"On les voyait comme des parasites" : le premier centre de réhabilitation par le travail pour les personnes handicapées mentales ou physiques

Le commandant Perrette suscite des émotions contrastées, oscillant entre admiration et scepticisme. Son parcours soulève des questions sur la moralité et l'ambiguïté des relations humaines, interrogeant nos valeurs de loyauté et d'ambition, tout en éveillant une curiosité troublante sur la nature de ce qui fait une "bonne" personne.

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En 1946, la France ne dispose d'aucune structure d'hébergement ou de rééducation pour les anciens combattants handicapés. Leur seule option est l'hospitalisation, ainsi que l'attribution d'une pension misérable.

Face à cette situation désastreuse, le Commandant Jean-François Perrette décide d'agir. Il acquiert le domaine d'Oublaise, situé à Luçay-le-Mâle, dans le nord de l'Indre. Il le transforme en un centre d'accueil dédié à la réhabilitation des vétérans de guerre et des personnes en situation précaire, qu'il appelle les "oubliés de l'État".

Perrette, avec ses pensionnaires, construit ce lieu pierre par pierre. En quelques années, ils parviennent à édifier un village entièrement autonome, capable d'accueillir jusqu'à 200 personnes. Pourtant, ce village n’a aucun statut légal. Derrière cette entreprise, le commandant Perrette suscite des avis divergents sur sa personnalité controversée et sa prétendue grandeur d'âme.

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Qui était le commandant Perrette ? ©France télévisions

Dans son documentaire Le Commandant Perrette, Hors la Loi et Visionnaire, Claire Rivieccio nous plonge dans l'univers de ce personnage atypique, complexe et sujet à polémique.

Hors la loi, visionnaire, philanthrope, gourou, héros ou escroc ? Docteur Jekyll ou Mister Hyde ? Mais qui est vraiment le Commandant Perrette ?

Le jeune Perrette

En février 1916, à seulement 17 ans, Perrette, baccalauréat en poche avec mention très bien, s'engage dans la Grande Guerre. Après six mois passés dans les tranchées, il demande à intégrer la première unité de chars de l'armée française et se retrouve en avril 1917 sur le champ de bataille du Chemin des Dames.

Le 16 avril, alors que les premières vagues d'assaut avancent, elles se heurtent à des barbelés intacts et sont fauchées par le feu des mitrailleuses allemandes. Malgré l’échec des 128 chars à atteindre les lignes ennemies, le jeune Perrette reste convaincu de l'importance stratégique des chars dans les opérations militaires.

Fauché par une rafale de mitrailleuse, il s'effondre, grièvement touché aux jambes. Après l'armistice de 1918, toujours passionné par les chars, il intègre l'école des blindés de Versailles sous les ordres de Charles Delestraint.

L'année suivante, il s'engage dans une nouvelle guerre aux côtés de l'armée polonaise, qui lutte contre l'armée rouge. C'est dans un camp d'entraînement en Pologne qu'il croise le chemin d'un capitaine nommé Charles de Gaulle. Perrette cherche alors à lui faire comprendre que les chars représentent un atout essentiel pour une guerre de mouvement.

Il s'est noué entre les deux hommes, non pas une forme de complicité, ni même d'amitié, mais, j'ai l'impression, de respect mutuel.

Denis Hervier, Chroniqueur histoire, France Bleu Berry

Perrette retourne combattre en Lituanie et, quatre mois plus tard, en septembre 1919, il reçoit une balle dans la cuisse. Évacué sur Vilnius, il retrouve le sol français en novembre de la même année ; il a tout juste vingt ans. Plusieurs fois décoré et cité pour ses excellents états de service, Perrette devient administrateur des colonies en Indochine en 1920.

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Une affaire qui aurait pu mal tourner ©France télévisions

Trois ans plus tard, il quitte l'armée et rentre en France pour se marier, se lançant alors dans les affaires. La guerre tonne à nouveau, nous sommes en septembre 1939.

La Seconde Guerre mondiale

Perrette reprend du service, entamant sa troisième guerre. Il fait preuve d'un héroïsme qui lui vaudra, entre autres, plusieurs citations et médailles, ainsi que le grade de chevalier de la Légion d'honneur en octobre 1940. À pied, sous le feu de l'ennemi, il entraîne la progression des chars écossais. Blessé puis retenu prisonnier à Nantes, il s'échappe quatre mois plus tard.

S'ensuivent six mois d'hôpital à Nice, après quoi il est enrôlé en tant que commissaire commandant dans l'un des chantiers de jeunesse créés par Pétain. Cependant, il n'y reste pas longtemps, "jugé trop gaulliste aux yeux de cette institution". Il est démobilisé le 30 avril 1941.

Perrette retrouve alors Charles Delestraint, alias Vidal, chef de l'armée secrète, et devient officier de liaison dans la résistance jusqu'à la libération de Paris en 1944. Dans la confusion qui règne, Perrette et quelques membres des FFI se retrouvent aux prises avec l'ennemi à Champigny-sur-Marne, aux portes de Paris.

Décidant d'aller chercher des renforts américains, il revient avec un groupe de fantassins et quelques chars, ce qui permet de libérer Champigny-sur-Marne dans la nuit. Assimilé au rang de chef de bataillon dans la FFI, il peut prétendre au grade de commandant. Malheureusement, il ne soumet pas sa demande d'homologation à temps.

Perrette est un héros en mal de reconnaissance. Son grade de commandant, malgré ses nombreuses demandes, lui sera systématiquement refusé par l'armée en raison d'une simple date dépassée. Il restera capitaine, mais se fera appeler "commandant in eternam".

