Chaque mois, le centre aquatique d'Argenton-sur-Creuse accueille une séance naturiste. Pas toujours bien vu, objet de fantasmes et de clichés, le naturisme a pourtant encore de beaux jours devant lui. Même au cœur de l'Indre, où ses pratiquants ne jurent que par la liberté et la convivialité.
"Une fois qu'on a essayé, on ne peut plus s'en passer !" Naturiste depuis plus de quarante ans, Michel ne regrette pas une seconde d'avoir laissé ses vêtements au vestiaire. Et comme les autres membres de son association, il témoigne avec passion de cette pratique, éminemment émancipatrice.
Une fois par mois, de 19 h 30 à 21h, au centre aquatique d'Argenton-sur-Creuse, le club Soleil et loisirs de l'Indre organise une séance naturiste. Le soir où France 3 se rend sur place, ils sont une vingtaine, jeunes et moins jeunes, à faire des longueurs, profiter du jacuzzi ou simplement à retrouver leurs amis. Le tout, évidemment, dans le plus simple appareil.
Unique dans la région
L'initiative peut étonner, pourtant elle a lieu sans anicroche depuis 2012, et le club lui-même existe depuis les années 70. Et si le naturisme est plus souvent associé aux plages du Cap d'Agde qu'à une piscine municipale berrichonne, ce type de créneau existe un peu partout, avec plus ou moins de publicité, de l'Isère à la Normandie, en passant par la capitale.
En Centre-Val de Loire, néanmoins, malgré de nombreux lieux naturistes, il n'y a qu'à Argenton-sur-Creuse qu'une piscine publique ouvre régulièrement ses portes aux personnes nues. Naïvement, nous pensions que la pratique s'était attirée son lot de critiques et de résistances locales. Que nenni : selon une responsable de l'infrastructure, à part quelques commentaires isolés sur les réseaux sociaux, le naturisme berrichon se dévoile, au pire, dans une bienveillante indifférence.
Libérés, désapés
Le naturisme, Michel est tombé dedans "sans faire exprès", sur la côte landaise. "J'étais à la plage avec ma sœur et mon beau-frère, on avait une vingtaine d'années", raconte-t-il. Désespérés de trouver de la place sur le rivage bondé, les trois jeunes décident de s'éloigner en longeant la côte. Ils tombent sur un panneau "zone naturiste tolérée". "On a vu des gens très espacés, tout nus. On ne s'est pas sentis violés dans notre intimité visuelle." Alors, à leur tour, ils ont tombé le maillot.
Se baigner tout nu, ça a été le ravissement. Les vagues sur la peau, le soleil, le sable. Moi, maintenant, je ne peux plus porter de maillot, je ne le supporte plus. C'est bête, hein ?
Michel
"Je me suis sentie tout de suite bien", renchérit son amie Marie-Claire, non-voyante, qui a commencé les séances naturistes il y a une dizaine d'années. Avec Michel "on discutait autour de la photocopieuse, j'ai dit que j'aimerais bien essayer, et puis j'ai adopté". Ici, comme beaucoup d'autres, elle trouve avant tout une manière d'être elle-même, et bien dans son corps.
À cause de son handicap, "parfois, dans la rue, on nous regarde un peu comme des bêtes curieuses, on dit 'oh, la pauvre'. Ici, jamais !" Après dix ans de pratique, ce qu'elle retient surtout, c'est "la convivialité", et la liberté de ne pas avoir "honte" de son corps.
Ça aide à accepter son corps tel qu'il est. On est gros, on est petit, on est maigre, on est handicapé, on ne l'est pas, on est vieux, on est jeune : peu importe. On est là pour vivre la vie par tous les pores de sa peau !
Françoise Laurent, trésorière du club Soleil et loisirs de l'Indre
"Liberté", c'est aussi le maître-mot de Françoise Laurent, trésorière du club. "On est libérés d'un certain nombre de contraintes, et on n'a pas le même regard sur les gens", abonde-t-elle. Sans vêtement pour capter le regard, marquer la classe sociale, "tout le monde parle à tout le monde, sans se soucier de qui est qui. La vie est plus simple !"
Une pratique pas toujours bien acceptée
Ce soir-là, on nous confiera d'ailleurs que le naturisme est plus répandu qu'on ne le croit, y compris chez des élus locaux qui préfèrent toutefois le pratiquer loin de chez eux. La crainte du jugement et d'un regard de travers de la part de leurs administrés reste vivace.
"Les mentalités n'ont pas encore assez avancé pour accepter l'idée de naturisme", estime Françoise Laurent, même s'il y a du progrès. Au forum annuel des associations, "avant, on avait beaucoup de gens qui ricanaient, aujourd'hui, ils viennent chercher des renseignements, il y a un dialogue qui s'instaure".
"Ça reste méconnu, et ici, on manque un peu d'activité", ajoute David, qui vient depuis trois ans. Si le naturisme est plus spontané, voire parfois évident en bord de mer, l'Indre n'était pas forcément la terre la plus accueillante. Et puis, "la pornographie a fait beaucoup de mal".
Moi j'ai toujours été mieux nu qu'habillé, j'étais quelqu'un de complexé. Déshabillé, on se sent libéré du complexe du maillot trop serré ou trop grand. On accepte mieux ses défauts, et aussi ceux des autres. Ça enlève tout jugement, on se sent tous pareils.
David, membre depuis trois ans
Si le naturisme reste étroitement associé aux plages et aux campings du sud de la France, la pratique a fait des petits en Centre-Val de Loire, comme le Club du soleil en Touraine et en Loir-et-Cher, ou l'association Joie et Santé dans le Loiret.
Du côté du centre aquatique d'Argenton-sur-Creuse, les réticences initiales ne menacent plus les séances naturistes, qui font maintenant partie du paysage. Plus inquiétante, l'inflation qui a touché les piscines et augmente le prix de location du lieu n'a pas non plus découragé les 20 à 40 baigneurs mensuels. De fait, le naturisme "ça fait des économies de lessive !" plaisante Françoise Laurent.
Vient-on de dénicher le prochain bon plan anti-inflation?