TEMOIGNAGE. Noorullah Shirzada, un journaliste afghan en exil à Reims, " je suis sûr que j’aurais été tué par les Taliban"

Noorullah Shirzada est arrivé en France le 18 août 2021, trois jours après la prise de pouvoir par les Taliban dans son pays, l’Afghanistan. Journaliste pour l’AFP, il savait qu’il risquait sa vie et celle de sa famille en restant. L’exil lui permet aujourd’hui de souffler, de se reconstruire et de voir ses enfants libres.

C’est une journée particulière pour Noorullah. Un sentiment de renouveau. Son métier, journaliste, est essentiel pour lui. Il l’a pratiqué de 2010 à 2021 dans son pays, l’Afghanistan. Depuis son arrivée en France en 2021, évidemment, tout a changé. La perte de repères et une vie à reconstruire. Il vit désormais dans le calme d’un pays en paix, mais à 34 ans, pas simple de se détacher ainsi de son passé. Le déracinement est terrible et savoir son père, son frère et sa sœur restés en Afghanistan, toujours en proie aux violences talibanes, est un fardeau à porter chaque jour. Comme une culpabilité d’avoir fui sans eux.

Mais aujourd’hui, c’est sa journée. Il ressort ses photos de reportage de leurs emballages. Les étudiants de Sciences Po de Reims l’ont invité à les exposer dans le hall de l’école. Il parle de son pays, de son métier, de l’actualité. La transmission de la vérité reste un de ses objectifs prioritaires.

 

La fuite ou la mort

Noorullah est originaire du nord-est de l’Afghanistan, à 150 km de Kaboul. La région sans doute la plus en proie aux violences des Taliban et des groupes terroristes de Daech et de l’Etat Islamique.

"Le 15 août, lorsque le gouvernement afghan est renversé par les Talibans, je suis à Kaboul dans les locaux de l’AFP, explique Noorullah. Je dis à mon chef que je pars chercher tout de suite ma famille à Jalalabad. Il me dit non, tu n’y arriveras pas, il faut que tu la fasses venir ici. J’ai appelé mon père et il a réussi. Le 16 août, nous allons nous mettre à l’abri à l’ambassade de France où nous restons 24 heures. Le 17, l’armée française nous dit d’aller à l’aéroport. Nous y sommes à minuit."

Le 7 septembre 2021 nous sommes donc arrivés à Reims. Je n’oublierai jamais l’accueil de la France, le poids de l’humanité ressenti à notre arrivée.

Noorullah, journaliste afghan exilé à Reims

Noorullah raconte cela, en français, avec une précision redoutable. Un seul objectif en tête à ce moment-là, quitter le pays au plus vite. Avec sa famille, ils font partie des tout premiers à monter dans un avion français. Le 18 août, ils s’envolent vers Dubaï, pour arriver dans la même journée en France. Sains et saufs. "Si j’étais resté en Afghanistan, je suis sûr que j’aurais été tué par les Talibans. En France, c’est la garantie de vivre". La garantie de la liberté pour sa femme Ziba, la garantie de l’éducation pour ses cinq enfants, trois garçons et deux filles.

Après quelques mois d’errance administrative, le dossier d’asile de la famille Shirzada est bouclé. "On me demande alors : est-ce que vous avez choisi une ville où aller vivre ? J’ai répondu à la personne de l'Office Français de l'Immigration et de l'Intégration (OFII), si elle voulait choisir pour moi. Je lui ai juste dit que je souhaitais une ville tranquille pour ma famille. Le monsieur m’a répondu, je connais Reims, j’y vais régulièrement passer quelques jours de vacances. Le 7 septembre 2021, nous sommes donc arrivés à Reims. Je n’oublierai jamais l’accueil de la France, le poids de l’humanité ressenti à notre arrivée".

Le 8 novembre, Noorullah et son épouse sont pris en charge par l’AEFTI, une structure de formation où ils vont pouvoir apprendre le français et construire un nouvel avenir professionnel.

Vivre en guerre

Noorullah a déjà connu l’exil dans sa plus "tendre" enfance. En 2001, un mois après les attentats du World Trade Center, les Etats-Unis attaquent l’Afghanistan pour tenter d’éradiquer deux groupes, Al Quaïda et les Talibans. Noorullah, sa famille et l’ensemble de la population afghane se retrouvent sous les bombes. Un peu plus encore, car les années se suivent et se ressemblent.

"Je suis partie au Pakistan avec ma mère. Nous sommes passés par les montagnes pour fuir et nous sommes restés trois ans dans un camp de réfugiés", reprend-il. Son arme à lui : l’école. Il a 12 ans, il continue à étudier et revient au pays, plus fort.

Quand mes enfants partaient à l’école, leur maman, en les voyant s’éloigner de la maison, ne savait pas s’ils allaient rentrer. Kidnapping, explosions, la pression était forte.

Noorullah, journaliste afghan exilé à Reims

La paix est éphémère, voire inexistante, en Afghanistan. "Mon histoire est liée à la guerre, à la violence. Ce ne sera jamais fini. J’ai grandi en ne connaissant que cela". Noorullah perd sa maman très vite après son retour du Pakistan. Il devient alors chargé de famille et prend sous son aile sa petite sœur et son petit frère, tout en continuant d’aller à l’école. C’est décidé, il veut devenir journaliste. Raconter son pays, ce qui s’y passe. Il se forme auprès des médias professionnels à Kaboul puis réussi à décrocher une formation de photographe auprès des Nations Unis. Il ira aussi au Pakistan pour suivre une formation de sécurité internationale. Formé à savoir réagir en cas d’attentats ou d’attaques… sa carrière de reporter de guerre débute alors.

