Réanimateur-anesthésiste à la clinique de Saran, Emmanuel est rentré de l'hôpital militaire de Mulhouse. Après 15 jours passés sur place en tant que médecin réserviste, il se confie sur "son expérience extraordinaire", marquée par une image : le nombre de patients inconscients alignés sous la tente.
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Mobilisé à Mulhouse au sein de l'hôpital de Campagne qui jouxte l'hôpital Émilie Muller, nous l'avions interviewé une première fois, juste avant l'arrivée des premiers patients. Médecin réserviste, il venait de se rendre dans le Haut-Rhin pour soigner des patients.Après deux semaines particulièrement intensives, Emmanuel est rentré dans le Loiret et a bien voulu revenir sur cette expérience singulière. Force tranquille, habitué à côtoyer la mort sur des théâtres d'opérations en Afrique il y a quelques années, Emmanuel est apparu un peu atteint, ému, mais avec la volonté de poursuivre sa mission : sauver des vies.
Comment allez-vous ?
Ça va. Cela a été intense, très intense. On travaillait par tranches de 12 heures d'affilée. De voir autant de patients alignés dans le coma, c'était inédit pour moi et c'est ce qui m'a marqué au début. C'était éprouvant mais on savait qu'on aurait à faire à ce type de situations. On s'était préparé mentalement à cela comme je vous l'avais dit il y a deux semaines.
Comment se sont déroulés ces 15 jours ?
Cela a été de gros efforts et ce n'est pas fini. Par équipe médicale, il y avait un ou deux médecins anesthésistes-réanimateurs, 4 infirmières et 3 aides-soignants. Chaque équipe s'occupait de 6 à 8 malades, il y en avait une vingtaine simultanément au sein de l'hôpital de campagne. Mais on savait à quoi s'attendre, notre métier est ainsi fait. Le soutien de la famille et celui de la population nous ont aidé considérablement.
Quelle a été la chose la plus difficile à vivre ?
C'est d'avoir des patients qui décèdent évidemment. Des patients que l'on place dans le coma artificiel et qui pour certains ne se réveillent pas. C'est un déchirement. On sait quand on commence à prendre en charge des patients que le pronostic vital est engagé. Certains se réveilleront mais pas tous. Le plus difficile dans cette mission, c'était le nombre de cas sur une journée.
Comment les équipes vivaient ces décès qui se répètent ?
Tout le monde était affecté. Après, je me repète, mais en réanimation, on a l'habitude de côtoyer la mort. On reste soudés, le groupe doit surmonter cela. On n'est pas insensible à cette souffrance. On fait tous le maximum... et puis il y a des patients que l'on sauve.
On vous sent marqué par cette expérience ?
Ça a été une expérience extraordinaire sur de nombreux plans. Au niveau mondial, on en apprend un peu plus tous les jours sur cette maladie. Entre la collaboration, les échanges d'informations en temps réel, on a bien avancé. Tout cela aidés par les nouvelles technologies. Et puis cette structure là, sur pied en quelques jours avec tous les équipements (NDLR : l'hôpital militaire), il y a eu un énorme travail de fait et mis en oeuvre. On avait tous un but commun, il y avait une osmose : nous voulions tous sauver un maximum de patients.
On vous sent ému malgré votre expérience ?
Quand tous les soirs, vous avez les chiffres officiels qui tombent et qui donnent le nombre de morts... pour nous c'est différent, nous sommes avec nos patients, on s'occupe d'eux, on leur donner à manger, on fait leur toilette. Ce n'est pas qu'un simple chiffre. Certes, certains décèdent, mais on en sauve beaucoup aussi.
Vous avez connu de beaux moments ?
Oui. Quand on a commencé à réveiller des patients. Les premiers jours nous n'avions que des patients endormis qui étaient transférés depuis l'hôpital civil. Mais lorsqu'on a ramené à la vie le premier patient, il y a eu beaucoup d'émotion. Et communiquer avec les premiers d'entre eux, parler... ça nous a fait beaucoup de bien. Cela nous a remonté le moral.
Une anecdote ?
Oui, il y en a une qui me revient tout de suite. Quand on a réveillé un patient un jour. On l'a appelé par son prénom qui figurait sur sa carte d'identité. Et on a découvert que son prénom usuel n'était pas l'officiel. Il y a eu une émotion vive quand il s'est réveillé et qu'il a repris conscience. C'était très fort.
Pour vous, que doit-on retenir de cette crise ?
Dans cette crise, il y aura eu un retour de l'humain. Une modification du rapport à l'autre. Chaque personne réapprend paradoxalement à communiquer avec ce confinement. La mort a fait une intrusion dans la vie des gens. On se recentre sur des valeurs, la famille, les amis, les proches. Avec cette crise, il y a un regain d'humanité.
Vous étiez déçu de partir de Mulhouse ?
Cela me fait penser aux opérations extérieures quand j'étais médecin militaire (NDLR: il est aujourd'hui médécin en chef réserviste à l'Ecole du Val-de-Grâce). Quand on part, on sait que l'on ne recroisera jamais des collègues, des patients. On a un petit pincement au coeur. Mais le plus important est d'avoir participé à cette mission, d'avoir sauvé des vies.
Vous seriez prêt à y retourner ?
Il y a 15 jours, je ne me posais pas la question. Même confronté à ce virus, cela me semblait évident d'aller soigner et sauver des patients. Et bien aujourd'hui, je vous réponds la même chose. Je suis médecin, le rôle d'un praticien est de soigner les gens. Donc, s'il le faut j'y retournerais. On le voit avec tous les soignants qui ont participer à cette crise sanitaire. Il faut continuer à soigner même quand on manque de protection. Les premiers médecins et soignants morts n'étaient pas bien protégés. Certains praticiens, âgés de 70 ans, sortaient de leur retraite ou exercaient encore et ils sont morts.
Quel est votre programme dans les jours à venir ?
J'ai une consoeur de la clinique Oréliance de Saran qui a pris le relais à Mulhouse. En ce qui me concerne, je vais aller aider au CHR d'Orléans à partir de mercredi, après m'être reposé, dans le cadre du plan d'urgence où médecins du privé et du public sont associés pour affronter la crise.
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