Un journaliste de France 3, de nationalité afghane, empêché de couvrir la visite d'une ministre dans une centrale nucléaire

La visite de la ministre déléguée en charge de l'Énergie à la centrale nucléaire de Nogent-sur-Seine (Aube) devait être suivie par deux journalistes de France 3 Champagne-Ardenne vendredi 8 novembre. Mais l'accès de l'un d'eux, de nationalité afghane, a été refusé.

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Noorulah Shirzada, journaliste reporter d'images, collabore régulièrement avec France 3 Champagne-Ardenne. Le 8 novembre dernier, il devait couvrir avec une collègue journaliste rédactrice la visite de la ministre déléguée en charge de l'Énergie Olga Givernet à la centrale nucléaire de Nogent-sur-Seine, dans l'Aube. Mais l'accès au lieu lui a été refusé.

Notre collègue est de nationalité afghane. Journaliste depuis 2010, il collabore d'abord avec des médias locaux afghans, avant de rejoindre l'Agence France Presse, où il travaille comme photographe puis vidéaste au bureau de Kaboul, la capitale du pays.

En août 2021, les Talibans reprennent le pouvoir dans le pays. Le 18 août, Noorulah Shirzada quitte l'Afghanistan avec sa femme et ses enfants dans un avion affrété par l'ambassade de France. Depuis, il s'est installé à Reims et a pu obtenir un titre de séjour de dix ans. Il est également titulaire d'une carte de presse française. 

En amont de la visite de la ministre à Nogent-sur-Seine, il a été demandé à notre rédaction de fournir les pièces d'identité des journalistes qui devaient couvrir la visite. Une procédure habituelle qui ne présente en temps normal pas de difficulté. Le dernier délai pour transmettre ces documents était fixé au 7 novembre, la veille de la visite, à 19h.

Pas de lien avec la nationalité de notre collègue, selon EDF

Dans l'après-midi, les documents d'identité (carte d'identité ou titre de séjour et carte de presse) des deux journalistes prévus pour la visite sont envoyés à la préfecture de l'Aube, qui gère les demandes d'accréditation. Le tout est envoyé dans un même message. Il est ensuite demandé une copie du passeport de Noorulah Shirzada. Le document est transmis avant le délai limite annoncé par la préfecture.

Malgré cela, il sera impossible pour notre collègue de pouvoir couvrir le déplacement ministériel comme prévu. Son accès à la centrale nucléaire de Nogent-sur-Seine lui est refusé. Par contre, celui de sa collègue, qui dispose d'une carte nationale d'identité française, sera validé.

Le syndicat Force ouvrière au sein de France Télévisions, a alerté sur cette situation le jour même de la visite, dans un communiqué qui rappelait notamment l'émoi que la mesure a suscité au sein de la rédaction de France 3 Champagne-Ardenne. L'association Reporters Sans Frontières a, le même jour, demandé des explications à la préfecture de l'Aube dans un message sur X dans lequel elle s'inquiétait d'une "vraisemblable atteinte à la liberté de la presse".

La rédaction en chef de France 3 Champagne-Ardenne a interrogé la préfecture de l'Aube et EDF afin d'obtenir des explications sur les raisons qui ont abouti à cette situation. La préfecture assure qu'il ne s'agit en aucun cas d'une décision dont elle est responsable. Elle "serait motivée par un avis défavorable rendu par le Service du Haut Fonctionnaire de Défense et de Sécurité", selon la préfecture. 

Comme on peut le lire dans une plaquette de présentation du ministère de la Transition écologique éditée en avril 2021, le Haut Fonctionnaire de Défense et de Sécurité "définit et met en œuvre les politiques de défense et de sécurité nationale dans le domaine nucléaire". Le contrôle de la sécurité nucléaire donne lieu, selon ce document, à 275 000 enquêtes administratives chaque année pour permettre l'accès aux installations.

EDF de son côté indique que la nationalité de Noorulah Shirzada n'a eu aucune influence dans la décision de lui refuser l'accès. Le refus est, selon l'entreprise, lié à "la transmission hors délai du passeport ne permettant pas d’instruire la demande d’accès conformément à la procédure."

Notre collègue, Noorulah Shirzada, a été très affecté par ce refus. "Ce jour-là, j'étais complètement bloqué. Mais dans la journée, j'ai reçu beaucoup de messages de collègues qui m'ont exprimé leur soutien. Franchement, cela m'a donné l'énergie de me relever", confie-t-il une semaine après les faits. 

C'était vraiment douloureux pour moi. Je me suis demandé qui j'étais aujourd'hui.

Noorullah Shirzada, journaliste

Il en vient même à s'interroger sur la valeur de son titre de séjour, délivré par la République française après un examen minutieux de sa situation. "J'ai envoyé tous les documents, et malgré tout ça je n'ai pas été autorisé à entrer dans la centrale. Donc ça veut dire que je ne peux pas compter sur les papiers que j'ai en France", énonce-t-il, fataliste.

Lui a fui le régime taliban, mais une partie de sa famille se trouve toujours en Afghanistan. "Je suis un journaliste afghan, mais d'un autre côté, je suis un humain. Je vis en France, avec beaucoup d'espoir." Il espère qu'une telle situation ne sera pas amenée à se produire. 

À l'issue d'un échange sur les faits, une semaine après, EDF a proposé que notre collègue revienne à la centrale nucléaire, comme journaliste. 

Mise à jour du 22 novembre : 

La rédaction en chef de France 3 Champagne-Ardenne a obtenu une réponse du Service du Haut fonctionnaire de défense et de sécurité du Ministère des Territoires, de l'Écologie et du Logement, concernant le refus d'accès de notre journaliste à la centrale nucléaire de Nogent-sur-Seine.

Il est précisé dans ce courrier que le refus d'accès "n'est pas consécutif à un avis négatif des services de l'État, en lien avec sa nationalité ou une autre considération d'ordre sécuritaire". On nous indique que le refus fait suite à un envoi trop tardif de la demande d'accréditation, "plus compatible avec le délai de traitement de sa demande". Il est ajouté que "les services du ministère de l'Intérieur n'ont pas été saisis par EDF pour enquête le concernant". Pour rappel, cette demande d'accréditation a bien été envoyée avant la date limite fixée par la préfecture, la veille de la visite ministérielle à 19h.

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