À la fois romancière et éditrice, la loirétaine Frédérique de Lignères publie un ouvrage illustré par une artiste japonaise, Izoomi. Tous les bénéfices seront reversés à une association tourangelle qui lutte pour la scolarisation des filles et contre le mariage forcé en Afrique noire.
Basée à Saint-Hilaire-sur-Puiseaux, dans le Loiret, l'Andriague est une petite maison d'édition associative qui entend s'appuyer sur les acteurs régionaux, imprimeurs, libraires, salons du livre, pour son fonctionnement. Mais en privilégiant les littératures francophones, l'association se veut aussi ouverte sur le monde...
Fondatrice de l'Andriague, Frédérique de Lignières, a dans l'idée, depuis longtemps, de faire un geste pour venir en aide aux petites filles d'Afrique. Cela remonte à son enfance, à la fin des années 50, à Dakar :
"J'avais huit ans et j'y vivais avec ma sœur et mes parents, à l'époque de la colonisation, mon père était officier de marine. Nous avions à la maison une jeune servante qui s'appelait Bigué, nous l'aimions beaucoup, elle faisait partie de la famille. Et puis un jour, elle a brutalement disparu, mes parents ont essayé en vain de la retrouver."
Pour l'enfant que j'étais, c'était bouleversant et extrêmement inquiétant, que quelqu'un puisse disparaître comme ça. Beaucoup plus tard, devenue adulte, j'ai réalisé qu'elle avait dû être vendue par son village ou sa famille, sans doute à un proxénète, pour payer des dettes.
Frédérique de Lignières, romancière et éditrice
Une histoire terrible que Frédérique gardera toute sa vie en mémoire, et dont elle s'inspirera pour un roman justement baptisé "Bigué". Elle y puise aussi l'envie d'aider les petites africaines à échapper à un destin souvent cruel.
L'idée de verser les bénéfices d'un ouvrage à une association commence à germer, d'autant que l'autrice loirétaine a écrit une nouvelle "Le berger des chevreuils", dont elle pourrait tirer un beau livre pour enfants.
"Je ne me voyais pas demander à un illustrateur de travailler gratuitement, précise Frédérique. Je sais qu'ils sont peu payés et ont du mal à vivre de leur métier. Mais j'ai rencontré l'artiste-peintre japonaise Izoomi lors d'une exposition. Nous avons longuement discuté, nous avons parlé de chiens, j'ai évoqué mon projet... Elle s'est spontanément proposée pour l'illustrer et quelques semaines plus tard, j'ai ouvert un mail provenant de Tokyo avec tout son travail pour le Berger des chevreuils, c'était magique !"
Le berger des chevreuils va être imprimé à Chatillon-Coligny (Loiret) par Improffset, qui a réalisé gratuitement la mise en page et le bandeau du livre pour contribuer, à la mesure de ses moyens, à cette action. Et les frais d’impression eux-mêmes ont pu être financés en partie grâce à un crowdfunding lancé sur le site d’Helloasso et à des dons de particuliers. Le surplus est resté à la charge de la maison d’édition.
Favoriser la scolarisation des petites Ivoiriennes
Restait à trouver une association correspondant aux attentes de Frédérique de Lignières. Grâce aux réseaux sociaux, elle a découvert Filles à l'Ecole et Solidarité (AFAES), implantée à Tours et présidée par Aminata Ouattara :
"Nous travaillons surtout dans le Nord-Est de la Côte d'Ivoire, à 400 kilomètres d'Abidjan, explique la présidente d'AFAES. On est dans un contexte fort de patriarcat où l'éducation des petites filles est reléguée au second plan. Le mariage forcé y est très pratiqué. L'idée est d'aider les filles à aller à l'école pour pouvoir devenir des jeunes femmes libres et autonomes. De lutter contre l'analphabétisme pour corriger les inégalités entre filles et garçons."
Un travail de longue haleine, car il a fallu convaincre les chefs coutumiers et religieux, ainsi que les élus, maires et députés, sans trop bousculer les croyances et traditions. Aminata Ouattara pense y être arrivée.
"Aujourd'hui, presque tous les parents sont d'accord avec nous pour mettre leurs petites filles à l'école, d'autant que le gouvernement l'a rendue obligatoire. Mais après le CM2, on passe de 77% de taux d'enrôlement à 20% au collège. Parce qu'il y a la distance, que les parents sont trop pauvres, et que la question du mariage forcé refait surface..."
FAES se mobilise donc actuellement pour trouver des fonds afin de construire un foyer pouvant accueillir les jeunes filles qui poursuivent leurs études en ville ou qui fuient un mariage forcé.
Dans cette perspective, l'initiative du Berger des chevreuils est évidemment la bienvenue ! L'ouvrage sera présenté en avant-première à Chanceaux-près-Loches, au salon du livre "Les écrivains chez Gonzague Saint-Bris" Il sera vendu au prix de 15€ et le produit des ventes sera intégralement reversé à Filles à l'école et Solidarité.