Les artistes sont privés de scène parfois depuis le mois de mars. Si une réouverture des théâtres est envisagée pour le 15 décembre, les acteurs du spectacle vivant restent inquiets. Quant aux concerts de musique actuelle, il faudra encore patienter. Témoignages dans le Loir-et-Cher.
La réouverture des théâtres le 15 décembre est une bonne nouvelle, mais je reste prudent
Jusqu'aux annonces présidentielles de ce mardi 24 novembre, Jean -Jacques Adam, directeur du seul théâtre privé du Loir-et-Cher était très remonté. " Nous n'avons eu aucun cluster dans les théâtres et les cinémas. C'est ridicule", enrageait Jean-Jacques Adam il y a encore quelques jours.
" On commençait à retrouver notre public fin octobre. Les gens venaient avec le masque et on vérifiait qu'ils le gardaient tout le temps. Y avait tout pour ne pas l'attraper."
Le théâtre Monsabré est le seul théâtre privé du Loir-et-Cher. Situé dans la cour d'une école privée catholique, il peut accueillir 240 personnes en même temps et propose des one man shows, des pièces de boulevard et des concerts. En moyenne, deux ou trois spectacles par semaine y sont donnés et le théâtre accueille environ 8000 personnes par an.
A l'annonce possible de réouverture le 15 décembre, Jean-Jacques Adam retrouve le sourire mais reste prudent : " C'est plutôt une bonne nouvelle qui nous redonne de l'espoir. On ouvrira le 16 décembre avec une jauge de 160 places au lieu de 25O. Peut-être que les gens vont revenir plus vite qu'après le premier confinement."
Des spectacles oui, mais pas après 21 heures
Une déception quand même, l'annonce ce jeudi 26 novembre de Roselyne Bachelot : " Les projections [de cinéma] et les spectacles devront se terminer à 21H00, les gens pourront rentrer sereinement chez eux avec leur billet, servant de sauf-conduit ou preuve [justificatif en temps de couvre-feu] mais il n'y aura pas de souplesse sur l'heure de fin du spectacle : opéra, théâtre ou cinéma", a précisé la ministre de la culture.
Réaction du propriétaire du théâtre Monsabré : "Ils changent d'avis toutes les cinq minutes. C'est n'importe quoi ! Du coup je ne pourrai proposer qu'un spectacle le samedi soir à 19h. Les autres jours c'est impossible. Les gens ne peuvent pas être au théâtre à cette heure-là. Ils ont essayé à Paris ça n'a pas marché alors ici..."
Une année 2021 catastrophique en perspective pour les musiques actuelles et l'évenementiel
Roselyne Bachelot n'a toujours pas dit un mot au sujet des concerts de musiques actuelles. Les concerts debout sont toujours interdits. Alors les professionnels de l'événementiel lancent des projets pour tenir le coup, au moins moralement. C'est le cas Pascal Rey à Cour-Cheverny qui est tristement lucide. L'annonce du président Emmanuel Macron de mardi 24 novembre de rouvrir les théâtres ne va rien changer pour sa profession :
" Le 15 décembre, les gens vont aller acheter des cadeaux. Pour les salons, les concerts, les événements, tout est annulé pour nous jusqu'à fin 2021. Donc il faut bien qu'on retrouve un peu de plaisir à monter des projets ensemble avec les artistes et les techniciens même si on ne gagne rien. Au moins cela nous aide moralement".
Ce mercredi 25 novembre, le patron d'Audio Espace inaugurait avec son équipe de techniciens son Labo : un studio avec 70 projecteurs et un écran Led de 15 mètres de large d'où vont être diffusés des concerts d'artistes locaux en streaming.
"L'idée c'est d'aider les artistes à faire leur promotion pendant le confinement mais aussi de refaire travailler les techniciens qui ont le moral au plus bas après neuf mois d'arrêt ".
Ce n'est pas parce que les théâtres et les cinémas vont rouvrir le 15 décembre que nous allons tous retravailler
Des techniciens et des artistes bénévoles pour continuer à se former pendant le confinement
Dans le Labo, ce mercredi soir, une dizaine de techniciens ont assuré gratuitement la captation et la diffusion sur les réseaux sociaux du concert d'Antoine Garrel, DJ et percussionniste originaire d'Amboise. Tous ici sont venus donner un coup de main pour ce projet et surtout remettre la main à la pâte après tous ces mois d'arrêt.
