Pour sa 8ème édition, le festival Concerts d'automne lance un nouveau cycle baptisé "Le cabinet de curiosités", consacré aux instruments oubliés. L'atelier du facteur belge Chris Maene a conçu pour l'occasion un piano pédalier qui sera présenté pour la première fois ce samedi 21 octobre à Tours lors du récital du pianiste Roberto Prosseda.
Le piano pédalier est un piano "augmenté", doté, comme l'orgue, d'un pédalier. L'instrument, aujourd'hui tombé dans l'oubli, a connu son heure de gloire dans la deuxième moitié du XIXème siècle :
"Le piano pédalier a été présenté pour la première fois au public par la maison Erard en 1851, à l'exposition universelle de Paris, raconte Alessandro Di Profio, directeur artistique des Concerts d'automne. Il a connu un grand moment de succès au XIXe siècle, beaucoup de pianistes se sont véritablement passionnés pour cet instrument : Liszt, notamment, a beaucoup écrit, mais aussi Gounod ou Schumann."
Le "piano de l'avenir"
Un engouement pour l'instrument qui est tel que Robert Schumann y voit le "piano de l'avenir". Les compositeurs, en fait, le délaisseront peu à peu. Et le piano pédalier s'affiche aujourd'hui davantage dans les musées qu'en salles de concert.
De rares musiciens tentent toutefois de nos jours d'en perpétuer la pratique, à l'image du pianiste italien Roberto Prosseda, qui joue en fait sur deux pianos superposés.
Cabinet de curiosités pour instruments oubliés
Et c'est justement à Prosseda et au piano pédalier que pense le directeur artistique du festival pour inaugurer un nouveau cycle dans les Concerts d'automne :
"D'une édition à l'autre, j'essaie de présenter des nouveautés au public du festival. Nous inaugurons avec cette 8ème édition un nouveau cycle qui s'appelle le cabinet de curiosités. Un cycle consacré chaque année à un instrument méconnu, voire totalement oublié."
Roberto Prosseda est donc contacté pour se produire aux Concerts d'automne sur un piano pédalier. Et, en Belgique, le facteur d'orgues Maene a vent de ce projet.
Un piano pédalier en hommage au fondateur de Maene
"Chris Maene est considéré dans le monde musical comme le facteur de référence pour les pianos et notamment les pianos historiques, reprend Alessandro Di Profio. À tel point que le chef d'orchestre Daniel Barenboim lui a commandé un piano de concert à cordes parallèles. La maison Maene a été fondée par le grand-père de Chris, un organiste qui possédait un piano pédalier. Et Chris a souhaité lui rendre hommage en en créant un et en nous le proposant pour les Concerts d'automne à Tours."
Le facteur belge s'est ainsi mis au travail il y a un an, en recherchant des plans d'époque et en s'appuyant sur les conseils avisés de Roberto Prosseda.
"Il n'a été terminé qu'il y a quelques jours, le pianiste y est allé le 9 octobre pour les derniers réglages. Ce piano pédalier, qui n'est jamais sorti de l'atelier, doit être, à l'heure où je vous parle, sur la route entre la Belgique et Tours." Livré ce 20 octobre dans la soirée, l'instrument sera joué en public pour la première fois ce samedi 21 octobre. Pour la plus grande joie et la fierté des organisateurs.
Dans notre projet initial, Prosseda superposait en quelque sorte deux pianos, ce que j'appelle un bidouillage, deux tables harmoniques rassemblées puis démontées après le concert. Là, vous aurez un vrai piano pédalier, un bloc unique, impressionnant par ses dimensions. C'est en cela qu'il s'agit d'une première...
Alessandro Di Profio, directeur artistique Concerts d'automne
Pour son récital à Tours, Roberto Prosseda a réuni des pièces de cinq compositeurs qui ont écrit pour un clavier pédalier (clavecin d'abord, puis piano) : Bach, Mozart, Schumann, Gounod et Liszt.
Une remise en question de l'approche technique
"Le piano pédalier exige une technique très pointue, estime le directeur artistique. Il faut être à la fois pianiste et organiste, ce qui était courant au XIXème mais qui est très rare aujourd'hui. Le jeu de pédalier demande une grande virtuosité, il est peut-être même plus compliqué que la partie pianistique proprement dite."
"Jouer du piano pédalier pour un pianiste nécessite une remise en question complète de l'approche technique, explique, pour sa part, Roberto Prosseda. L'effort physique imposé par le mouvement constant des jambes et l'absence d'un centre de gravité fixe obligent l'interprète à modifier son approche du clavier, à renoncer à la pose habituelle des pieds sur le sol et à trouver un équilibre différent, mais plus précaire."
Le son produit par cet instrument, quant à lui, ne peut se comparer à celui de deux pianos joués côte à côte.
"C'est en quelque sorte le son du piano avec la puissance, la dimension orchestrale de l'orgue, juge Alessandro Di Profio, lui-même pianiste. Il y a un peu la volonté de faire un piano orchestre, c'est en tout cas comme cela que je perçois cette exigence du XIXème siècle. Liszt, qui voulait rassembler piano et orchestre, s'est enflammé pour cet instrument, et pas Chopin, ce qui est assez révélateur. C'est ce que trouvera samedi notre public, cette dimension orchestrale, polyphonique, à plusieurs niveaux."
Entamée le jeudi 12 octobre, la 8ème édition des Concerts d'automne se poursuit jusqu'à dimanche, avec encore 4 concerts pour lesquels quelques places restent disponibles. Avec le cycle hors les murs, autre nouveauté de l'année, et les "apartés", des conférences et concerts jeunes talents, d'accès gratuit, qui se poursuivent parallèlement au festival.