Témoignages. Trois ans après avoir fui l'Afghanistan, Liza et Jamidullah racontent leur parcours d'intégration dans la France rurale

Publié le Écrit par Marine Rondonnier
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Depuis trois ans, l'association pour l'accueil solidaire des migrants en Val de Cher ( ASMVC) composée d'une cinquantaine de bénévoles aide les réfugiés hébergés par le CADA à comprendre les codes français et à se retrouver dans le labyrinthe administratif. Histoire d'une association d'aide aux migrants en milieu rural dans le Loir-et-Cher à travers le récit de deux réfugiés afghans : Jamidullah Shinwari et Liza Karimi.

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Ils ont chacun une énergie débordante et une envie à toute épreuve d'intégrer les codes français. Jamidullah Shinwari et Liza Karimi vivent à Saint-Aignan, petite commune de 2800 habitants dans le Loir-et-Cher connue pour son Zoo de Beauval. D'abord en Centre d'accueil pour demandeurs d'asile et désormais chacun dans un logement individuel. 

Jamidullah Shinwari était journaliste en Afghanistan quand il a dû fuir son pays. "Je suis parti à pied le 15 août 2021 quand le gouvernement est tombé, quand les Talibans ont pris le pouvoir". Le jeune homme travaillait alors pour deux ONG spécialisées dans le droit des femmes et des enfants. Il s'est retrouvé fiché par les Talibans et sa vie était menacée. Il n'a eu d'autre choix que de partir. "J'ai marché pendant dix mois. Je suis passé par l'Iran, Turquie, la Bulgarie, la Serbie puis l'Italie jusqu'à Nice puis Paris."

Sur la route de l'exil

Liza Karimi, elle, a pu partir avec la procédure d'évacuation fin août 2021 en avion. "J'ai eu cette chance de pouvoir partir avec mes deux enfants qui avaient 3 ans et 8 ans. En trois jours, j'étais à Paris où j'ai dormi à l'hôtel pendant un mois."  Elle est ensuite envoyée en train au CADA de Saint-Aignan dans le Loir-et-Cher

J'ai toujours vécu dans des grandes villes. Quand je suis arrivée, j'étais un peu perdue. Je pensais que je n'étais pas vraiment en France. Je n'ai pas mangé pendant deux jours parce que je ne savais pas où était le marché et sans parler français c'était compliqué  

Liza Karimi, réfugiée afghane

Quand il arrive en France, Jamidullah parle pachtoune et anglais, mais comme Liza, il ne parle pas un mot de français. Comme il n'a pu être pris en charge par le programme d'évacuation, l'arrivée jusqu'à Saint-Aignan a été plus longue. "J'avais 70 centimes en poche et ne savais pas du tout comment demander l'asile."

En région parisienne, après avoir dormi deux nuits sous un pont, il se rend dans une préfecture et récupère une carte pour les demandeurs d'asile avec 200 euros dessus. De quoi payer un billet de train pour Blois et vivre pendant deux semaines en attendant d'avoir une place au centre d'accueil de demandeurs d'asile de Saint-Aignan. "C'était le 13 août 2022. Ma priorité était d'apprendre le français pour rester en France." L'assistante sociale lui répond qu'en plein mois d'août, c'est impossible. "C'est là que j'ai rencontré les gens de l'association ASMVC qui m'ont beaucoup aidé".

Premiers contacts et premiers coups de pouce

Il se souvient que le président de l'association pour l'accueil solidaire des migrants en Val de cher, Dominique Bailleul, lui a donné un téléphone en lui disant de commencer par apprendre avec des applications, puis Annie, une bénévole, lui a donné des cours de français. 

"Annie a été ma première professeure de français. C'est grâce à son aide qu'aujourd'hui j'étudie le français à l'Université de Tours', confie Jamidullah, très reconnaissant. 

"Au départ, il y avait beaucoup d'Afghans qui résidaient au CADA de Saint-Aignan", raconte Dominique Bailleul, président de l'ASMVC. "On s'est dit qu'il fallait les aider à comprendre les codes de notre pays et à apprendre la langue rapidement". 

À Saint-Aignan, le CADA, centre d'accueil pour demandeurs d'asile, peut accueillir jusqu'à 60 personnes. Face à l'ampleur des besoins du public accueilli, Dominique Bailleul et quelques habitants de la commune créent l'association pour l'accueil solidaire des migrants en Val de Cher, l'ASMVC pour "se rendre utiles et apporter nos compétences à notre niveau".

La première rencontre entre Liza et les bénévoles de l'association se fait peu de temps après son arrivée. "J'avais rendez-vous avec l'OFPRA (Office français de protection des réfugiés et des apatrides, Ndlr) et l'assistante sociale du CADA m'a dit que je ne pouvais pas venir avec mes enfants. Je ne connaissais personne. Alors Annie, une bénévole de l'association, me les a gardés. Notre histoire a commencé comme ça," raconte la jeune femme. "Ensuite, elle m'a donné des cours de français. "

Comme Jamidullah, apprendre la langue est une obsession. Elle y consacre tout son temps disponible quand les enfants sont à l'école. "Je ne faisais que ça", se souvient-elle dans un français parfait. 

