Il n'y a pas de structure qui offre au patient une vision globale de ses problèmes et permette d'avoir une orientation vers des soins spécialisés en ville a constaté l'association Appui santé Loiret. Elle va donc développer une offre d'accompagnement des patients souffrant de covid long. Entretien avec Eric Drahi, le médecin coordonnateur.
- Sait-on combien de personnes sont touchées par le Covid long dans le Loiret ?
Il n'y a pas de recensement aujourd'hui des Covid longs même si un site est en train d'être mis en place à l'initiative du Ministère des Solidarités et de la Santé pour établir un récapitulatif du nombre de personnes touchées. Mais nous pouvons estimer qu'à trois mois, il y a environ 10% des personnes qui ont des symptômes prolongés de la Covid et 3% à six mois. On a aussi, et c'est ce que nous voyons beaucoup à Appui Santé Loiret, des personnes qui ont des symptômes qui remontent à la première vague, c'est-à-dire au Printemps 2020.
A l'échelle du département du Loiret, qui compte 600 000 habitants, nous pouvons approximativement estimer qu'entre 400 et 1 000 personnes souffrent de symptômes prolongés depuis plus de trois mois.
- Comment est venue l'idée d'accompagner des patients qui souffrent de Covid longs ?
Nous faisons déjà de l'éducation thérapeutique à Appui Santé. Nous aidons les personnes qui souffrent de maladies chroniques à gérer plus facilement leurs symptômes. Nous sommes sollicités depuis quelques mois par des patients qui ont des symptômes prolongés de la Covid.
Du coup, nous avons inclus cette démarche dans notre pratique d'éducation thérapeutique. Nous recevons d'ores-et-déjà ces patients pour des entretiens, pour analyser avec eux leurs symptômes, faire une synthèse de ce que nous remarquons comme besoins et adresser ces comptes rendus à leurs médecin traitant. A notre connaissance il n'y a pas de structure qui offre au patient une vision globale de leurs problèmes de Covid long et qui permette d'avoir une orientation vers des soins spécialisés en ville. Les services hospitaliers le font mais pas avec la même vision que nous. Ils s'adressent plutôt en troisième recours pour des situations ou des patients très complexes qui en général ont été hospitalisés.
- Et c'est dans ce cadre que vous avez décidé de mettre en place un atelier de rééducation olfactive ?
Nous sommes en train de monter différents types d'ateliers d'éducation thérapeutique sur la douleur, mais aussi effectivement sur l'anosmie et l'agueusie - les troubles du goût et de l'odorat - et aussi sur la fatigue et l'anxiété, très fréquentes, de ces personnes pour les aider au mieux à gérer leurs symptômes. Il y a trois types de patients qui souffrent de symptômes prolongés. Les premiers ce sont ceux qui ont été en réanimation qui ont été intubés, ventilés, et qui ont des séquelles de la réanimation : perte musculaire, difficulté à parler, à marcher, à penser. Vous avez des personnes qui ont eu des maladies organiques : des péricardite, des myocardite, des accidents vasculaires cérébraux, des embolies pulmonaires, des problèmes neurologiques à la suite de la Covid.
Et puis vous avez, et c'est le plus grand nombre, des patients qui ont des symptômes pour lesquels nous ne trouvons pas d'anomalies en faisant des examens ce que la Haute Autorité de Santé appelle les troubles somatoformes. Ces symptômes ne sont pourtant pas dans la tête. Les patients les ressentent vraiment. Vraisemblablement il y a des mécanismes et des lésions que nous ne ne connaissons pas et qui les expliquent. Aujourd'hui la seule façon de les prendre en charge, comme les troubles de l'odorat, une fois que nous avons éliminé une maladie organique, une maladie que nous pouvons soigner, c'est la rééducation, la réadaptation.
- Est-ce que les troubles du goût et de l'odorat sont des symptômes fréquents mais souvent minimisés ?
Ce sont des symptômes très gênants. Les aliments n'ont plus de saveur, faire la cuisine devient très difficile pour ces personnes parce qu'elles ne peuvent pas goûter assaisonné. Et il n'y a pas qu'une perte de l'odorat complète, il y a ce qu'on appelle les parosmies c'est-à-dire de sentir des odeurs déformées. Le plus souvent ce sont des odeurs désagréables : de brûlé, de pétrole. Tout sent le pétrole par exemple ce qui est absolument insupportable au bout d'un moment.
L'alimentation est aussi un plaisir de la vie. Ne pas ressentir les bonnes saveurs, avoir un même goût quel que soit ce que l'on mange... c'est très très déstabilisant pour les gens et ça ne se voit pas, les gens en parlent peu.
- Comment remédier aux pertes d'odorat et de goût ?
Il y a plusieurs hypothèses sur les causes de ces pertes. Soit les cellules de l'olfaction, qui sont au niveau du nez, sont altérées par le Covid comme pour d'autres infections virales. Une sinusite peut donner les mêmes problèmes. Soit le cerveau analyse les informations qui lui sont données par les cellules olfactives d'une façon erronée, c'est ce qu'on appelle les parosmies. La plupart des personnes qui ont des troubles de l'odorat continuent à percevoir le sucré, le salé, le doux et l'amer mais pas toutes les subtilité des odeurs et des saveurs des aliments.
L'atelier de rééducation olfactive que nous allons proposer va porter sur la ré-association, au niveau de la perception du cerveau par différents mécanismes, de l'information qui est donnée par les cellules olfactives. Par exemple de sentir le clou de girofle et de savoir que c'est du clou de girofle que nous respirons, que le cerveau petit à petit ré-associe l'odeur du clou de girofle à la perception de cette odeur.
- Quand commencera cet atelier ?
Nous sommes en train de le construire. Nous avons une réunion à la fin du mois de mars pour en finaliser les modalités concrètes. Mais nous aimerions le mettre en place dès avril-mai. Dans les phases aiguës ou dans les symptômes prolongés, cela reste un des symptômes les plus fréquents et sans doute celui dont le côté handicapant est le plus méconnu.