L'association de défense de l'environnement a décidé d'attaquer en Justice cette société indrienne, qu'elle estime coupable d'importation de bois illégal en provenance du Brésil.
- Tous les documents mentionnés dans cet article ont été consultés et vérifiés par nos journalistes.
- *En l'absence de procédure judiciaire aboutie, les entreprises ont été anonymisées et renommées.
Si vous êtes par hasard un arbre, sachez que des lois vous protègent. C'est le cas, par exemple, du Règlement sur le bois de l'Union Européenne (RBUE). Ce texte de loi, applicable en France, régit notamment l'importation de bois pour s'assurer que ce commerce endommage le moins possible l'environnement. Dans la pratique, ça ne se passe pas toujours comme prévu.
En 2017, GreenPeace Brésil s'est associé à des enseignants-chercheurs en sylviculture et à l'agence nationale environnementale brésilienne (Ibama) pour enquêter. L'association alertait déjà en 2014 sur un système élaboré de fraude, un problème qui concerne bel et bien la France, l'un des principaux importateurs européens de bois brésilien.
Des zones pas si protégées que ça
Le système mis au jour biaise la chaîne de vérification à sa base. Les ingénieurs chargés des inventaires forestiers sont payés pour falsifier les inventaires, en surestimant le nombre d'arbres. Pour ce faire, les ingénieurs prennent en compte des arbres non exploitables, confondent volontairement les essences d'arbres ou même inventent des arbres inexistants. Ce tour de passe-passe est rendu possible car les contrôles de terrain, et notamment botaniques, ne sont pas suffisamment nombreux.
Le problème est que le système qui délivre aux entreprises des autorisations de coupe, sous forme de crédits, est basé sur ce décompte. En gonflant le nombre d'arbres, on s'assure de se voir délivrer plus de crédits. Ainsi, lorsque la coupe est terminée sur la parcelle autorisée, les entreprises les moins scrupuleuses profitent des crédits restants pour aller se fournir dans des zones protégées ou habitées par des populations natives.
Inquiétant, alors que la déforestation de l'Amazonie, "poumon vert" de la planète, a plus que doublé en un an.
Des accusations corroborrées par un ministère brésilien
GreenPeace accuse la société *INDRE BOIS, basée dans le département, d'avoir bénéficié indirectement de ce système de crédits via l'un de ses fournisseurs occasionnels. L'enquête s'est focalisée sur l'autorisation n°272883/2016, dont les données associées mentionnent l'importateur. L'étude de terrain a révélé des irrégularités et permis d'établir que la parcelle était bien concernée par le système de fraude. Une situation confirmée dans un document rédigé par le ministère de l'environnement brésilien.
La société indrienne possède bien une filiale au Brésil, *INDRE BOIS BRESIL. Mais dans ce cas précis, *INDRE BOIS a préféré à sa filiale une autre société, *FORET BRESIL, qui s'est elle-même approvisionnée via l'entreprise *BOIS DU PARA. Or, cette dernière a déjà fait l'objet de signalements auprès du ministère brésilien pour des faits similaires. *INDRE BOIS BRESIL s'était, par ailleurs, déjà vue infliger plusieurs amendes par l'Ibama, en 2013, 2016 et 2017 pour s'être approvisionnée auprès de fournisseurs ayant déjà commercialisé du bois illégal.
*INDRE BOIS serait-elle victime de ses sous-traitants ? Les choses ne sont pas si simples. Car le fameux Règlement sur le bois de l'Union Européenne comporte ce que l'on appelle une "obligation de diligence raisonnée". En clair : il est attendu des entreprises qu'elles mettent en place un système de vérification "pour réduire le risque que ce bois provienne d'une récolte illégale". Selon l'article 6 du RBUE, les sociétés sont notamment tenues de prendre en compte :
- "La prévalence de la récolte illégale de certaines essences forestières" : ce qui est le cas de l'ipê, le bois importé dans ce cas précis.
- "La prévalence (...) des pratiques illégales dans le pays de récolte et/ou la région (...) où le bois est récolté" : ce qui est le cas de l'Etat du Pará, d'où provient ce bois.
