A l’occasion de la journée de lutte contre les violences faites aux femmes, l’association Solidarité Femmes et la ville de Troyes ont inauguré l’exposition d’ une vingtaine de photographies puissantes réalisées par Marc Melki et extraites de son projet . Ces clichés à messages évoquent le jour où tout a basculé et les a fait quitter leur conjoint. Certaines victimes se cachent derrière leur témoignage, d’autres sont incarnées par des personnalités.
“Rends-moi mon fusil, je vais t’étrangler. Il grogne, hurle à m’en faire tomber. À 6 ans, terrorisée, elle fait ses valises. Je veux partir de cette maison”. Ces mots qui racontent la fois de trop, le moment où elle a pu dire stop à un conjoint devenu violent, Mia (prénom d’emprunt) ne les regrette pas, même si elle est toujours sous ordonnance de protection et vit cachée depuis plusieurs années. “Il faut énormément de forces pour partir, abandonner sa maison et reprendre une vie sociale. C'est compliqué mais indispensable de vivre tout le temps caché. Ma fille et moi ne pouvons-nous autoriser aucune présence sur les réseaux sociaux par exemple.”
Troyenne d’adoption, Mia connaît le photographe et activiste Marc Melki depuis longtemps et c’est elle qui a eu l’idée d’une déclinaison locale de ses photos nationales dans l’Aube, il y a un peu plus d’un an. Pour dire sa vérité, c’est la policière Flavie Salinas qui a posé. Et quand Mia en a parlé autour d’elle, une amie lui a aussi “balancé son histoire” et a voulu témoigner.
Une campagne pour atteindre plus de monde
L’idée était forte mais restée un peu confidentielle l’an dernier, avec des portraits présentés lors d’une manifestation et dans l’enceinte de la préfecture. Cette année, la ville de Troyes et l’Etat ont financé l’impression d’une vingtaine de photographies percutantes, choisies parmi les 83 que Marc Melki a réalisées.
“Les photos de Marc Melki sont de véritables coups de poing, elles valent mieux que de longs discours“ lance Armelle Courtois, la présidente de Solidarité Femme Aube. “Il a vraiment pris le temps de recevoir les victimes et de les écouter. Il a fait poser des personnalités nationales comme Bruno Solo ou locales comme Benjamin Nivet ou Anne-Claire et Laurent Vittenet.” Selon la présidente, ces photos permettent de “prendre conscience de la difficile reconstruction, de la perte d’estime de soi, des troubles générés chez les enfants.”
L’ensemble des photographies est affiché cette semaine sur les grilles du Centre municipal d’action sociale. “C’est un lieu stratégique pour sensibiliser à ces messages” affirme Céline Blott, la directrice du centre. “Nous accueillons en priorité des familles, des mamans avec enfants.” Une affiche rassemblant les portraits sera également apposée dans chaque maison de quartier intergénérationnelle. Et certains clichés sont aussi présents sur les panneaux d’affichage Decaux ou numériques ainsi que dans les vitrines de commerces.
Pour ceux qui ont porté la parole de victimes, le combat est plus qu’une évidence. “C’est un devoir de témoigner” explique l’ancien joueur de l’Estac Benjamin Nivet. La rencontre avec Marc Melki m'a bouleversé. “Je voudrais aussi changer l’image de la police face à ce sujet” précise la policière Flavie Salinas. Même s’il y a encore des collègues hommes ou femmes qui ne sont pas convaincus de l’utilité de se battre, je veux dire que nous faisons de plus en plus d’efforts pour être plus abordables, mieux accueillir les victimes.”
Vers une prise de conscience de l’opinion
“La lutte contre les violences faites aux femmes est cruciale en France et particulièrement dans l’Aube” insiste Armelle Courtois lors de l’inauguration. En 2023, 93 femmes ont été victimes de féminicides en France et 16% seulement des femmes victimes portent plainte. “Les témoignages pleuvent et pourtant la parole reste encore invisibilisée” commente-t-elle. Deux affaires particulièrement fortes cette année devraient provoquer une prise de conscience plus générale, la mise en cause de l’Abbé Pierre et le procès de Dominique Pélicot qui a prostitué sa femme par la soumission chimique. Cela a mis en évidence la culture systémique du viol jusqu’ici insuffisamment identifiée par l’opinion. On va peut-être pouvoir passer de la présomption de consentement à l’indisponibilité du corps.”
Un problème crucial dans l’Aube qui suscite des efforts
S’il est difficile de préciser le nombre de féminicides à l’échelle locale, l’Etat et la ville de Troyes savent combien le sujet des violences faites aux femmes est prégnant localement. “Dans l’Aube, il y a 3 ou 4 interventions par jour des forces de l’ordre à ce sujet en milieu rural comme en ville.”, relate le Préfet Pascal Courtade. “Nous avons déployé beaucoup d’efforts en mettant en place le dispositif de téléphone grave danger par exemple. 48 personnes en bénéficient actuellement. Nous n’y arriverons qu’au prix d’un effort collectif cependant. Ce doit être le sujet de tout le monde.”
Pour faire face de son côté, la ville de Troyes a ouvert un lieu refuge en novembre 2023, “une belle maison tenue secrète dans laquelle elle met à l’abri 24H sur 24 et prend le relais des sites d’urgence” explique le maire adjoint chargé des affaires sociales Marc Bret. “ 8 femmes et 12 enfants y ont été accueillis depuis l’ouverture pour une durée moyenne de 39 jours.
La ville prévoit aussi d’ouvrir d’ici fin 2025 début 2026 une Maison des Femmes qui regroupera toutes les associations et les structures ressources. Pour ce faire, l’Hôpital Simone Veil a mis à disposition un local qui va faire l’objet de 700 000 euros de travaux.
Quelles autres pistes de solutions et de lutte ?
Au-delà de la sensibilisation photographique, il y a d’autres pistes d’amélioration et de vigilance du côté des citoyens. “Comme Marc Melki le photographe, les hommes ont aussi à assumer cette lutte, affirme Armelle Courtois. “Sans eux, on n’y arrivera pas.” L’artiste, qui se présente aussi comme un activiste demande “une protection immédiate, inconditionnelle et durable pour les femmes en danger dès le premier signalement.” Il milite également pour que l’on ne sépare pas les enfants de leur parent protecteur.
Pour la Procureur adjointe Charlène Mahot, “beaucoup a été fait depuis le Grenelle des Violences conjugales en 2019. Le téléphone grave danger, les bracelets antirapprochement. Des mesures de prises en charge psychologiques sont ordonnées dès qu’un signalement est fait par exemple. Mais il faut continuer de ne pas fermer les yeux quand une personne crie sur quelqu’un d’autre dans la rue. Et surtout si on veut que les violences disparaissent, il faut apprendre à nos enfants à mieux se comporter : on ne parle jamais mal à sa mère, ni à une femme d’ailleurs.”
La lutte contre les violences faites aux femmes sera au cœur de nombreux événements cette semaine d’un ciné débat ce lundi 25 à 19H autour du consentement à l’inauguration des nouveaux locaux de Solidarités Femmes 7 passage Hugues de Payns à Troyes vendredi 29 novembre.