Ce jeudi 5 décembre ouvrait le premier magasin Primark de la région Centre-Val de Loire. Si l'arrivée de cette nouvelle enseigne est une bonne nouvelle pour le commerce, elle l'est beaucoup moins pour l'environnement et les associations qui croulent déjà sous les dons de vêtements issus de la fast "fashion".
Avec l'ouverture à Tours d'un magasin Primark, c'est la menace d'une nouvelle avalanche de dons de vêtements de mauvaise qualité qui plane sur l'association Active. L'association vend des vêtements issus des dons dans deux boutiques solidaires et d'insertion à Tours. "Ici nous pratiquons de tout petits prix pour des vêtements de qualité", explique Mondane Blin, vice-présidente de l'association Active à Tours.
Quand ils ne sont pas jetés, beaucoup de vêtements issus de la "fast fashion" (anglicisme désignant la "mode rapide", produite et déclinée très rapidement par les producteurs grâce notamment à des matériaux de mauvaise qualité) sont donnés à des associations comme Active. "70 % de ce qui vient de la fast fashion ne peut pas être mis en boutique. Parce qu'une fois qu'ils ont été portés, ces vêtements sont tout distendus et abîmés".
Non seulement l'ouverture de cette nouvelle enseigne de fast fashion à Tours constitue une concurrence déloyale avec des vêtements à prix très bas et neufs mais elle risque d'aggraver un phénomène qui inquiète déjà beaucoup les associations qui reçoivent des dons de vêtements.
"On est déjà envahi de choses qui partent chez le recycleur. Il est venu il y a dix jours et on en est déjà là", déplore Mondane Blin en montrant un camion aux trois quarts plein de sacs de vêtements qui doivent partir au recyclage.
Des vêtements en polyester impossibles à recycler
L'association Active à Tours doit écouler chaque mois 10 tonnes de vêtement via la filière de recyclage. "Le recycleur hésite à venir parce qu'il est déjà submergé. Donc ça va être un vrai problème", confie Mondane Blin. Si le recycleur hésite à venir c'est aussi parce que "les vêtements sont de plus en plus difficiles à recycler. Le coton, la laine, le lin, ça se recycle mais en revanche le polyester pas du tout", ajoute-t-elle. "Chaque mois on a peur que le recycleur ne puisse pas venir nous prendre nos stocks."
Une enseigne de fast fashion supplémentaire dans une ville écologiste
Ce jeudi 5 décembre, environ 1200 clients se sont rués sur le premier magasin Primark de la région Centre-Val de Loire à l'Heure tranquille à Tours. Tous sont attirés par les bas prix, la marque de fabrique de l'enseigne irlandaise, pilier de la fast fashion. "Enfin on en a un dans notre ville ! ", "En ces temps difficiles, c'est un bon rapport qualité prix et ça correspond à notre budget", expliquent ces clients qui attendaient très nombreux l'ouverture.
L'inauguration s'est faite en grande pompe. Parmi les invités, Iman Manzari, adjoint au maire chargé du commerce à Tours, ville écologiste. "Ce sont des opérations privées. Ce n'est pas une volonté de la ville de faire venir Primark. Ils ont eu un accord avec Apsys, gestionnaire et propriétaire de l'Heure tranquille. La ville n'intervient pas", rappelle-t-il. Il voit malgré tout dans cette ouverture "la création de 98 emplois dont 13 pour des personnes en situation de handicap et un signe d'attractivité commerciale du territoire".
Concernant les pratiques de l'enseigne sur le plan social et environnemental, il juge "encourageants" les engagements pris par Primark comme le coton bio et de meilleures conditions de fabrication dans les années à venir. "Notre rôle est de demander des gages et d'aller plus loin sur le social et l'environnement et de veiller derrière à ce que ce soit respecté. Il vaut mieux qu'il y ait des élus qui soient sensibilisés à ces sujets-là et qui travaillent avec les enseignes pour améliorer les choses plutôt que ce soit des élus qui n'abordent pas ces sujets et que les choses ne changent pas."
Primark refuse d'être associé à la fast fashion
La directrice générale de Primark France, Christine Loizy, venue à Tours pour inaugurer ce nouveau magasin refuse le terme de "fast fashion" pour qualifier son enseigne. "Le mot 'fast fashion' est péjoratif et ça ne me plaît pas", déclare-t-elle.
Nous sommes fiers de ce que nous faisons. Et nous sommes contents qu'il y ait un texte de loi qui vise à réglementer le textile, et notamment de ranger les marchands de textile en fonction de ce qu'ils font pour sortir des images qui sont un peu des fantasmes autour de notre enseigne par exemple.