Main dans la main avec le CADA

Depuis son arrivée à la tête du CADA de Saint-Aignan en mars 2023, Magalie Gaucher travaille main dans la main avec l'association pour l'accueil solidaire des migrants en Val de Cher. "Les bénévoles de l'ASMVC sont très soutenants. Ils assurent l'accompagnement de l'apprentissage du français en donnant des cours de français, mais aussi en organisant des activités socioculturelles", raconte-t-elle.

Ils sont aussi d'une grande aide pour les transports. En milieu rural, les déplacements sont très compliqués. Il y a moins de bus que dans les grandes villes. Ils répondent présents pour accompagner les résidents aux rendez-vous médicaux ou à des stages.

Magalie Gaucher, directrice du CADA de Saint-Aignan

Mais le plus important pour la directrice du CADA est le rôle de médiateur des bénévoles de l'association. "Ils créent du lien social et donnent un sentiment d'appartenance à une communauté à nos résidents. Ils nous aident à sécuriser leur parcours. C'est essentiel pour leur insertion sociale.

Après le CADA, l'adaptation au nouveau quotidien

Une fois que les demandeurs d'asile obtiennent leur statut de réfugiés, ils disposent de six mois pour trouver un logement. L'association de Saint-Aignan continue son accompagnement, notamment pour les démarches administratives. "C'est très compliqué de comprendre comment ça marche et surtout ce qui bloque", confie Jamidullah.

"C'est devenu une grosse partie de nos missions", confirme Dominique Bailleul, le président de l'ASMVC. "Une fois qu'ils sont sortis du CADA, on continue à les accompagner pour s'en sortir dans les démarches administratives, le compteur d'eau et d'électricité, le courrier de la Caf ou de la MSA. Notre assistance a changé. On est plus sur un suivi au quotidien avec une administration compliquée."

Encore aujourd'hui, les bénévoles devenus les amis de Liza l'aident au quotidien. Elle parle d'eux comme des membres de sa famille. "En ce moment, je passe mon permis et après mes 22 heures de conduite, Annie m'aide pour la conduite supervisée". 

Loin des siens

Deux ans et demi après son arrivée en France, Jamidullah parle français couramment. Sa vie quotidienne est un marathon. Il fait l'aller-retour tous les jours entre Saint-Aignan et Tours. Il se lève à 5h tous les matins et rentre à 20h tous les soirs. "Comme j'ai travaillé au zoo de Beauval pendant dix mois, ça m'a ouvert des droits au chômage pour pouvoir étudier. Maintenant, je me bats pour avoir un logement à Tours. J'ai bon espoir."

Le plus difficile pour Jamidullah c'est d'être loin de sa famille depuis trois ans. Quand il aborde le sujet, les larmes coulent naturellement. "Je suis content en France", débute-t-il.

Mais la nuit, quand je me retrouve seul chez moi, la solitude me pèse. Ma mère est restée là-bas. Je l'appelle une fois par semaine. C'est très dur pour elle mais elle me dit toujours qu'elle va bien et du coup moi aussi. Je lui dis qu'ici c'est le paradis pour moi. Ça la rassure. Et c'est bien comme ça

Jamidullah Shinwari, réfugié afghan

Liza souffre moins de l'éloignement. "J'ai été habituée à déménager souvent et ma famille est en Occident : mes parents sont aux États-Unis, mon frère en Angleterre, ma sœur aux Pays-Bas. C'est dur, mais c'est moins difficile que pour beaucoup d'autres réfugiés qui s'inquiètent pour leurs proches et ne peuvent pas aller les voir." 

Jamidullah espère retrouver un emploi de journaliste ou devenir traducteur à l'Ofpra comme Liza qui est aussi traductrice pour plusieurs organismes. Elle parle sept langues et est autoentrepreneuse. Elle travaille à Paris et aimerait s'installer là-bas à terme même si elle se sent chez elle désormais à Saint-Aignan. 

Tous les deux aident à leur tour les réfugiés afghans qui se sont installés dans la commune ou les communes voisines à leur sortie du CADA. "Il y a beaucoup d'Afghans à Saint-Aignan qui ne parlent pas français et qui ne sont jamais allés à l'école. Liza et moi, on est là pour eux pour les aider avec la Caf ou la Préfecture". 

Des passeurs de savoirs et de codes sociaux comme la cinquantaine de bénévoles que compte aujourd'hui l'association solidaire d'aide aux migrants du Val de Cher présents dans trois communes : Saint-Aignan, Noyers-sur-Cher et Montrichard. 

"Nous avons de moins en moins d'Afghans au CADA. Le public est davantage originaire d'Afrique et donc plus francophone. Donc il y a moins de cours de français, mais il y a encore le transfert de codes sociaux. Même si on a la même langue, on n'a pas les mêmes habitudes et c'est important de les expliquer et de les transmettre," conclut Dominique Bailleul, président de l'ASMVC. 

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