Sa période de liberté conditionnelle ayant pris fin en mai 2018, celui qui fut l'un des principaux membres du groupe terroriste Action Directe peut maintenant raconter cette histoire telle qu'il l'a vécue. Dans "Dix ans d'Action Directe" il assume, sans regretter, l'ensemble de ses actes.
A 66 ans, Jean-Marc Rouillan vit aujourd'hui avec le minimum retraite. Preuve selon lui qu'Action Directe n'a jamais dérivé vers le grand banditisme et que les nombreux braquages que ses militants ont commis - qu'ils appelaient des "expropriations financières "- n'ont servi qu'à financer la cause et pas à en mettre "à gauche" pour la suite.
Après le décès de Joëlle Aubron en 2006 et les séquelles dont souffrent ses compagnons de lutte Nathalie Ménigon et Georges Cipriani depuis leur incarcération, il est aujourd'hui le seul parmi le noyau dur des quatre activistes arrêtés à Vitry-aux-Loges (Loiret) en février 1987 capable de s'exprimer. Il a décidé de le faire dans "Dix ans d'Action Directe" (Editions Agone). Dans cet ouvrage de 350 pages écrit en détention, il raconte de l'intérieur la vie d'un mouvement (actif de 1977 à 1987) qui mena un combat comparable à celui que menèrent en Italie les Brigades Rouges ou la Fraction Armée Rouge allemande, au service d'un idéal de révolution prolétarienne.
"Georges Besse ne devait pas être tué"
Au nom de cette cause, ses militants ont commencé par commettre des attentats à l'explosif contre des ministères ou des entreprises avant de s'en prendre à des personnalités comme le général René Audran ou Georges Besse, pionnier du programme nucléaire français et alors patron de la régie Renault. Des actes que Jean-Marc Rouillan assume toujours aujourd'hui tout en constatant que le combat s'est terminé par un échec. "Georges Besse ne devait pas être tué. Tout était prévu pour qu'il soit enlevé et gardé à Vitry-aux-Loges puis à Poitiers. On voulait profiter de ce moment pour mener une campagne contre le néo-libéralisme et les restructurations d'usines. Mais on a pris une décision précipitée que je regrette et qui était une bêtise politique," explique-t-il.Tout en assumant ces erreurs, Jean-Marc Rouillan ne condamne pas pour autant le principe de la lutte armée et accepte d'être considéré comme un terroriste : "Je ne peux pas m'exprimer sur la lutte armée parce qu'avec les textes de loi tels qu'ils sont, je pourrais retourner en prison. Mais oui j'assume le terme "terrorisme." Nous, on a terrorisé ceux qui terrorisent la population, c'est-à-dire la bourgeoisie, les puissants ceux qui exploitent et oppriment. On n'a pas attaqué les gens de la rue dans les bars et les restaurants. On a toujours visé des cibles précises, même si des policiers ont perdu la vie dans ces combats lors de rencontres fortuites. On a mené une guérilla qui est le rapport de violence du faible au fort."
"On ne recevait pas d'argent de Téhéran"
Dans son livre, et dans l'entretien qu'il nous a accordé, Jean-Marc Rouillan n'écarte pas les sujets les plus douloureux et les sujets qui fâchent. Pour la première fois, il s'exprime sur les travaux de l'enquêtrice Dominique Lorentz (Une guerre, Affaires atomiques Edition des Arènes) qui établit que l'assassinat de Georges Besse aurait pu être commandité par l'Iran dont les dirigeants cherchaient alors à faire pression sur la France pour l'obliger à respecter les accords de coopération nucléaire signés entre les deux pays avant la révolution iranienne de 1979."Nous étions totalement autonomes dans le choix de nos cibles. J'ai participé au choix de la cible Georges Besse, le responsable de restructurations qui a mis des dizaines de milliers de personnes à la rue. Personne ne nous a influencés ni infiltrés. Il n'y a aucun doute. On ne recevait pas d'argent de Khadafi ni de Moscou ni de Téhéran. On regarde droit dans les yeux les politiques conspirationnistes."
Aujourd'hui Jean-Marc Rouillan regarde aussi son passé droit dans les yeux, sans faire repentance, sans en tirer de fierté non plus mais avec l'envie d'exprimer son point de vue sur ce moment d'histoire dont il a été l'acteur.
Les Gilets jaunes vus par Jean-Marc Rouillan
"Ce sont des gens qui se mettent en ordre de bataille. Ils sont très contradictoires. Ce sont des gens du peuple. Ils passent des heures pour aller au travail. Ils ont des boulots de merde et au bout d'un moment ça craque. Mais ce ne sont pas des militants politiques. Ils sont dans la première expérience du protestataire. Bientôt ils auront l'expérience nécessaire pour mener des luttes politiques. Peut-être qu'ils vont prendre conscience de la violence du système dans cette lutte."Voici l'entretien avec Jean-Marc Rouillan réalisé le 23 novembre 2018 :