Christine Loizy, directrice générale de Primark France
Les éléments de langages sont bien rodés. Primark est en campagne pour que l'étiquette de fast fashion ne lui colle plus à la peau.
Pour preuve l'énumération des engagements pris par l'enseigne sur le plan environnemental et social. "On s'engage d'ici 2030 à avoir 100 % de nos produits que nous vendons qui seront issus ou de matières durables ou de matières recyclées. Début novembre nous étions à 66 %. Pour la protection de l'environnement, on s'engage en 2030 à réduire de moitié notre empreinte carbone. Pour cela on va aider nos sous-traitants en Asie du Sud est à avoir une énergie propre et non plus fossile et à recycler l'eau qu'ils utilisent. Sur le plan social, on travaille avec des ONG pour définir les bons salaires."
Ces engagements ont été pris par Primark en 2021 et sont publiés chaque année sur leur site sur lequel la protection de l'environnement est mise en avant.
Des arguments environnementaux et éthiques pour vendre des vêtements ?
Du "greenwashing" pour les associations de défense de l'environnement et pour Zero Waste France qui a publié un guide de résistance à la fast fashion. L'association Zero Waste France rappelle que "les entreprises de la fast-fashion usent de plus en plus d’arguments environnementaux et éthiques pour vendre des vêtements qui ne répondent en rien aux enjeux énoncés." Et cite l'enquête de la Fondation Mac Arthur : "Moins de 1% des fibres utilisées pour produire des vêtements est recyclé en vêtements neufs".
Qu'elle le veuille ou non, l'enseigne Primark appartient bien à la fast fashion avec un modèle économique basé sur la production de masse, des vêtements proposés à prix très bas fabriqués en Asie du sud-est et conformes aux exigences de la mode.
Les enseignes comme Shein, Zara, H&M, Bershka ou Uniqlo surveillent constamment les tendances et enchaînent les collections. Les bas prix et les collections régulières incitent à la consommation. Les invendus ainsi que les vêtements jetés par les consommateurs contribuent à la pollution de l'environnement.
La réalité de l'industrie textile en chiffres
- Émission de 4 milliards de tonnes d'équivalent CO2 par an soit plus que l’impact des vols internationaux et du trafic maritime réunis selon un bilan de l’ADEME (organisme public d’études sur l’environnement et le développement durable).
- Entre 10 000 et 20 000 tonnes de produits textiles jetés chaque année en France
- 20 000 litres d'eau pour produire un kilo de coton
- 20 % de la pollution de l'eau mondiale serait causée par le secteur textile
📣 Alors qu’une proposition de loi sur la fast-fashion va être débattue, nous saluons avec Stop Fast-Fashion l’ouverture d’une réflexion sur les pratiques du secteur de la mode et appelons à un texte mettant fin à ce système de surproduction délétère : https://t.co/430fpAmHkt pic.twitter.com/urA9PwB9Md
— Emmaüs France (@emmaus_france) February 22, 2024
Le projet de loi anti fast fashion toujours pas voté
En novembre 2023, à l'occasion des universités d'été de l'économie de demain, l'ancien ministre de l'économie Bruno Lemaire avait déclaré qu'il fallait lutter contre les abus de la fast fashion.
Les députés du groupe Horizons ont proposé une loi visant à pénaliser financièrement la fast fashion et à en interdire la publicité.
Ce que prévoit la loi "anti fast fashion" :
- une interdiction de la publicité pour les marques de « fast fashion » à partir du 1er janvier 2025, tout comme la promotion des entreprises, enseignes ou marques qui les diffusent. Cette interdiction a été étendue aux influenceurs commerciaux.
- Un affichage environnemental, une sorte d’éco score sur les étiquettes pour communiquer sur l’impact environnemental des produits
- La possibilité de renforcer le malus écologique de ces produits, d’un montant de 5 euros en 2025, de 6 euros en 2026, de 7 euros en 2027, jusqu’à atteindre 10 euros par produits en 2030 avec une hausse de 1 euro chaque année. Ces malus permettraient de financer des bonus au bénéfice d’entreprises vertueuses dans l’industrie du textile
Ce projet de loi a été voté à l’unanimité le 14 mars à l’Assemblée nationale.
Presque neuf mois plus tard, elle n’est toujours pas inscrite à l’agenda du Sénat. À l’occasion du Black friday, les organisations réunies au sein de la coalition Stop Fast-Fashion ont interpellé les Sénateurs et Sénatrices sur l’importance de son vote, dans son intégrité et le plus rapidement possible.