Pour l'association de défense de l'environnement, qui a décidé d'attaquer la société en Justice, *INDRE BOIS "soit n'a pas réalisé un système de diligence raisonnée ; soit l'a réalisé mais ne l'a pas fait en conformité avec les exigences réglementaires" ; soit a fait l'un et l'autre mais a décidé de poursuivre la transaction au mépris du risque.
Contactée, l'entreprise française assure "n'avoir pas détecté d'anomalie" et dément toute négligence. "Nous importons depuis de nombreuses années des bois en provenance du brésil et avons été l’un des premiers importateurs à mettre en place des procédures d’analyse de risque au sein de notre entreprise", répond le PDG. Le ministère de l'Agriculture a d'ailleurs procédé, en 2018, à un audit "attestant [de leurs] bonnes pratiques et [du] respect des législations en vigueur."
Plusieurs audits du ministère de l'Agriculture posent question
Si l'audit de 2018 du ministère joue en la faveur de l'entreprise, d'autres audits du ministère posent en revanche question. En effet, nous avons pu en consulter plusieurs dans différentes entreprises. Certains documents présentent des incohérences entre le contenu du rapport et les conclusions qu'en tirent les auteurs.
Pour ces audits, l'inspecteur est invité à examiner un à un les points que l'entreprise est censée respecter et ainsi à cocher "oui" ou "non". Il dispose également d'une case "commentaire". Prenons le cas d'un audit réalisé en 2015 dans une entreprise que nous appelerons *COMMERCE BOIS. Dans ce document officiel, l'inspecteur est invité à vérifier "l'utilisation effective du registre de traçabilité des approvisionnements". Dans la colonne "commentaire", on peut lire : "l'identité et l'adresse du commerçant a qui le produit a été vendu ne semblent pas être tracés" et "la concession n'est pas tracée". Pourtant, malgré ces éléments, c'est bien la case "oui" qui est cochée.
Plus loin, l'inspecteur recommande une meilleure prise en compte des informations légales disponibles, précisant : "L'entreprise ne connaissait pas certaines sources que nous lui avons opposées et qui mettent en cause certains de ses fournisseurs." Une série de manquements qui n'empêche pas l'inspecteur de conclure "La société *COMMERCE BOIS met en oeuvre l'ensemble des obligations liées au RBUE."
Le ministère de l'Agriculture nie tout laxisme
Interrogé au sujet de ces incohérences, le minsitère de l'Agriculture indique tout d'abord que "les procédures d'évaluation du risque prévues dans le cadre du RBUE sont diligentées par l'opérateur en fonction de la prévalence du risque de récolte illégale", qui varie en fonction du pays de récolte, de la chaîne d'approvisionnement, d'éventuelles sanctions ultérieures, etc. L'autorité indique également que les point relevés ci-dessus "s'avère[nt] surtout important[s] dans l'hypothèse où le bois aurait été récolté de façon illégale".
Une réponse étonnante, puisque l'obligation de diligence raisonnée est justement censée palier le risque de récolte illégale et que les audits sont là pour s'assurer que les entreprises respectent l'ensemble des obligations du RBUE.
"Le ministère de l'Agriculture et de l'Alimentation n'incite en aucune manière les agents chargés des contrôles à faire preuve de tolérance vis-à-vis des opérateurs qui contreviennent à la réglementation" tranche l'autorité, qui assure travailler au renforcement de son réseau de contrôle.
De son côté, l'entreprise *INDRE BOIS assure par ailleurs être soumis tous les ans à un audit "par un organisme tiers indépendant" et met en avant sa certification PEFC, "garante d’un sourcing issu de forêts gérées de façon durable, démontrant l’engagement de notre entreprise en faveur de la protection des ressources forestières".
Le sérieux de ce label avait été remis en question dans l'émission Cash Investigation, en 2017.
Le système PEFC a cependant été révisé pour la troisième fois pour l'exercice 2017-2022, en renforçant notamment ses conditions d'adhésion et en clarifiant les règles, comme par exemple l'interdiction des coupes "se traduisant par une régression par rapport au peuplement initial".