Présidentielle 2022. Le difficile accès aux soins pour les étudiants

Dans le cadre de notre chronique hebdomadaire Ma France 2022, nous sommes allés à Tours, à la rencontre des étudiants de la ville. Dans une région où le manque de médecins est criant, ils racontent leurs déboires et leurs solutions dans leur quête de soins.

La vie n'est pas toujours un long fleuve tranquille, surtout quand il s'agit de passer à l'âge adulte. Pour beaucoup, cette transition se fait en devenant étudiant, en quittant le foyer familial avec la détermination de prendre sa vie -et ses dépenses- en main. À Tours, 30 000 étudiants se partagent les bancs des différents campus et facultés qui parsèment l'agglomération. 

Et tous doivent apprendre à se débrouiller, à faire leurs démarches administratives seuls, y compris dans le domaine médical. Si bien que, parfois, trouver un nouveau médecin traitant ou entreprendre des démarches de santé peut devenir un vrai casse-tête.

"Un peu perdue"

"Mon médecin généraliste ne pratique plus parce qu'il n'est pas vacciné, donc j'étais un peu perdue ces derniers temps", raconte Clarisse Tardiveau. Etudiante en première année de licence de langues étrangères appliquées (LEA) au campus des Tanneurs, elle explique avoir été "très malade récemment", à cause de la mononucléose. Sa solution : SOS Médecins.

Ce service devient une solution de secours pour de nombreux jeunes arrivants à Tours, perdus dans leur quête de soins. Venu de Dun-sur-Auron, dans le Cher, Thomas Reignier a trouvé "très compliqué de trouver un médecin quand on arrive ici". L'étudiant en L1 de droit s'est "très vite retrouvé à appeler SOS Médecins". Une pratique qui répond à l'urgence, mais ne permet pas un suivi régulier. D'autres étudiants nous citent les applications, comme Doctolib et Qare, qui permettent des rendez-vous rapides, notamment en téléconsultation.

Une façon de se débarrasser des tracas administratifs qui accompagnent les soins. Ce qu'Emilie Arnault, médecin et directrice du service de santé universitaire (SSU) de Tours, constate au jour le jour : "Les étudiants sont dépendants des consignes parentales, ils ne connaissent souvent pas la différence entre sécurité sociale et mutuelle." Et justement, elle estime qu'il reste important de se saisir de ces problématiques rapidement :

Ce n'est pas leur priorité de se poser ces questions, jusqu'au jour où ils ont besoin d'accéder à des soins.

Dr Emilie Arnault, directrice du SSU de Tours

Découragement

D'autant que, selon elle, le réflexe d'une personne à se tourner vers un médecin dépend de "la perception que la personne a de ses besoins". Si bien que, si l'urgence reste relative, un étudiant sera découragé par "son manque de disponibilité, ou les délais d'attente". L'Indre-et-Loire reste pourtant le département le mieux doté en médecins du Centre-Val de Loire, et le 13e le mieux fourni en spécialistes de France, notamment grâce à la présence de la seule (pour l'instant) faculté de médecine de la région à Tours.

Malgré cela, "on met facilement un an à trouver un gynécologue", assure Clarisse. Elle-même a demandé conseil à une amie, qui lui a répondu que sa médecin "est bookée pendant des mois et qu'elle ne prend plus de nouveaux patients". 

Au SSU, de nombreux professionnels de santé tentent de proposer "une offre de soins complémentaire" avec le tissu médical local. Dans le service, on trouve des généralistes, des psys, des gynécos, des infirmiers et des assistantes sociales. Un moyen d'accompagner les étudiants dans leurs démarches et le développement de leur autonomie, y compris sur le plan de la santé.

Écoutez Emilie Arnault :

Un doliprane et c'est tout

Interrogés, de nombreux étudiants de Tours expliquent ne pas se rendre systématiquement chez un médecin, réservant un rendez-vous à "quand je suis vraiment mal, ou que je dois faire des ordonnances ou justifier une absence", explique Lucie Doulet, étudiante en première année de sociologie. "Quand je suis malade, je prends un doliprane, et c'est tout", lance de son côté Steven Grobrat, étudiant en philosophie. Un de ses camarades, alternant les petits boulots en interim pour payer ses études, limite lui-aussi ses visites chez les professionnels de santé. "Comme ça, j'ai pas d'arrêt de travail. Si y'a pas de travail, y'a pas d'argent."

Parce que, hors du giron familial, les dépenses d'un étudiant doivent parfois être comptées au centime près. Au SSU, la docteure Emilie Arnault estime d'ailleurs que c'est au pied du mur, lorsque les soins doivent être prodigués, que les étudiants "se rendent compte qu'il y a des frais à avancer et que ça va être compliqué". C'est le cas de Thomas Reignier. Touché par un état grippal, il a été "obligé de me soigner moi-même parce que je n'avais pas pu renouveler ma mutuelle".

Comme lui, près d'un étudiant sur trois affirme avoir déjà renoncé à soins médicaux pour des raisons financières sur un an, selon l'observatoire de la vie étudiante en 2018. Car, s'il reconnait qu'une consultation n'est pas "non plus extrêmement chère", Thomas assure que, "pour un étudiant, ne serait-ce que 10 euros, c'est tout de même important". 

