Le professeur Julien Berhouet a utilisé des lunettes de réalité augmentée pour visualiser ses outils, une prothèse et l'anatomie du patient à opérer via des hologrammes. Une innovation tourangelle, qui permet une précision inédite lors d'une opération chirurgicale.
Des lunettes de réalité virtuelle sur le nez. Sur l'écran : une fausse épaule, un faux implant. À placer, délicatement, le plus précisément possible. Non, ce n'est pas le dernier jeu de simulation de chirurgie, mais la réalité véritable. Peut-être celle de la chirurgie de demain.
Grâce à une innovation : un casque de réalité mixte, répondant au doux nom de Stryker Mixed Reality Guidance. Un outil qui permet de gagner en précision pour le chirurgien, et que le professeur Julien Berhouet a déjà utilisé sur quatre patients en deux semaines, pour des opérations de l'épaule au sein du CHU de Tours. Et, pour l'instant, "ça se passe plutôt très bien".
Modèles 3D
Chirurgien orthopédique, la réalité augmentée était déjà au centre de sa thèse, développée à Polytech Tours, et soutenue en 2016. Des études de réalisation sont ensuite lancées avec une société bretonne, rachetée par le groupe américain Stryker. Depuis, les expérimentations se font à cheval sur l'Atlantique, par quatre chirurgiens aux États-Unis et trois en France.
En 2020, les lunettes avaient déjà fait parler d'elle, pour leur première utilisation en opération à Tours. À l'époque, "ce qui s'affichait, c'était le scanner, les informations du dossier médical, plein d'informations parmi lesquelles je naviguais sans avoir besoin de toucher du papier et donc de me déstériliser", affirme le Pr Berhouet.
Désormais, le casque permet d'aller plus loin. Avant l'opération, un scanner de l'épaule du patient, et un de la prothèse, sont réalisés. Un logiciel les transforme ensuite en modèles 3D, que le chirurgien peut visualiser sous forme d'hologrammes à travers ses lunettes.
De la très haute précision
Un avantage considérable pour gagner en précision :
L'oeil humain peut se tromper d'environ 10 degrés. Et un implant mal aligné peut exposer à une fracture, n'est pas dans les conditions optimales pour tenir dans le temps, et n'est pas optimal pour le patient.
Pr Julein Berhouet, chirurgien orthopédiste et traumatologue au CHU de Tours
Par exemple, un implant prothétique sur une omoplate ne peut mesurer que deux centimètres. Un décalage de quelques millimètres et il faudra tout refaire. Avec ses lunettes de réalité mixte (qui projette du virtuel dans un décor réel, ndlr), le chirurgien affirme que la marge d'erreur est réduite à un millimètre et un degré.
D'autant que les prothèses d'épaules sont particulièrement délicates à mettre en place. "C'est une zone recouverte de muscles, comme la hanche, donc on n'a aucun repère osseux, à l'inverse du genou par exemple."
Le casque de réalité mixte permet de créer une forme de guidage, avec l'équivalent chirurgical d'un radar de recul. La projection holographique facilite grandement le bon alignement de la broche, qui vient percer l'omoplate et dont dépend le positionnement de toute la prothèse.
Tests sur des cadavres
Les six prochains mois seront dédiés à une étude sur 60 patients, pilotée par le CHU de Tours, et menée dans trois autres hôpitaux français. Deux opérations inaugurales ont d'ailleurs eu lieu le même jour : l'une à Tours par le professeur Berhouet, l'autre à l'hôpital Jean-Mormoz de Lyon, par le docteur Lionel Neyton.
Car, si le dispositif a obtenu une autorisation de commercialisation, les tests n'avaient pour le moment été réalisés que sur des cadavres. "En conditions réelles, c'est très différent : il y a du saignement, des micromouvements notamment à cause de la respiration..." Autant de facteurs qui, après la parution d'un premier article scientifique sur ces tests sur cadavres, nécessitent de plus profondes études.
Le professeur Berhouet a désormais deux souhaits. Déjà, que son outil "suscite l'intérêt des collègues chirurgiens de l'épaule, et pourquoi pas de la hanche et du rachis". Il espère aussi mener à bout le développement des lunettes, notamment pour la deuxième moitié de la prothèse d'épaule, du côté de l'humérus. Les tests sur cadavres sont déjà en cours.