PHOTOS. Ils pratiquent l'un des métiers les plus rares de France et ils ouvrent leur porte au grand public

Plus de 500 artisans d’art du Centre-Val de Loire vous ouvrent les portes de leurs ateliers lors de cette 18ᵉ édition des journées européennes des métiers d’art. À Tours, l’Échoppe, atelier de graveurs héraldistes, propose démonstrations et ateliers pour faire découvrir au grand public ce métier d’art rarissime en France.

Pénétrer pour la 1ʳᵉ fois dans un atelier de graveurs héraldistes est une expérience surprenante. Pas un bruit et une concentration extrême. L'échoppe à Tours compte quatre graveurs : 2 MOF, meilleurs ouvriers de France et deux graveuses avec le regard rivé derrière des loupes binoculaires, pour graver à la main, des chevalières. L’atelier a aussi une activité de gravure ornementale, la taille-douce en deux dimensions, pour personnaliser alliances, médailles, timbales ou gourmettes.

Graveur héraldiste, un métier d'art peu connu

Bruno Levêque, formé à l’école Boulle, meilleur ouvrier de France en 2004, devient graveur pour la maison d’orfèvrerie Christofle avant d’avoir l’opportunité de racheter l’atelier d’un graveur Meilleur Ouvrier de France à Tours en 1985. Son métier, graveur héraldiste. Selon l'Institut National des Métiers d'Art, le graveur héraldiste grave armes et blasons en creux et à l'envers sur un support en or ou en argent. Spécialiste des armoiries, l'empreinte est ratifiée par une épreuve en cire.

Un métier qu’il a découvert lors de ses études, durant 5 ans à l’école Boulle. "On passait d’atelier en ébénisterie et dans la section où j’étais on était 30 à vouloir faire ébénistes sur 60 étudiants, donc il fallait changer de métier. Le métier de graveur où j’ai vu quelques gravures en cachets m’a beaucoup plu. J’ai vu des cachets de cire avec une locomotive. Je ne saurais pas l’expliquer, mais ça m’a pris aux tripes."

Comme j’aime le travail minutieux je me suis tourné vers la gravure. Vu que je n’étais pas mauvais dans l’exercice, j’ai persévéré.

Bruno Levêque, graveur héraldiste-Meilleur Ouvrier de France

Quand on lui demande ce qu’évoque son titre de MOF, il répond avec un sourire. "Pour rester dans le vocabulaire héraldique, je dirais que c’est une sorte d’adoubement, c’est un défi personnel qui est réussi et un outil de reconnaissance pour le grand public".

"La gravure, c'est un art ancestral, les hommes préhistoriques marquaient sur la pierre, sur des objets en os. Depuis le XIIᵉ siècle, la gravure héraldique s’utilise pour graver un blason sur des chevalières en or, un bijou qui à l’origine servait à apposer son sceau, l’empreinte de ses armoiries sur un cachet de cire. Aujourd’hui ça peut être encore un beau geste pour cacheter une lettre".

Les ateliers de graveurs, une rareté en France

Eric Leroy est venu rejoindre Bruno Levêque, dans son atelier à Tours en 1990. Primé MOF en 2011, cette transmission de savoir-faire fait qu’aujourd’hui, il se consacre entièrement à la gravure héraldique. "C’est une reconversion professionnelle. J’avais fait des études de microbiologie et ça ne m’intéressait plus vraiment et j’ai eu l’opportunité de rentrer dans ce métier. Le côté dessin et le côté artistique du métier m’ont intéressé."

Les familles nous contactent pour faire la gravure de leurs armes, principalement sur des chevalières. La tradition familiale perdure mais la transmission d’une chevalière se fait sur une ou deux générations car après elle est trop usée.

Eric Leroy

Gravure sur or, argent, ou pierres fines, la chevalière gravée, est toujours un symbole qui se transmet pas seulement dans l’aristocratie.