"Une espèce de petit État"

Lorsque Perrette achète le château d'Oublaise en 1946, c'est pour le compte de la Fédération nationale des chars et des blindés. Cette fédération, dont sa femme est présidente et lui trésorier, n'existe pas encore officiellement ; il la créera une semaine plus tard.

Pour occuper sa première douzaine de pensionnaires, le commandant Perrette les accompagne dans la construction d'une usine, nommée la Fabrique, juste en face du château. Dans cet espace, ils travaillent le bois et fabriquent des tableaux pour les compteurs d’électricité, grâce à un contrat établi avec EDF. Cette commande conséquente leur permet de constituer une trésorerie essentielle à ce "petit État", qui présente toutes les caractéristiques d’une entité autonome.

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Plan du domaine à l'époque du Commandant Perrette ©France télévisions

Perrette affirme que ces hommes, souvent considérés comme incapables, ont finalement "su prouver leur valeur". "On les voyait comme des parasites" disait-il, "mais en les intégrant dans une dynamique productive, ils ont pu concevoir, réaliser et connaître leur propre réussite, contribuant ainsi à la prospérité générale."

Après le décès brutal de son épouse, Louise Charlotte, en 1952, Perrette prend la présidence de la fédération. Inspiré par l'abbé Pierre, qu'il rencontre à Paris, il décide d'agrandir son centre pour accueillir encore plus de personnes dans le besoin : hommes, femmes et enfants.

Les grands travaux commencent sur la dizaine d'hectares de bois attenants à la fabrique.

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Les travaux dans les bois ©France télévisions

Perrette se remarie et entame un bras de fer avec l'administration, un conflit qui va durer jusqu'en 1982.

Les écrits s'entrecroisent et s'entremêlent, tout comme les points de vue qui coexistent en parallèle pour éviter de s'entrechoquer.

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Courriers multiples et variés ! ©France télévisions

Lorsque Perrette fait travailler ses hommes à Oublaise, aucune réglementation n'existe encore sur la réhabilitation par le travail pour les personnes handicapées mentales ou physiques. La première loi reconnaissant leurs droits ne sera promulguée qu'en 1976, et les centres de réhabilitation et de réinsertion professionnelle ne se généraliseront sur le territoire qu'à partir des années 80.

La culture, quant à elle, fait le chemin pour jouer du théâtre à travers bois. Au centre d'Oublaise, les habitants sont accueillis pour voir la troupe de Bourges, réputée dans la région, dans un confort et une acoustique qui les étonnent. 

Ils ne se sont pas au bout de leurs surprises.

Le tournant 

Au grand dam de l'administration locale, le ministère de la Justice confie officiellement au Commandant Perrette des prisonniers de droit commun en fin de peine. Des marginaux inquiétants viennent s'ajouter aux infortunés d'Oublaise. Le village est désormais complet, et tout le monde travaille. Perrette multiplie les voyages à Paris pour obtenir toujours plus de financements. Depuis 1960, il empoche huit francs par jour et par personne, qu'il reverse au compte-goutte avant qu'ils soient consommés en alcool.

Le Commandant Perrette n'a peur de rien, ni de personne, pas même des gros bras ou des coups tordus. À Oublaise, c'est lui qui fait la loi.

Après le décès du Général de Gaulle en 1970, les soutiens du Commandant Perrette commencent lentement à s'amenuiser, et ses méthodes sont de plus en plus contestées.

Jusqu'en 1981, le village fonctionne à plein régime. Oublaise compte alors une quinzaine de maisons individuelles, un bâtiment collectif, une supérette, un théâtre, un système d'assainissement et une station d'épuration, ainsi que deux rues éclairées. Cependant, des manquements sont signalés lors de la visite préfectorale, entraînant la fermeture du site par la DASS. Les résidents sont alors placés principalement en maison de retraite et, parfois, en hôpital psychiatrique.

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Un nouveau projet ©France télévisions

En 1985, à quelques kilomètres de là, le Commandant Perrette investit dans la construction d'une nouvelle maison pour son couple, aidé par une poignée de fidèles. Puis, il leur fait construire un restaurant, de quoi créer de nouveaux emplois pour encore dix ans.

Ils se souviennent

Enfants du pays, ils ont aujourd'hui entre 60 et 90 ans. Pour certains, ces hommes étaient audacieux, courageux et déterminés, mais leur comportement pouvait également inspirer la peur, notamment à cause de l'alcool et des médicaments qui n'ont jamais fait bon ménage avec les armes. "Parfois, la tête ne suivait pas le reste."

Pour d'autres, le commandant Perrette était perçu comme un refuge pour les bannis, ceux qui n'avaient rien : les sans-grades et les soldats isolés. À une époque où les services sociaux étaient insuffisants, certains le voyaient comme l'architecte d'une société utopique fondée sur l'accueil des plus faibles.

Pour d'autres encore, il reste associé à la légende de cet homme qui a embaumé le corps de sa première femme, endormie à jamais dans un cercueil en verre. 

Il peut également revêtir l'image d'un homme au cœur dur et opportuniste, qui a profité de la misère humaine, cédant ses terres aux membres des Hare Krishna avant de poursuivre son chemin un peu plus loin. Son héritage demeure un sujet de débat et de réflexion.

Il est tant et tant dans chaque regard qui le perçoit mais qui est-il réellement ?

Était-il l'un, l'autre, ou toutes ces facettes à la fois ? Assurément, nous ne le saurons jamais tout à fait. 

► "Le Commandant Perrette, Hors la Loi et Visionnaire", un documentaire de Claire Rivieccio, à découvrir le jeudi 24 octobre à 23h05 dans La France en vrai sur France 3 Centre-Val de Loire. À revoir en replay sur france.tv.

Une production de YN Productions et France 3 Centre-Val de Loire.

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