La préfecture dit "en Loir-et-Cher", mais Michel Delpech préfère "dans le Loir-et-Cher". Faut-il plutôt dire "en Centre-Val de Loire" ou "dans le Centre-Val de Loire" ? Pourquoi "en Indre-et-Loire" mais "dans l'Indre" ? Y a-t-il une règle suprême à respecter absolument ? France 3 vous explique tout.
"Ma famille habite dans le Loir-et-Cher", chantait Michel Delpech dans le premier couplet de sa bien nommée chanson Loir-et-Cher, en 1977. Mais si on demande à la préfecture, au conseil départemental, à l'office du tourisme, l'on vous dira que vous vous trouvez "en Loir-et-Cher".
Débat sémantique de prime importance s'il en est. Mais la question se pose : qui a raison, et qui a tort ? Les partisans de dans ou de en ?
La fracture entre les deux se constate même sur le bitume, selon que vous arrivez dans le département depuis l'autoroute ou depuis la route départementale. "Département de Loir-et-Cher", nous dit le panneau du conseil départemental entre Beaugency et Mer. "Département du Loir-et-Cher", est-il écrit le long de l'autoroute A10.
Merci la géographie
Selon le dictionnaire de l'Académie française, il n'y a aucun débat : les "noms de département français formés de deux termes coordonnés par et [...] s'emploient avec la préposition en et sans article". Et seulement dans ce cas. Il faudrait, donc, toujours dire "en Loir-et-Cher", et pas "dans le". Et toc Michel Delpech. Cela explique aussi pourquoi l'on dit "en Indre-et-Loire", mais "dans l'Indre". Mais est-ce vraiment une règle immuable ?
Selon l'Académie française, il faudrait dire "dans la Charente". Mais la préfecture de La Rochelle préfère "en Charente". Même chose pour "en Savoie", "en Haute-Saône" ou "en Seine-Maritime". En somme, la règle ne semble pas si rigide que ce que les Immortels veulent vous faire croire. Et beaucoup dépend de la bonne volonté et de l'habitude du locuteur.
Mais comment tel ou tel usage prend-il le dessus sur l'autre ? "Il y a une concurrence depuis longtemps entre en et dans. En est devenu minoritaire dans les emplois spatiaux", explique Anne Abeillé, linguiste, codirectrice de La Grande Grammaire du français et coautrice du tract Le français va très bien, merci. Elle note que "en se maintient grâce à ses usages géographiques".
L'emploi de "en", signe d'une "prise de pouvoir locale"
En, plus ancien, vient directement du latin, quand dans "est apparu au Moyen-Âge". Selon la linguiste, en revêt une allure "archaïsante", et donne un caractère institutionnel :
L'emploi de "en" s'est maintenu pour les provinces, puis pour les régions. Maintenant, il est promu par les institutions.
Anne Abeillé, linguiste
Une façon de conférer "du prestige, de la grandeur". Comme lorsque vous obtenez un rendez-vous "en mairie" ou "en préfecture".
En s'est ainsi généralisé pour parler des régions. En Bourgogne, en Auvergne, en Alsace. Et c'est toujours le cas avec les nouvelles régions, y compris quand elles sont au masculin : en Grand Est, et... en Centre-Val de Loire ! Pourtant, certains disent aussi encore "dans le Centre-Val de Loire". Héritage, peut-être, de l'ancien nom de la région, le Centre. Tout court. Et pour lequel un choix s'opérait : dire "dans le Centre", ou "en région Centre". "En faire un nom composé a certainement aidé au retour de en", estime Anne Abeillé.
Les anciennes provinces masculines peuvent d'ailleurs encore être introduites par en, comme le Berry. Si de nombreux locuteurs choisissent de dire "dans le Berry", d'autres l'évitent. En particulier, encore une fois, les institutions. Sur le site de Berry Province, marque touristique promue par l'Indre, le Cher et la région, il est écrit : "Bienvenue en Berry".
Après s'être imposé aux régions à leur création, en 1970, en s'est étendu aux départements. "Avec la décentralisation, les territoires veulent se donner de la grandeur, note la linguiste. L'usage de en est lié à une prise de pouvoir locale."
Cette langue-là ne fait pas de manières
Un article de Danielle Leeman et Achille Falaise, paru dans Langages en 2017, s'attarde sur "Les prépositions devant les noms de région et de département français". Sur leur corpus étudié, les auteurs constatent que dans introduit un département féminin dans 80% des cas en 1940, mais que son usage ne cesse de décliner. En devient majoritaire dans les années 2000.
Pour les départements masculins en revanche, l'usage reste très majoritairement au dans. Sauf, selon l'article, pour un seul département de l'Hexagone : le Loir-et-Cher.
Alors, finalement, qui a raison ? Les partisans de dans ou de en ? "Les deux ! On peut dire les deux, c'est l'usage qui a raison", lance Anne Abeillé. Car le français est une langue mouvante, changeante, au fil des usages. La préfecture de Loir-et-Cher avait donc raison. Mais Michel Delpech aussi.