A Blois, la graineterie sème la discorde entre les riverains et la mairie

L'annonce de la mise en vente des ruines de la Tupinière, une graineterie médiévale, par la ville de Blois met en colère les riverains du bâtiment, qui ont organisé sa découverte lors des journées du patrimoine. Ils redoutent l'implication d'un promoteur immobilier.

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Jacques Dutronc aurait pu chanter cette petite graineterie au fond d'une cour dans le centre-ville de Blois, menacée par un promoteur. Car, juste derrière le musée d'histoire naturelle des Jacobins, coincée au milieu du bâti et invisible aux yeux des passants, se logent les ruines d'un édifice historique médiéval, dont l'aspect actuel remonte aux XIIIe et XVe siècle.

La graineterie en question, dite La Tupinière, était une imposante propriété de la très puissante abbaye tourangelle de Marmoutier. Autant dire un témoin majeur de ce qu'était l'économie du Moyen-Âge. Lors des journées du patrimoine, les 18 et 19 septembre, les Blésois ont pu, pour la première fois en plusieurs décennies, venir admirer en toute liberté l'édifice.

Une initiative du couple Ancelin, dont la maison donne sur la rue côté pile, et sur une large cour intérieure avec vue plongeante sur la graineterie côté face. Une cour appartenant en partie à la ville, pour une parcelle étroite longeant la façade et reliant deux portails donnant sur la rue, et en partie à divers riverains. Le couple, retraité depuis 2020, est propriétaire depuis 9 ans, mais ne venait que peu dans leur résidence secondaire car travaillant à Paris.

Mise en vente pour 52 000 euros

Arrive le mois d'avril 2021, où les deux retraités étaient "à Blois un peu par hasard, un gros coup de chance", se souvient Sylvie Ancelin. Ils voient alors "plusieurs personnes rentrer dans la copropriété, venir prendre des photos et des mesures". L'un des visiteurs d'un jour se présente comme "un promoteur qui prépare un programme de réhabilitation et d'habitat". 

Pour le couple, l'incompréhension est totale. Ils fouillent le site de la mairie, et découvrent que l'édifice est mis en vente par la municipalité. "La Ville envisage de vendre les anciens vestiges de la Tupinière [...] au profit d’un opérateur ayant manifesté son intérêt auprès d’elle pour réaliser une opération de réhabilitation pour de l’habitat", peut-on lire dans l'annonce publique. Une vente à 52 000 euros.

"En lisant ça, on a tout de suite l'impression que c'est déjà vendu", s'alarme Sylvie Ancelin, qui craint "un projet immobilier qui tirerait un trait sur l'histoire des lieux". 

Un projet de restauration "mort-né"

Il faut dire que La Tupinière n'est propriété de la ville que depuis 2001, date à laquelle la municipalité l'acquiert pour 1 euro symbolique. "Elle était la propriété d'une association qui n'avait plus les moyens d'en assurer la sécurité", précise Jérôme Boujot, premier adjoint à la ville durable à Blois. 

Un article de la Nouvelle République, dâté d'août 2001, évoque ainsi une potentielle reconversion, comme l'intégration de l'édifice dans le musée des Jacobins. 20 ans plus tard, n'a changé, et ce pour plusieurs raisons.

La muncipalité ayant procédé à l'acquisition -celle de Nicolas Perruchot- n'a pas été reconduite en 2008, avec la prise de fonctions de Marc Gricourt. Et, surtout, parce que le bâtiment est purement et simplement en ruines. "Il nécessiterait des millions d'euros de restauration". Des millions que la ville n'a tout simplement pas, plaide Jérôme Boujot. Et même en fouillant dans les archives de la mandature d'alors, l'adjoint affirme n'avoir "trouvé aucun projet". Pour lui, dès 2001, la restauration des lieux était "un projet mort-né".

"Un achat patrimonial"

Alors, pour la majorité PS actuelle, la mise en vente de La Tupinière n'est rien d'autre qu'une manière de la "conserver, pas de se débarrasser des murs". La ville n'a, jusqu'à présent, eu les moyens que de sécuriser les lieux, avec des barrières entre sa parcelles et celles des riverains. "Plutôt que de le conserver en mauvais état, il serait opportun d'en faire quelque chose de bien avec un achat patrimonial", avance l'adjoint. 

Pas de quoi rassurer le couple Ancelin, qui échange de nombreux mails avec la ville pour obtenir la sauvegarde du site. Pourtant, Jérôme Boujot l'assure : "On n'a pour l'instant reçu aucune offre d'achat. Un promotteur local nous a juste demandé s'il pouvait faire des mesures", mais il n'y a rien de signé pour le moment.

En réponse à leurs courriers, la mairie a proposé aux Ancelin de monter leur propre projet s'ils souhaitaient acquérir le bien. "Mais on n'a pas du tout prévu de l'acheter", acène Sylvie Ancelin. Le couple, aidé par des personnes sensibilisées, sont tout de même en train de monter un projet à eux, à remettre avant la fin du mois, pour que "la graineterie reste absolument la propriété de la ville". 

Succès aux journées du patrimoine

Element rassurant : La Tupinière est, depuis 1946, inscrite à l'inventaire des monuments historiques. Ergo, un promoteur ne pourra de toute façon pas monter de projet sans consultation de la direction régionale des affaires culturelles, sans le regard d'un architecte des bâtiment de France, et sans "une approbation par la ville d'un projet en adéquation avec la protection des lieux", soutient Jérôme Boujot.

Espérant un "effet boule de neige", le couple Ancelin a décidé d'intégrer la graineterie au circuit des journées européennes du patrimoine (JEP), et s'est adressé aux services de la ville en juillet. Ils assurent que l'agente venue constater les lieux est repartie "très enthousiaste", avant qu'ils ne se voient notifier un refus pur et simple de les intégrer au parcours officiel prévu par Blois. Une question de "dépôt de candidature trop tardif, après la fin de l'impression des feuillets de présentation", selon l'adjoint.

S'en suit une lettre, à quelques jours des JEP, émanant de la municipalité et interdisant aux deux retraités de faire passer de potentiels visiteurs par les portails, ce qui serait considéré comme "une violation de propriété" par la ville. Qu'à cela ne tienne, les riverains ont rusé en faisant passer les curieux par le hall d'immeuble du 2 rue des Jacobins, qui mène de la rue à la cour.

La communication s'est quant à elle faite par un feuillet historique et architectural, créé collectivement et distribué au château, à l'office de tourisme et dans des librairies. Une stratégie payante puisque Sylvie Ancelin se réjouit d'avoir "accueilli plus de 300 personnes". Elle affirme avoir ainsi reçu de nombreux témoignages de visiteurs "voulant à tout prix sauver la graineterie". 

Prioriser le budget

Du côté de la mairie, on affirme que les refus n'étaient que de l'ordre du réglementaire, et que "la ville soutient ce genre d'initiatives, comme elle le fait tous les jours en rénovant le patrimoine" : 

On a mis 3 millions et demi d'euros sur l’église St Nicolas. On a fait le choix de prioriser la restructuration des écoles, de maintenir en état le château, ce qui coûte énormément d'argent. On fait de la restauration des espaces publics, des espaces verts, de la voirie. Malheureusement on ne peut pas tout faire.

Jérôme Boujot, premier adjoint à la ville durable à Blois

Pour la suite du dossier, pas de calendrier précis tant qu'aucune offre de rachat n'aura été présentée. En attendant, les riverains mobilisés ont décidé de s'organiser en association : première assemblée constituante dès la fin du mois de septembre.

 

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