Il dit ainsi "peiner à finir les mois", se retrouvant toujours "à ne pas manger pendant un ou deux jours".

Trois fois plus de bénéficiaires

À la maison de l'étudiant (MDE pour les intimes), au campus Grandmont, l'association "Les Halles de Rabelais" organise chaque mardi soir une distribution alimentaire pour les étudiants qui peinent à manger à leur faim. "Le besoin est énorme", assène Alain, bénévole et membre du conseil d'administration. Selon lui, depuis le confinement, l'association est passée de 70 à 200 étudiants servis. "Leur situation s'est empirée avec la crise sanitaire, parce qu'ils ont plus de mal à trouver un job", explique Inès, bénévole depuis 2016 et ancienne présidente de l'organisme. 

Dans la MDE, les bénéficiaires s'alignent dans un couloir, avant d'arriver dans une salle où s'étalent des légumes et des produits secs, issus de dons de la banque alimentaires et d'achats grâce à des subventions. Dans le grand hall, Marc Ngoka attend son tour. 

Peu après son arrivée à Tours pour étudier le droit, il a dû passer des examens au CHU. "J'ai reçu une facture de 24 euros et une deuxième de 20 euros parce que je n'avais pas de mutuelle." Un coup dur pour lui, qui dit "calculer toutes mes dépenses". Le SSU est alors venu à son secours, payant ses frais et l'accompagnant dans ses démarches pour obtenir une complémentaire santé. Venu du Congo, il a dû attendre la délivrance de son attestation provisoire avant de pouvoir prétendre à une mutuelle. 

Mieux informer

Selon Emilie Arnault, du SSU, la majorité des étudiants ne se soignant pas pour cause d'argent "le font par manque d'information". Le service accompagne ainsi ceux qui le souhaitent pour "ouvrir un compte Ameli avec la CPAM", "déclarer un médecin traitant" ou "savoir comment obtenir des remboursements".

Jeune maman d'une fille de 10 mois, Joëlle Obame Ntsame s'est ainsi tournée vers le SSU à son arrivée en France depuis le Gabon. Etudiante en L3 de sciences du langage, elle se souvient que, lorsqu'elle n'avait pas de complémentaire santé, "il fallait que je jongle entre les paiements des frais de grossesse, parce qu'une partie était à ma charge. Et franchement des fois c'est un peu chaud". 

Elle a eu la chance d'être accompagnée par des amis, des professeurs, mais s'inquiète pour "les personnes plus timides avec des questions privées qui n'auraient pas forcément toutes les informations". Ainsi, si une moitié des étudiants interrogés dit connaître le SSU par exemple, l'autre ne s'était plus ou moins jamais posé la question. "Quand j'en parle aux gens, ils ne savent pas ce que c'est, où c'est, qu'on y a accès et que c'est bien fait", rapporte Clarisse Tardiveau.

Écoutez les témoignages des étudiants tourangeaux :

Certains étudiants se souviennent ainsi d'un PowerPoint présenté en début d'année, mais déplorent un manque d'approfondissement et de communication. "Ils envoient des mails qui ressemblent à des spams, ce n'est pas forcément la bonne méthode", considère Amiah Salaouandji, en L1 de droit. Elle milite pour une com "plus pédagogique". Sa camarade Chloé Pourtanel abonde : "À la fac, on ne parle pas du tout de santé, il faudrait qu'on puisse mieux appréhender tout le système de santé." Sans quoi, "on est un peu livrés à nous-mêmes", renchérit Amiah. 

La jeunesse est notre avenir, économisons-la

Directrice du Clous de Tours (antenne local du Crous de la région), Florence Alary-Denechaud voit aussi passer de nombreux étudiants en manque de repères et de moyens. Selon elle, 45% des inscrits à la fac de Tours sont aidés d'une manière ou d'une autre par le Crous. Elle estime qu'il "y a un faussé quand ils passent du statut de lycéen à celui d'étudiant", et qu'il est nécessaire de "soutenir la jeunesse qui a beaucoup souffert pendant la crise qu'on vient de connaître". 

Cette mission de soutien de la jeunesse, Crous et SSU souhaitent la poursuivre, mais réclament plus de moyens. "Il nous faut des moyens humains, on a des difficultés à recruter dans les SSU, comme dans beaucoup de services publics et de structures de ville", détaille Emilie Arnault.

Quant aux associations d'aides aux étudiants, elles réclament plus d'aides, une augmentation des bourses, voire un revenu universel étudiant. "Il est devenu indispensable d'aider les étudiants", lâche Simone Cohen-Jonathan, bénévole au Secours populaire de Tours, qui accompagnent environ 170 étudiants pour des produits alimentaires et d'hygiène. "Quand on travaille pour gagner de l'argent, c'est du temps qu'on passe à ne pas étudier. Il faut voir le nombre d'étudiants qui ne passent pas la première année."

Des propositions qui recoupent celles faites par nos lecteurs sur la plateforme Ma France 2022. Marie souhaite ainsi "réduire les injustices sociales pour les étudiants", et Joëlle plaide pour que les jeunes "accèdent obligatoirement à un logement décent et à une alimentation équilibrée". Après tout, comme elle l'écrit : "Ils sont notre avenir !"

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