Bruno Levêque ajoute "c’est le symbole d’une histoire, de certaines familles qui font partie de l'histoire de France, mais c’est aussi une marque d’affection, laisser des traces qui restent dans le temps." Il précise "cadeaux de naissance, timbale, bracelet avec le prénom de l’enfant, on participe aux évènements d’une histoire familiale. C’est un métier qui a du sens, on est là pour faire plaisir aux gens, c’est important et ç'a un vrai sens pour le public qui nous confie des symboles familiaux."

La gravure commence toujours par un dessin, ensuite, c'est avec des échoppes, de différentes dimensions, rondes ou plates, que le graveur héraldiste grave en creux et à l’envers le blason d’une chevalière en or. Un fonctionnement particulier entre le cerveau et la main qu'il faut travailler et où une infime hésitation peut endommager la gravure. Une habitude après 38 ans d'expérience, mais Bruno Levêque est aussi un créateur. Il est réputé pour être le seul en France à graver sur des pierres fines ou précieuses.

En tant que graveur héraldiste je peux graver des armoiries de famille mais aussi créer ce que la personne me demande, des symboles qui la définissent.

Bruno Levêque, graveur héraldiste

Ce jour-là, Bruno Levêque, grave une chevalière pour une jeune fille. Une gravure de précision sur un 1 cm sur 9,5 mm. "Après son frère, c’est à son tour d’avoir sa chevalière, c’est une marque d’affection et aussi une façon de laisser une trace" nous confie le graveur. "Je suis là pour faire le lien entre ce que les personnes disent, leur idée et je dois optimiser cette idée. Le moment où ils viennent récupérer leur chevalière, une médaille, un bracelet de naissance ou des alliances est toujours très émouvant." 

Une nouvelle génération de graveurs et graveuses

Rose Larderet a 27 ans. Après des études de philosophie, elle entame une série de formations dans les métiers d’art : "j’ai eu l’envie de faire quelque chose de mes mains et d’avoir une maitrise sur les choses que je fais. De partir d’une intention et de réaliser un objet dans toutes ses étapes."

Après une première formation dans la fonderie d’art, elle passe un autre CAP en bijouterie joaillerie. "Avec ces compétences-là, j’ai pu décrocher un apprentissage en gravure ornementale dans le magasin atelier L'échoppe". Rose précise les savoirs acquis lors de son parcours. "Je suis partie du travail du métal qui change d’état. Avec la fonderie d’art, on est vraiment sur de la sculpture, des choses de grande dimension en bronze ou en cuivre, où on a vraiment des formations techniques sur la réaction mécanique du métal en fonction des différentes températures. Ensuite, j'ai travaillé la bijouterie où on est plus dans le travail de précision du métal sur de petites dimensions et là, la gravure, c’est vraiment une opération de finition, on reste sur la surface du métal, on travaille au 10ᵉ ou au 20ᵉ de millimètre. On n’est pas censé vraiment altérer le métal au niveau moléculaire, mais c’est intéressant d’avoir toutes ces connaissances pour travailler au mieux."

C’est sur le site de l’Institut National des Métiers d’Art que Rose a trouvé ces métiers d’art et obtenu ses divers CAP. Il existe des métiers d’art où il n’existe plus de formation comme graveur héraldiste, le métier de son maitre d’apprentissage. "Il existe un intitulé de métier « graveur héraldiste » mais il n’existe aucune formation diplômante en France qui permette d’accéder à ce métier-là". Rose prépare donc, depuis 2021, un CAP en gravure ornementale, en ayant intégré le dispositif Métiers rares au Campus des métiers de Joué-lès-Tours. Il n’y a pas d’école qui permette de prendre des élèves en apprentissage même si le diplôme existe. Depuis deux ans pratique la gravure ornementale, une des deux activités de l’atelier.

Comment transmettre un métier rare ?

Cette absence d'école de formation en gravure héraldique est une difficulté largement ressentie par Bruno Levêque pour qui la transmission est essentielle. "Nous sommes trop peu de graveurs pour répondre à toutes les demandes qui viennent du monde entier et je fais partie de ceux qui veulent mettre la gravure et le métier de graveur dans la lumière alors que nous sommes le plus souvent dans l’ombre des bijoutiers et des maisons d’orfèvrerie. Mon prédécesseur, à Tours, travaillait dans son appartement et nous ne sommes que quelques-uns en France aujourd’hui à avoir un atelier avec pignon sur rue." Il est le seul en région Centre-Val de Loire.