Quentin Eraud est technicien polyvalent son, images, lumière : " Ça fait du bien de retrouver les collègues. Quand on est habitué au monde de la nuit, être confiné chez soi c'est dur. Là on retrouve l'ambiance des spectacles, l'adrénaline, les petites galères de dernière minute. C'est aussi pour ça qu'on fait ce métier", confie le jeune homme enthousiaste.
Les concerts sont retransmis sur la chaîne Twitch de l'artiste et sur la chaîne You tube d'Audio Espace. Les captations se feront tous les mercredis et les vendredis soir de 19h30 à 20h30 jusqu'au mois de mars.
"C'est aussi une bonne façon de continuer à se former. Si on arrête pendant trop longtemps dans nos métiers, on perd la main et on pourrait être largués sur les nouvelles technologies qui évoluent tout le temps", confie le patron d'Audio Espace.
Concert d'Antoine Garrel retransmis en diret sur la chaîne Twitch de l'artiste et en rediffusion sur la chaîne YouTube d'Audio Espace :
J'ai souvent pensé à arrêter. Ce métier est déjà très difficile en temps normal. Alors là, quand on est privé de scène, c'est franchement insupportable.
Pas une seule scène depuis le 15 mars. " Normalement on fait 50 dates par an avec le JukeBox de Luxe. Là , nous n'avons rien eu depuis le 15 mars. Si j'ai fait ce métier, c'est pour être sur scène. Quand on en est privé aussi longtemps, c'est comme si on était privé de notre oxygène", confie Gabriel Bourgeois-About, musicien et professeur de musique indépendant à Authon dans le Loir-et-Cher.
Il a créé son école de musique, la Grooverie, il y a sept ans. " J'ai une trentaine d'élèves que je ne peux plus recevoir chez moi. Je leur donne quelques cours par webcam mais ce n'est quand même pas pareil".
Depuis le début de cette crise, il a souvent pensé à arrêter : " Pour moi qui ai monté mon école et mon orchestre, c'est sûr que je ne compte pas mes heures. C'était déjà dur avant mais là on se demande pourquoi continuer. Alors on esaie de se remonter le moral et de se dire que ça ne va pas durer. "
En attendant de retrouver son public et ses élèves, Gabriel s'occupe avec son duo Velouté comme ici pendant le premier confinement : "Coverfinement : Don't you worry 'bout a thing - Stevie Wonder"
La Ben Compagnie continue de répéter à l'espace Quinière à Blois
Pour les petites compagnies de théâtre associatives, l'adaptation est le maître-mot. "Je passe ma vie à faire et à défaire", nous explique Emile Kerautret, responsable administrative de la Ben Compagnie à Blois. "L'important est surtout de ne pas annuler de dates mais de les reporter. C'est primordiale pour que notre compagnie survive. Et c'est essentiel pour les comédiens intermittents avec qui on travaille. Il faut les soutenir psychologiquement aussi."
Avec les 15 comédiens intermittents de la compagnie associative, la Ben Compagnie intervient dans les écoles de quartier, propose des spectacles originaux pour le Jeune public mais aussi des créations pour les adultes.
Benjamin Kerautret est le directeur artistique de la Ben Compagnie : "On devait jouer Cyrano Bergerac à la Maison de la Magie à Blois. Heureusement on a réussi à reporter. Mais combien de temps cela va-t-il durer ? Nous, les intermittents, nous tenons parce que nous avons jusqu'au 31 août 2021 pour faire nos heures pour garder nos droits. Mais encore faut-il que les tournées reprennent pour qu'on puisse faire nos heures."
Bonne nouvelle quand même. Pendant ce deuxième confinement, les comédiens ont le droit de répéter, ce qui leur permet de générer des heures mais aussi de travailler plus vite.
Benjamin Kerautret en profite pour avancer sur le nouveau projet de la Ben Compagnie : une nouvelle version de L'Illiade et l'Odyssée d'Homère destinée au Jeune public qui doit se jouer en janvier. Un travail sur table qu'il réalise avec Caroline Guisset, comédienne intermittente et premier rôle de la pièce.
"On a commencé par webcam. Là, c'est beaucoup mieux de pouvoir se voir. Répéter c'est faire et refaire. C'est changer d'intentions. Ce qui est très compliqué à distance", confie la comédienne.
Grâce à ces répétitions, elle peut engrenger des heures pour alimenter son statut d'intermittente.
"Je suis confiante. Les compagnies reprogramment pour le printemps et l'été. On s'adapte. On n'a pas le choix."
Reportage de Marine Rondonnier, Sanaa Hasnaoui et Céline Girardeau tourné mercredi 25 novembre dans le Labo d'Audio Espace à Cour-Cheverny :