. Les personnes qui nous harcèlent sont des monsieur-tout-le-monde, la preuve puisque lui-même y a participé. Il ne me citait pas, mais il reprenait un tweet qui parlait de moi. ça durait depuis 24heures, il faut arrêter de prendre les gens pour des billes. Il est coupable de son propre tweet, et il a une part de responsabilité dans mon harcèlement."

Elle entre également en désaccord avec le fond du propos. "Ses propos sont sexistes. Je suis une femme, si on vient m'aborder, je dois dire merci et répondre, et si j'ose dire quelque chose, je suis une pute. C'est le même schéma que le harcèlement de rue. Les hommes considèrent qu'ils sont en droit de venir commenter notre physique n'importe où et n'importe quand. Si on les remet en place, on se fait insulter."
 

Une communauté influencée ?


Pour elle, les influenceurs en général ont un rapport ambivalent à leur communauté. "Ils ne peuvent pas dire le lundi : je négocie un contrat avec une marque, en me basant sur ma communauté, je peux leur vendre votre produit ; et le mardi je me dédouane des propos qu'ils tiennent en prétendant que je ne peux pas les influencer", ironise-t-elle. 

Certains, de plus, sont des récidivistes. Ils sont même tagués par leurs abonnés sous des tweets de militantes féministes. "Le fait que je sois une femme et que ce soit des hommes c'est essentiel, ce n'est pas juste du harcèlement, c'est du harcèlement sexiste.Ces gens-là font leur beurre sur le harcèlement des femmes. Les followers aiment voir leurs influenceurs casser des femmes en public. C'est comme dans la vraie vie : on attire des gens qui nous ressemblent. S'en dédouaner c'est hyprocrite, et insultant." 
 
« Je ne souhaite à personne de vivre ça. C'est comme un coup d'enclume. Il faut être conscient de ce qu'on dit, et de l'impact qu'on a. Et il faudrait peut-être aussi que les sponsors se demandent s'ils veulent vraiment être assimilés à des harceleurs." *Troll : internaute qui s’immisce dans les débats juste pour le plaisir d’énerver les autres
*Hater : internaute ayant pour habitude de déverser sa haine, de manière plus ou moins violente
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