Eric Leroy, un des 7 collaborateurs de l’Echoppe, graveur MOF confirme la demande importante concernant la gravure héraldique. 

On compte 1 jour environ pour graver une chevalière. Tout dépend du détail et de la quantité de choses à graver et en ce moment on a plus de 7 mois de délai pour répondre à la demande

Eric Leroy, graveur héraldiste-Meilleur Ouvrier de France

Rose Larderet apprentie graveuse à l'atelier, découvre à son tour la gravure héraldique depuis quelques mois. Sa formation en bijouterie lui a été très utile "c’est une bonne façon de s’initier à la minutie, car l’échelle de mesure en bijouterie, c'est le dixième de millimètre et c’est à peu près la même chose en gravure, on peut même atteindre le vingtième ou trentième de mm". Elle ajoute : "il faut être très exigeant parce que sinon on se lasse."

"Il faut être capable de se concentrer très longtemps pour graver sur une surface minuscule et presque atteindre un état méditatif, car la moindre perturbation dans les muscles vient altérer le geste qu’on fait, étant donné qu’il est si minuscule."

On se crée une bulle de concentration. Quand je grave je n’entends plus ce qui se passe autour de moi

Rose Larderet, graveuse en apprentissage

"J’ai commencé la gravure à l’œil nu et je pense que c’est nécessaire pour mieux comprendre le contact des outils, les échoppes, qu’on utilise sur le métal. Le problème de la binoculaire, c'est qu’elle permet certes d’avoir une meilleure vision de ce que l’on fait, mais en même temps, elle introduit un medium entre l’œil et la main et si on n’a pas le souvenir de ce qu’est la sensation première, on a beaucoup de mal à comprendre ce qui se passe."

Elle confirme avoir été assez déstabilisée au début. "On regarde fixement devant soi et on travaille quelque chose qui est sur une table, mais on s’habitue assez vite". Elle poursuit "Je suis très attachée au fait de travailler à l’œil nu, c’est bien de garder les deux, car je ne veux pas être dépendante de mes outils. Pour moi, c'est le principe de l’artisanat, être libre de pouvoir travailler comme on veut."

Son apprentissage dans l’entreprise de Bruno Levêque lui procure aussi des nouveaux sentiments. "On exerce un des rares métiers où les gens nous remercient de faire notre travail et je suis touchée par le fait de graver des alliances ou des médailles de baptême qui sont des cadeaux qui rythment l’existence des gens à qui on les offre et ça pour moi c’est très important".

Je sais que tous les jours je grave une quantité d’alliances que les gens vont porter toute leur vie, je l’espère, que des gourmettes vont vivre au poignet d’un enfant et l’accompagner pendant toute sa croissance, ce sont des choses qui, pour moi, ont beaucoup de sens.

Rose Larderet- apprentie graveuse à L'échoppe-Tours

Bruno Levêque, lui appose sa signature sur les chevalières qu’il grave, car l’interprétation et le geste de chaque graveur est différent. Comme dans d’autres métiers d’art, la signature est une reconnaissance du travail de son auteur.

Démonstrations et ateliers de gravure

À l'occasion des JEMA, Journées Européennes des Métiers d'Art, l’atelier de graveurs, L’échoppe à Tours, ouvre ses portes les 5 et 6 avril de 9 h 30 à 17 h 30 pour vous faire découvrir les gravures héraldique et ornementale. Graveurs et graveuses vous proposeront chaque jour à partir de 10 h des démonstrations de gravure héraldique et de taille-douce.

Vous pourrez aussi participer à des ateliers de création d’armoiries ou de monogrammes (maximum 4 personnes) Des sessions de 30 minutes à réserver sur le site de L'échoppe. L’entrée est libre et les ateliers gratuits.

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