Une enquête préliminaire a été ouverte par le parquet de Blois après des soupçons de détournement de fonds publics. En cause : la reconversion d'un terrain de près de 10 000m² vendu 80 000 € à un promoteur immobilier alors que 4,8 millions d'euros d'argent public y avaient été investis sur 10 ans.
Peut-on vendre pour quelques dizaines de milliers d'euros un terrain qui en a englouti près de 5 millions d'argent public ? Selon les informations de France 3, une enquête préliminaire a été ouverte en septembre 2023 par le parquet de Blois, à la suite d'un signalement de l'association anticorruption Anticor pour des faits pouvant constituer, aux yeux de l'association, un détournement de fonds publics.
En cause : le chantier de requalification de l'ancien hôpital psychiatrique de Blois, un serpent de mer avec lequel se débat la vill depuis 2008. L'entreprise, confiée à une société d'économie mixte, a en effet largement dépassé ses budgets initiaux, et aura coûté à la collectivité près de 4,8 millions d'euros entre 2012 et 2022. Or, plusieurs documents semblent attester que la majeure partie du terrain a été ensuite cédée à bas prix au profit d'un promoteur immobilier.
Une opération coûteuse pour les comptes publics
Tout commence en 2008, comme l'indique la rubrique du site web de la ville de Blois dédiée aux "grands projets". Cette année-là, l'hôpital psychiatrique, en service depuis les années 1960, est désaffecté. La ville fait alors l'acquisition, pour 330 000 euros, du terrain de 11 000 m² où se trouve l'hôpital psychiatrique, et entreprend de recovertir cette surface.
Elle confie en 2010 à la société d'économie mixte (SEM) 3 Vals Aménagement le soin, justement, de l'aménager, et le conseil municipal lui cède gratuitement le terrain correspondant à l'hôpital psychiatrique en avril 2011.
Cette concession d'aménagement doit d'abord courir sur six années, mais elle se verra ajouter huit avenants qui en étendront la durée jusqu'en 2024. Sur cette période, selon un extrait du registre des délibérations du conseil municipal que s'est procuré France 3, cette concession aura coûté à la Ville pas moins de 4,8 millions d'euros, dont plus d'un million d'euros affecté aux fouilles archéologiques préventives, et 1,466 million d'euros aux opérations de démolition et de désiamantage. Dans le contrat d'origine, selon le signalement d'Anticor, la participation de la ville devait se limiter à 2,827 millions d'euros.
Des surcoûts liés aux fouilles... et aux recours des opposants
En réalité, "la concession initiale porte sur un montant de 3,574 millions d'euros, dont 2,296 millions d'euros hors taxe (soit 2,755 millions d'euros TTC) de travaux", précise la Ville de Blois, jointe par France 3 Centre-Val de Loire. "Il n'a jamais été question d'une concession à 2,8 millions d'euros."
En revanche, la Ville reconnaît des surcoûts. Outre les fouilles et le désamiantage, le projet a souffert de "recours à répétition sur les autorisations d'urbanisme délivrées", soit "4 ans de procédures sur le programme d'Initio et un recours grâcieux sur le permis de construire délivré à la SCCV Clérancerie ayant fait perdre du temps" et entraînant des prolongations de la concession, car les opérateurs aménageurs n'engagent leur programme qu'une fois tous les recours éventuels levés. La Ville avance également le soin apporté au coût de sortie du programme par rapport au marché immobilier et ses obligations contractuelles envers la SEM.
Au regard des difficultés de reconversion d’un site aussi complexe en tissu urbain constitué, la participation de la puissance publique peut s’expliquer. [...] Il est certainement plus simple et moins coûteux de créer un lotissement en sortie de ville sur terrain nu mais, à l’heure du zéro artificialisation nette, la priorité va à la transformation des espaces déjà urbanisés et ce, en dépit des multiples contraintes réglementaires
Ville de Blois
Enfin, les recettes de la concession ont été revues à la baisse en même temps que le nombre de logements créés par le programme, "de 43 à 14, impactant inévitablement la valorisation du terrain cessible", explique la Ville.
Était-il possible de vendre plus cher ?
En plus de ces retards et surcoûts, le fait que la SEM 3 Vals Aménagement ait à son tour cédé l'essentiel de sa parcelle, soit 9058m², à un promoteur immobilier, pour le prix dérisoire de 80 000 euros. Autrement dit, elle a donc vendu à 8€ par mètre carré un terrain dans lequel le conseil municipal a englouti près d'un demi-million d'euros par an pendant une décennie. Le tout dans un quartier protégé par l'UNESCO et qui côtoie le prestigieux hôtel 5 étoiles Fleur de Loire.
L'acquéreur de cet îlot est la société civile de construction immobilière (SCCV) Blois Clérancerie, co-gérée par le promoteur immobilier Initio et par la SEM 3 Vals Aménagement. Initio a pour projet de faire construire 14 maisons individuelles sur ce terrain, des maisons dont il aura ensuite vocation à tirer profit.
Il n'est pas forcément illégal, en théorie, de vendre un bien immobilier à un prix inférieur à sa valeur réelle, mais cela doit se faire sur autorisation d'une juridiction administrative et à deux conditions. "D'une part", note Anticor dans son signalement, "il doit exister un intérêt général suffisant et d'autre part, la personne morale de droit public doit recevoir des contreparties suffisantes".
Selon l'association, et sur la base des compte rendus de délibération du conseil municipal, la vente à très bas prix de ce terrain réhabilité par la Ville à grands frais, et qui sera par la suite exploité par un acteur privé "sans contrepartie", n'a pas été motivée. Et le fait qu'elle ait pourtant été votée en conseil municipal, et donc entérinée, interroge Anticor.
"Le prix de cession de 80 000 euros hors taxe a été calibré pour permettre la sortie d'un programme de 14 maisons de ville compatible avec un prix de marché de 3550 euros TTC par mètre carré", répond la Ville de Blois. "Le prix d'acquisition du terrain est la résultante du jeu entre les dépenses et les recettes d'une opération de construction."
La mairie pointe également la hausse prix de constructions, les fortes contraintes administratives et les spécificités de ce terrain complexe. Elle estime ainsi que le promoteur ne peut ni "forcer ses recettes en augmentant les prix de vente sur le marché blésois qui est peu tendu", ni "revoir à la baisse sa marge sans quoi le projet ne sera pas financé par les organismes bancaires".
Désormais, les enquêteurs disposent d'un délai maximal de deux ans pour rendre un rapport à la procureure de la République sur ce dossier. C'est à la magistrate qu'il appartiendra ensuite de décider s'il y a lieu de classer l'affaire sans suite ou au contraire d'ouvrir une information judiciaire.