La France le récompense

En 2010, le jeune afghan commence à travailler pour quelques médias locaux. Puis il contacte l’Agence France Presse (AFP) au bureau de Kaboul. "Je suis reçu par le chef photographe qui a été tué dans une explosion en 2018. Il me confie un appareil photo. Il est très usé et ne fonctionne pas très bien, explique Noorullah. Mais quand le chef de l’AFP voit mon travail, il me rappelle et change mon matériel". Le sourire s’affiche encore sur le visage du journaliste afghan au souvenir de cette anecdote. Il sait à ce moment-là qu’il fait partie de l’équipe. Il travaille pour l’AFP pendant 10 ans, jusqu’à son départ. Quand Jalalabad est à nouveau en proie à la violence du groupe Etat Islamique, l’AFP demande à Noorullah de se mettre à la caméra et de réaliser seul des reportages complets. "J’envoyais mes commentaires par téléphone", se souvient-il. 

Ces états de service professionnel sont reconnus par l’AFP, mais aussi par l’agence de photo européenne EPA avec laquelle il travaille aussi régulièrement. Il couvrira 60 opérations militaires contre les Talibans et les combattants du groupe jihadiste Etat Islamique. Il échappe de peu, à plusieurs reprises, à des embuscades et à des attentats. Il voit mourir ses collègues. La guerre est son terrain de reportage permanent.

A la maison, ses enfants grandissent et son fils aîné le questionne beaucoup. "Mon fils entend les tirs, les explosions et quand je rentre à la maison, il veut savoir ce qu'il s’est passé, combien de personnes ont été tuées ce jour-là. Vous savez, quand mes enfants partaient à l’école, leur maman, en les voyant s’éloigner de la maison, ne savait pas s’ils allaient rentrer. Kidnapping, explosions, la pression était forte. Depuis notre arrivée en France, nous avons beaucoup parlé en famille. Mon épouse est très contente et moi, je continue à dire à mes enfants que pour réussir, il faut étudier. Il y a une différence ici : nous sommes dans un pays où les gens aiment la vie. Je suis sûr que l’avenir de mes enfants s’éclaire."

Marqué à jamais

Jamais Noorullah n’a envisagé de quitter son pays avant ce 15 août 2021. "En tout cas pas pour longtemps, précise-t-il. En Afghanistan, j’étais très occupé. Le journalisme, c’est un partage, le partage de la vérité. J’étais beaucoup avec les familles, les victimes de la guerre. Je partageais leurs situations avec le monde entier. J’ai essayé de dire au monde ce qu’était la vie en Afghanistan. Les Afghans ont aussi le droit de vivre dans la facilité. Nous n’avons pas suffisamment d’écoles pour accueillir les enfants. Ce sont les élèves qui, souvent, ont sur leur dos le tableau et les tapis pour pouvoir installer, à même le sol, la classe". Et il reprend avec force. "Je rappelle au monde qu’un groupe de Taliban a tout arrêté. Les femmes n’ont plus aucun droit, les filles ne vont plus à l’école. 80% de la population n’a plus a mangé. Les Talibans arrêtent les journalistes. Regardez ce qui se passe là-bas".

En 2019, Noorullah vient pour la première fois en France. Son reportage "Une famille d’amputés tente de se reconstruire en Afghanistan" est récompensé par la Fondation Varenne. Le journaliste afghan gagne le Grand Prix dans la catégorie internationale. Il n’imagine pas que quatre ans plus tard, il s’installera pour longtemps dans l'hexagone.

Un enfant était là et regardait une tombe. Je me suis approché et lui ai demandé ce qu’il faisait ici. Il m’a répondu: cela fait dix minutes que je suis là et mon papa ne me parle plus. J’ai imaginé mon fils.

Noorullah, journaliste afghan exilé à Reims

Noorullah n’oubliera jamais ceux qu’il a croisés, rencontré un peu plus longtemps, interviewé ou filmé en Afghanistan. Cette famille dont les sept enfants ont perdu au moins un membre dans l’explosion d’une roquette non désamorcée. Ou encore cette maman qui perd le même jour, lors d'une attaque des Taliban, ses trois fils policiers. "Ce jour-là, j’ai pleuré."

Et il pleure encore, aujourd’hui, lorsqu’il raconte l’attaque suicide dont a été victime la population venue défendre ses droits lors d’une manifestation. "80 personnes ont été tuées. J’y suis allé pour faire un reportage et j’y suis retourné aussi le jour d’après pour comprendre avec les familles ce qui c’était passé. Là, je vois un nouveau cimetière où sont enterrées les 80 personnes. Un enfant était là et regardait une tombe. Je me suis approché et lui ai demandé ce qu’il faisait ici. Il m’a répondu : cela fait dix minutes que je suis là et mon papa ne me parle plus. J’ai imaginé mon fils, dit-il en se masquant le visage, en pleurs. C’était ma responsabilité de raconter la vérité."

Le risque a fait partie de sa vie pendant 34 ans. Aujourd’hui cette insécurité plane toujours sur sa famille là-bas, au pays. En danger de mort. "Les Taliban sont déjà venus interroger mon frère de 16 ans. Ils me cherchent, ont fouillé dans son téléphone. J’ai peur pour eux". Mais Noorullah refuse de témoigner anonymement. "Je suis juste un journaliste. J’ai fait mon travail. Ce n’est pas normal, ils n’ont pas le droit de faire ça. Il faut le dire."

Un jour, il les retrouvera. C’est un de ses objectifs comme celui de voir sa femme libre, ses enfants heureux, améliorer encore son français et bien sûr reprendre son métier. "J’aime être journaliste. J’aime être un journaliste libre."

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