Une équipe de chercheurs tourangeaux a démontré l'efficacité thérapeutique d'une molécule contre le carcinome de Merkel, rare cancer touchant entre 300 et 600 personnes tous les ans en France. Leurs recherches viennent d'être publiées.
Chaque jour s'accompagne de progrès dans le traitement des cancers, qui restent la première cause de mortalité en France. Après près de trois ans de travail, une équipe de l'université de Tours a pu publier ses propres avancées dans le prestigieux British Journal of Dermatology le 28 septembre dernier.
Dans leur article, les chercheurs de l’équipe Biologie des Infections à Polyomavirus (BIP) de l’université de Tours affirme avoir trouvé une nouvelle "approche thérapeutique potentielle contre les carcinomes à cellules de Merkel". Ce cancer touche la peau, mais n'est pas un mélanome. Relativement rare, il affecterait entre 300 et 600 nouvelles personnes chaque année en France.
Jusqu'ici, des traitements peu (ou pas) efficaces dans la moitié des cas
Pendant longtemps, "la seule arme pour combattre ce cancer, c'était la destruction massive comme la chimiothérapie, la chirurgie et la radiothérapie, avec des effets secondaires très lourds", explique Antoine Touzé, responsable de l'équipe et professeur à l'université de Tours. Ce qui rendait les soins difficiles à surmonter, et pas toujours très efficaces.
Le développement des immunothérapies a permis des progrès, à en croire le chercheur. Malheureusement, environ la moitié des patients ne répondent pas du tout à ces traitements, ou n'y répondent plus. Certains cancer vont ainsi "développer des résistances et vont à nouveau grandir", précise Clara Esnault.
Étudiante en dernière année de thèse, elle est la première rédactrice de l'article et a conduit les différentes expériences qui ont mené aux résultats publiés. Et justement, ces résultats augurent de bonnes nouvelles pour les patients résistants aux immunothérapies.
Cuisine de molécules
À la recherche d'un moyen thérapeutique de cibler les cellules cancéreuses, les chercheurs ont d'abord identifié une molécule (de son petit nom : CD56) très présente à leur surface. S'en est suivie une série d'échanges avec d'autres laboratoires et partenaires pour récupérer la séquence de la molécule et synthétiser un anticorps spécifique pour l'attaquer. La startup tourangelle McSaf a, elle, été chargée de bioconjuguer l'anticorps avec un agent cytotoxique. Pour faire simple, l'entreprise a créé une thérapie en combinant plusieurs ingrédients.
Et le gros avantage de ce résultat, c'est qu'il est "ciblé" :
La molécule ciblée par l'anticorps ne se retrouve quasiment que sur les cellules tumorales. Quand cette molécule n'est pas là, le traitement n'est plus du tout toxique pour les cellules.
Clara Esnault
Ce qui veut dire que ce traitement ne va attaquer que les cellules malignes, laissant tranquille tout leur environnement sain, à l'inverse des ravageuses chimiothérapies. Pour le confirmer, l'équipe a notamment fait usage du système Crisp-Cas9 -rendu célèbre par le prix Nobel de Chimie en 2020- permettant de découper des morceaux de l'ADN.
100% de réussite
Le pré-traitement développé par l'équipe a d'abord été testé in vitro par Clara Esnault, avant de passer sur des souris auxquelles avaient été greffées des cellules cancéreuses. "On a constaté un arrêt du développement des tumeurs dans 100% des cas", se réjouit-elle. Sur le graphique suivant, la taille des tumeurs traitées est en bleu, et la taille des tumeurs du groupe contrôle non-traitées (nécessaire pour établir un comparatif d'efficacité) est en noir.
Certaines tumeurs ont même complètement réduit, ce qui laisse espérer "une bonne complémentarité avec les immunothérapies".
Finalement, tout ce travail aura pris un an, suivi d'un an et demi de processus de validation pour être publié. Clara Esnault dit avoir dû "presque tout refaire" pour prouver que ces résultats étaient corrects. Ce temps supplémentaire a aussi permis de produire des analyses des causes de l'efficacité de la molécule développée par l'équipe. "On ne se contente pas de dire que ça marche, on dit aussi pourquoi ça marche", ajoute Antoine Touzé.
De l'espoir aussi pour les poumons
Cette publication ne signifie en tout cas pas la fin du travail, loin de là. L'équipe promet désormais de tester différents schémas thérapeutiques, d'étudier la persistance de l'anticorps dans l'organisme, et de s'attarder sur le nombre optimal d'injections du traitement pour une meilleure efficacité. La startup McSaf souhaite d'ailleurs lever des fonds pour engager des essais cliniques sur l'humain "d'ici deux à trois ans", estime Antoine Touzé.
Dernière perspective étudiée par l'équipe de chercheurs : l'étendre à d'autres cancers. Car la molécule ciblée à la surface des carcinomes à cellules de Merkel se retrouve aussi sur le cancer du poumon à petite cellules, qui représente environ 15 % des cancers du poumon en France. Une affection à la "mauvaise réputation parce que, aujourd'hui, on n'a pas de traitement efficace". Les chercheurs tourangeaux ont en tout cas obtenu un financement du fonds régional "Ambition Recherche et Développement", pour assurer l'avenir de leurs travaux.