Dans l'attente de la publication du programme pluriannuel de l'énergie qui validera ou non la création de futurs réacteurs EPR, EDF cherche à acquérir des terres autour des centrales actuelles. Mais à Saint-Laurent-des-Eaux (Loir-et-Cher), les agriculteurs ne sont pas vendeurs.
Le projet a commencé à être dévoilé au mois de septembre, à l'issue d'un conseil municipal de Saint-Laurent-Nouan où EDF a commencé à parler d'extension du site. Les choses sont devenues concrètes et officielles début octobre lorsque les propriétaires des terrains situés autour de l'actuelle centrale ont été conviés à une réunion où on leur a proposé de racheter des parcelles représentant une superficie de 116 hectares, soit autant que le site existant.
Dans un courrier adressé aux propriétaires, la Safer, société chargée des ventes et reventes de terrains agricoles, propose un rachat dans l'objectif "d'assurer la production d'électricité décarbonée''. En langage clair, il s'agit bien d'envisager la création d'une nouvelle centrale nucléaire.
Un objectif qu' EDF assume:
"Il est de la responsabilité d'EDF de préparer l'avenir pour poursuivre l'activité industrielle quand les deux réacteurs actuels, mis en service en 1983, s'arrêteront après 60 années d'activité a minima. Les réserves foncières pourront nous permettre différentes choses: installer les entreprises qui procéderont au futur démantèlement mais aussi poursuivre la production d'électricité nucléaire et si c'est le cas avec la technologie EPR.''
140 hectares achetés à Belleville-sur-Loire
EDF cherche actuellement à acquérir des terres autour des 19 centrales nucléaires existantes pour savoir où les projets d'EPR seraient techniquement possibles et voir où ils rencontreraient le moins de résistance politique. Près de 140 hectares viennent d'êtres achetés près de la centrale de Belleville-sur-Loire (Cher) et à Chinon (Indre-et-Loire), les élus qui élaborent le schéma de cohérence territoriale ont été priés de réserver 120 hectares autour de la centrale.
À Saint-Laurent-des-Eaux, 15 propriétaires et 6 exploitants agricoles sont concernés par le projet et pour l'instant aucun d'entre eux n'est vendeur.
"Je suis concerné pour 56 hectares soit la moitié de ma surface de céréales,'' explique Florian Perrin, 22 ans qui a repris récemment l'exploitation familiale. "Qu'est-ce que je peux faire contre ça ? Autant mettre la clef sous la porte. Pour trouver des terres de cette qualité, il faut faire au moins 20 km.''
Des exploitations en péril
Son voisin proche Yves-Marie Hahusseau, producteur de céréales et de viande bio, craint ainsi la disparition de ses meilleures terres qui mettrait en péril la survie d'une exploitation qu'il doit bientôt transmettre à son fils. ''Si on m'enlève les terres sur lesquelles je fais des céréales, je ne pourrai plus nourrir mes vaches. Je connais les centrales depuis que je suis installé en 1974. J'en voyais enfin le bout. Je me disais que bientôt il y aurait le démantèlement et là, c'est un retour à la case départ. Ce sera à mon fils de voir s'il veut continuer l'activité où s'il décide de s'en aller.''
EDF souhaite aller vite dans son opération d'achat et envisage d'avoir acquis l'ensemble des terres avant la fin de l'année dans le cadre d'un accord ''gagnant-gagnant.'' Il n'est pour l'heure pas question d'expropriation mais les agriculteurs se préparent à réagir en cas de passage en force. "Dans ce cas-là, on fera une ZAD ! S'ils veulent nous prendre nos terres, on n'aura plus rien à perdre. On fera comme à Notre-Dame-des-Landes", explique Benjamin Perrin, jeune producteur de céréales.
De nombreux habitants travaillent à la centrale
Les banderoles pour dire non au nucléaire sont déjà prêtes dans sa grange et ne demandent plus qu'à être installées au bord de la route. La lutte pour la défense des terres agricoles se prépare sans trop d'espoir sur la mobilisation des populations locales puisque beaucoup d'habitants de Saint-Laurent travaillent à la centrale. Les riverains pourraient toutefois réagir en découvrant que le futur site se trouverait à moins de 2 km des premières habitations, soit à l'intérieur de la zone de danger immédiat telle que la définit une loi votée en 2010 qui limite les constructions dans ce secteur.
La construction ou non de futurs EPR devrait être actée dans la programmation pluriannuelle de l'énergie 2018-2028 qui devait être publiée fin octobre mais dont l'annonce a été repoussée à mi-novembre. Elle comportera aussi un volet sur les futurs sites de stockage de déchets nucléaires appelés à relayer le site de La Hague, actuellement saturé. Le site Reporterre révélait il y a quelques mois que Belleville-sur-Loire pourrait être choisi mais les réserves en cours d'acquisition à Saint-Laurent pourraient servir de plan B en cas de résistance dans le Cher, même si EDF refuse de confirmer cette hypothèse pour l'instant.