Trois semaines après avoir été contraint par le Conseil d’Etat à mettre à l’abri 3 mineurs non accompagnés, le Département d’Indre-et Loire vient à nouveau de se faire condamner par le Tribunal administratif d’Orléans.
Appelons-le B. Ce jeune guinéen affirme avoir 15 ans et demi. Lorsqu’il arrive au local de l’association Utopia 56, le 7 février dernier à l’heure du dîner, il présente une fiche fixant son rendez-vous d’évaluation au 4 mars, sans qu’aucune mise à l’abri ne lui soit proposée par le Département. Ce dernier en a pourtant l’obligation légale. Un premier rappel à la loi lui avait été fait par le Conseil d’Etat une quinzaine de jours auparavant dans une affaire similaire.
Une nouvelle action est donc entreprise auprès du juge des référés du Tribunal administratif d’Orléans. Dans sa décision du 11 février, le juge ordonne au Département de procurer au jeune B. un hébergement d’urgence dans l’attente de son évaluation. Une deuxième condamnation pour le Département, donc.
Dès le lendemain matin, le jeune homme est reçu pour son évaluation dans les bureaux de l’Aide sociale à l’enfance. A 14h il est rejeté du dispositif applicable aux mineurs non accompagnés. Depuis, le jeune B. a disparu des écrans.
Cette histoire illustre en réalité parfaitement les difficultés auxquelles sont confrontés les différents acteurs dans ces dossiers. Les jeunes, tout d’abord, que l’on voit arriver en nombre depuis ces années, et qui se retrouvent souvent livrés à eux-mêmes, dans une grande précarité. Les institutions – services de l’Etat comme ceux du Conseil départemental – qui peinent à gérer un phénomène devenu de grande ampleur. Et les bénévoles des associations qui assurent tant bien que mal le quotidien de ces jeunes, en ne comptant que sur les dons et la bonne volonté de chacun.
Les délais d'attente sont allongés
Dans ce domaine, la loi française est très claire : un mineur isolé doit être mis à l’abri. C’est à chacun des départements d’assumer cette obligation, du moins jusqu’à sa majorité. Charge à la collectivité de prouver que le jeune demandeur n’est plus mineur. Problème : dans l’Indre-et-Loire, les demandes émanant de mineurs non accompagnés arrivant sur le territoire départemental se multiplient. Ils étaient 269 en 2016, 553 l’année suivante, et 1876 en 2018.
Du coup, les délais d’attente pour évaluer la réalité de la minorité des jeunes demandeurs se sont considérablement allongés. Malgré des moyens supplémentaires (17 agents contre 7 auparavant), les jeunes doivent attendre à présent 30 jours avant d’obtenir leur rendez-vous. On est loin du délai maximum fixé à 5 jours par la loi. Le coût pour la collectivité est conséquent : on est passé de 4,7 millions d’Euros en 2016 à des prévisions de l’ordre de 13 millions d’Euros pour 2019.
La question des mineurs non accompagnés n’est pas juridique ; elle est politique - Jean-Gérard Paumier, président du Conseil départemental d’Indre-et-Loire
Jean-Gérard Paumier, le président du Conseil départemental, estime que « la question des mineurs non accompagnés n’est pas juridique ; elle est politique ». Selon lui, l’arrêt du Conseil d’Etat ne concerne pas seulement l’Indre-et-Loire, « mais l’ensemble des départements de France ». Il souhaite donc « que l’Etat infléchisse sa politique, notamment en accroissant ses financements pour les mineurs non accompagnés et en généralisant (…) le répertoire biométrique national. »
Le répertoire biométrique, c’est un dispositif actuellement testé dans quelques départements (Essonne, Bas-Rhin, Haute-Garonne et Isère) qui permet d’éviter de multiplier les évaluations lorsque les jeunes se présentent successivement sur plusieurs territoires.
Une manière pour eux de multiplier leurs chances d’être reconnus mineurs diront certains. Pour Marine Teduaf, de l’association Utopia 56, « il s’agit d’un fichage d’autant plus intolérable que les évaluations sont le plus souvent expéditives, et donc d’une piètre fiabilité. Le doute – lorsqu’il existe - devrait toujours être favorable au jeune et préserver la présomption de minorité ».
Des évaluations fiables ?
En cause, la fiabilité des évaluations. Selon le Président du Conseil départemental d’Indre-et-Loire, celles-ci sont « sérieuses et approfondies », ce que conteste Utopia 56 pour qui « il est impossible de se faire une idée précise avec un entretien qui dure seulement 1h30. Quant aux examens osseux, les spécialistes s’accordent pour dire qu’il y a entre 18 mois et 5 ans de marge d’erreur. Comment, dès lors, rejeter un jeune de façon aussi catégorique ? »
Il reste, pour le jeune écarté lors d’une première évaluation, à demander un recours au juge des enfants. Avec un délai de deux à trois mois avant d’être convoqué. Durant cette période, rien n’a réellement été prévu par la loi. De nombreux jeunes se retrouvent alors dans une situation juridiquement floue où ils ne bénéficient d’aucun droit. A Tours, une trentaine d’entre eux sont pris en charge par le collectif « Plan B », et une trentaine d’autres sont accueillis chez des hébergeurs bénévoles.
> Pour aller plus loin : de nombreuses informations sont disponibles sur le Centre de ressources sur les mineurs isolés étrangers