Plus de 6 ans après le décès de leur mère suite à une chute, Dominique et Véronique ont obtenu gain de cause. L'EHPAD tourangeau dans lequel elle résidait a été reconnu responsable de l'accident par la cour d'Appel d'Orléans. Véronique raconte le long périple judiciaire.
6 ans et 5 mois pendant lesquels la vie s'est presque arrêtée. "Ça nous a paralysées pendant toutes ces années" assure Véronique, ainée de deux ans de sa soeur Dominique. Un an après le décès de leur mère, le 2 février 2018, elles décident d'attaquer en justice l'EHPAD Tourangeau dans lequel elles l'avaient placée.
Une chute à l'EHPAD
"Quand ils m'ont appelée à 18h ce jour-là pour me dire qu'elle était tombée, je savais qu'il y avait un problème" se souvient Véronique. Nous sommes quelques jours avant le décès de sa mère. Cette dernière vient de faire une chute alors qu'elle était sur les sanitaires. Résultats : trois fractures auxquelles l'octogénaire ne survivra pas, elle décède peu après à l'hopital.
Installée à Toulouse, Véronique monte immédiatement dans sa voiture pour rejoindre "maman" à Tours. Un trajet qu'elle connait bien puisqu'elle le fait tous les week-ends pour se rendre auprès de celle qui lui a donné la vie. "Si c'était à refaire, je ferais tout pour aménager mon temps et la prendre auprès de moi". Mais la maison de retraite, c'était le choix de cette mamie très attachée à sa Touraine natale : "elle ne voulait pas en partir".
Une pensionnaire affaiblie
Après un AVC qui l'avait fortement affaiblie quelques semaines plus tôt, la vieille dame n'était plus que l'ombre d'elle-même : "elle n'échangeait plus avec nous".
Impossible donc, pour Véronique, qu'elle fasse la demande d'être laissée seule sur les toilettes. C'est pourtant dans ce contexte qu'elle chute. La soignante qui l'accompagnait "a respecté la demande de la résidente et en a profité pour aller voir une autre habitante qui l’appelait au même moment" indique la société Korian, gérante de l'établissement.
La pensionnaire est emmenée aux toilettes à 17h30, puis trouvée au sol au moment d'apporter les repas, par une autre employée de la maison de retraite. L'alerte est donnée une demie-heure plus tard.
Une première décision qui partage les tords
Une première décision judiciaire intervient en mai 2021, les juges estiment qu'il n'y a pas eu de manquement à la surveillance de la mère de Dominique et Véronique, et partagent les responsabilités à 50% entre la pensionnaire et l'établissement. Un arrêt qui manque de logique au regard de Véronique. Avec sa soeur, elles contestent.
Le 18 juin 2024, la cour d'appel d'Orléans considère au contraire que l'EHPAD géré par l'entreprise Korian est bien entièrement responsable. Au total, elle devra verser plus de 37 300 euros aux deux filles de la défunte.
Six années d'un "combat" aux yeux des deux soeurs. Le deuil était difficile à faire tant qu'une décision définitive n'était pas rendue. Le premier partage de responsabilité sonne quant à lui comme une blessure de plus. "À chaque évènement heureux, il y avait toujours ce sentiment de tristesse" se souvient Véronique.
Au coeur de cette procédure judiciaire érintante, les deux soeurs ont trouvé un appui précieux en leur avocate qui "a su répondre à nos questions et faire preuve d'humanité". Les échanges se sont faits entre robes noires, avec des délais parfois très longs et des procédures souvent incomprises. Pendant ce temps-là, la famille attend, démunie "mais j'avais promis d'aller jusqu'au bout".
Les semaines passent et les souvenirs de Véronique remontent. Comme cette fois où elle est avec sa mère et sa soeur dans la chambre. La vieille dame appuie par inadvertance sur l'appel d'urgence. "Pour voir", elles attendent quelques minutes. Une demie heure se passe sans que personne n'intervienne. "Je me suis ensuite déplacée pour voir le personnel et leur dire de ne pas s'inquiéter, que maman avait appuyé sans faire exprès, ils n'avaient même pas vu l'alerte ..." se désole-t-elle aujourd'hui. Une scène qui lui laisse un goût amer.
Défaut de surveillance, mais pas de personnel
Condamnée civilement pour défaut de surveillance, Korian indique de son côté que la justice "ne reproche à l’établissement ni manque de personnel, ni organisation défaillante, ni manque de formation des collaborateurs". Dans son arrêt, la cour d'Appel détaille ainsi que la vieille dame "n'était plus en mesure de se mouvoir seule et donc de se lever des toilettes, à supposer qu'elle ait souhaité le faire".
"Ce qu'on espère pour nos anciens, c'est qu'ils terminent leur vie de la manière la plus douce possible" insiste Véronique. "C'est pour ça que j'ai confié maman à cet établissement".
Elle estime aujourd'hui que l'entreprise "ne se donne pas les moyens d'accompagner correctement leurs pensionnaires". Les deux filles et la mère payaient pourtant environ 3 400 euros par mois pour la prise en charge. La petite retraite de 1 000 euros ne suffisait pas, ce sont donc Véronique et Dominique qui complétaient la somme.
Polémique nationale
"Si on a fait cette démarche, c'est pas pour récolter de l'argent, c'est pour alerter", tient à souligner Véronique.
En 2022 sort le livre "les Fossoyeurs"de Victor Castanet qui dénonce le fonctionnement d'établissements similaires, chez Orpea. La France entière découvre alors, entre autres, un rationnement des soins d’hygiène ou de la nourriture dans certains EHPAD du groupe. "Je l'ai directement acheté" affirme Véronique. "Ce qui était raconté, c'est ce qu'on vivait. Et encore, pour nous c'est un seul évènement, qui a eu les conséquences que l'on connaît ..."
Depuis deux ans, toutes les sociétés privés tentent de redorer leur image. Des contrôles de l'Etat ont été mis en place, dans toutes les formes de maisons de retraite, qu'elles soient privées, publiques ou associatives. Du côté des professionnels, c'est surtout le manque de budget et de subventions qui est pointé du doigt.