Des tentes ont été dressées en plein centre-ville, ce mercredi 13 septembre 2023 devant la mairie de Tours. Par cette action symbolique, l’association Utopia 56 veut interpeller habitants et pouvoirs publics sur le manque de places d’hébergement pour les jeunes migrants non accompagnés.
À Tours, ils sont une dizaine de jeunes migrants, entre 15 et 17 ans, qui restent chaque jour sans solution d’hébergement. C’est-à-dire laissés à la rue. Une situation inacceptable pour Utopia 56, une association qui se bat au quotidien pour accueillir et accompagner ces jeunes dans leurs démarches pour faire reconnaitre leur minorité.
La situation est paradoxale : notre pays s’est donné pour obligation d’accueillir et de protéger tous les mineurs qui se trouvent sur le territoire, quelles que soient les raisons qui les y aient amenés. À la différence des majeurs, qui sont en principe accompagnés par l’État dans le cadre d’une demande d’asile, les mineurs, eux, sont pris en charge par les Conseils départementaux. La difficulté réside donc dans la reconnaissance, ou non, de leur minorité.
Un cas sur deux est réévalué par le juge des enfants
En Indre-et-Loire, les services du Conseil départemental les reçoivent et évaluent leur âge après un simple entretien d’environ une heure trente. Si la demande de reconnaissance de minorité est rejetée, les jeunes doivent alors se tourner vers le juge des enfants qui procède à un réexamen, en s’aidant notamment de l’étude des papiers s’ils existent, et d’un test osseux (examen dont l’exactitude est régulièrement contestée). Approximativement un cas sur deux est ainsi réévalué.
Le problème, c’est que durant toute cette période d’examen et de réexamen de leur situation, ils sont confrontés à un flou juridique où ils ne peuvent ni être pris en charge par l’État comme les adultes (il leur est par exemple interdit d’appeler le 115 pour trouver un hébergement d’urgence) ni suivis par le Conseil départemental, tant qu’ils ne sont pas effectivement considérés comme mineurs.
Créée en 2020, la maison d’accueil est saturée
Pour venir en aide à ces jeunes, l’association Utopia 56 a créé, en 2020, une maison des jeunes qui accueille une quinzaine d’entre eux. Quinze autres sont hébergés dans des hôtels et une petite dizaine est placée dans des appartements prêtés ou en hébergements solidaires. Faute d’une plus grande capacité d’accueil, les jeunes restants sans solution sont placés dans des tentes sur un terrain en friche du centre-ville. "Pas de toilettes, pas de douche : on ne peut pas laisser ces jeunes dans ces conditions lamentables et laisser les pouvoirs publics se renvoyer la balle en les ignorant comme s’ils n’avaient aucune existence !" plaide Jenny Briant-Mac Gregor, coordinatrice d’Utopia 56 Tours.
Un sentiment partagé par Aboubakar, un jeune Guinéen de 17 ans : "cela fait deux mois que je vis dans des conditions difficiles. On m’a diagnostiqué une tuberculose et cela devient très compliqué de me traiter dans ces conditions. C’est si difficile qu’il m’arrive de penser au suicide" avoue-t-il.
Tous "nés quelque part"
Même sentiment de mal-être et de gâchis ressenti par Laminé, autre Guinéen de 16 ans : "la journée, je ne peux rien faire. J’aurais aimé aller à l’école, mais jusqu’à présent cela n’a pas été possible. Cela me fait mal". À 16 ans, Jean-Noël explique pourquoi il est venu de sa Côte d’Ivoire natale : "Si j’ai fui mon pays, c’est que là-bas, on n’a rien, on n’étudie pas, on ne va pas à l’école, on traîne dans la rue. On ne veut pas de cette vie-là. C’est pour cela que je suis arrivé ici."
Ces jeunes, si vulnérables, ont un parcours terrible ; on a l’obligation morale, humaine et éthique de les mettre à l’abri
Ursula Vogt – élue d’opposition EELV au Conseil départemental 37
Avec cette action spectaculaire menée aujourd’hui par Utopia 56, il s’agit de rendre plus visible la situation de ces jeunes et de dénoncer ce qu’ils considèrent comme une inaction des pouvoirs publics. Dans les haut-parleurs, la chanson "Né quelque part" de Maxime le Forestier, terriblement d’actualité.
Présomption de minorité
Bien sûr, la première revendication est celle de renforcer le nombre de places d’accueil, pour faire face à l’urgence de la situation et "parce que ces jeunes ont le droit d’être bien accueillis en France" comme le martèle Jenny Briant-Mac Gregor. Mais, pour elle, il faut aller plus loin et adopter ce que l’on appelle la "présomption de minorité" : "lors de l’arrivée d’un jeune, ce ne serait plus à lui de prouver sa minorité, mais au contraire aux pouvoirs publics de prouver qu’il est majeur. Au moins cela nous permettrait de les mettre à l’abri sans attendre une hypothétique reconnaissance".
Cette revendication d’une inversion dans l’ordre de la présomption, le député EELV Charles Fournier la connaît bien. Il s’en est même fait porte-parole dans le groupe de travail de l'Assemblée nationale étudiant les conditions d'accueil des mineurs non accompagnés. Selon lui, "il faut adopter la présomption de minorité par principe, parce qu’on sait bien que, sinon, les évaluations sont incertaines. Cela éviterait de mettre tout le monde en tension et on pourrait mieux accompagner ces jeunes".
Faute de mieux, IsmaÏl, Aboubakar, Laminé, Jean-Noël et les autres retournent chaque soir dormir dans les rues de Tours. Et ces jeunes ne sont pas les seuls : les organismes chargés d’accueillir les adultes sont, eux aussi, tellement saturés que le numéro d’urgence 115 ne parvient plus faire face et des familles entières, avec parfois de très jeunes enfants, sont également priées de passer leurs nuits dehors.